Le dépistage massif est une piste incontournable dans la lutte contre le Covid-19, mais la clé réside peut-être dans la génétique. Le fait que la population islandaise soit extrêmement homogène et bien étudiée est un atout pour ce pays.

Par Lauren Provost

Ces derniers temps, l’Islande, avec quelque 360;000 habitants (l’équivalent de la population de Nice), est devenue un laboratoire de recherche sur le coronavirus. Mais sa population réduite n’est pas le seul facteur à prendre en compte.

Le 21 avril, le pays comptabilisait 1785 cas et 10 décès, des chiffres très faibles qui contrastent avec (et s’expliquent par) la grande quantité de tests réalisés. D’après les calculs, environ 10% de la population a été testée, soit cinq fois plus qu’en Espagne, et même (proportionnellement) plus qu’en Allemagne, l’un des pays européens qui a le mieux géré la crise. En France, avec 463.662 tests menés depuis le début de la crise (au 16 avril selon Santé publique France), c’est moins de 0,70% de la population qui a été testée.

Une fois de plus, la démographie est un facteur important mais pas exclusif. C’est en Islande que se trouve le siège de l’entreprise pharmaceutique DeCODE Genetics, leader dans le domaine des études génétiques des populations depuis plus de vingt ans. Elle propose aujourd’hui à tous les Islandais des tests gratuits de dépistage du coronavirus, même en l’absence de symptômes.

Pour Kári Stefánsson, fondateur de l’entreprise, la stratégie islandaise face au coronavirus n’a rien de mystérieux. “Nous avons fait plus de tests que tout autre pays, nous avons mené des enquêtes assidues pour retrouver les individus ayant été en contact avec les personnes infectées et nous les avons placés en quarantaine”, explique-t-il dans un entretien accordé à la chaîne TRT World. Ces tests préliminaires ont permis d’enrayer l’épidémie dès son apparition dans le pays, mais aussi de savoir qu’environ 50% des cas positifs ne présentaient aucun symptôme au moment du test. Il ne s’agit là que de données superficielles.

 

L’origine de chaque cas d’infection du pays a été identifiée

L’entreprise islandaise a été capable de remonter la piste de chaque cas de contagion sur l’île et identifié quarante souches du virus. C’est ce que l’on appelle “un génotypage du coronavirus”, explique le généticien espagnol Juan José Tellería, professeur à l’Université de Valladolid, qui connaît bien le projet nordique.

“Entre son apparition à Wuhan et aujourd’hui, le virus a subi de petites mutations qui ont donné naissance à des familles distinctes”, signale-t-il. DeCODE ”étudie en priorité les variantes islandaise et détermine la souche à laquelle elles appartiennent pour identifier son origine géographique”, précise le professeur Tellería.

 

Quel rôle les gènes jouent-ils dans le Covid-19?

Dans un second temps, DeCODE “croise ces données avec celles des patients et de l’évolution, pour voir si les différences de développement de la maladie d’un patient à l’autre ont une origine génétique, qu’il s’agisse de la génétique du patient, du coronavirus, ou d’une interaction entre les deux”, ajoute-t-il. En d’autres termes, le projet aspire à comprendre les mécanismes utilisés par le virus, et à déterminer si les gènes jouent un rôle spécifique dans le fait que, pour certains patients, le Covid-19 est extrêmement létal et, pour d’autres, quasiment asymptomatique.

Ce qui rend cette initiative si prometteuse, c’est la situation particulière de l’Islande (une population réduite et très stable génétiquement) et le fait que l’entreprise DeCODE a déjà étudié le génome de près du tiers des habitants du pays. “Que je sache, c’est un cas absolument unique au monde; il n’existe aucune autre expérience semblable”, note-t-il.

"Presque tous les habitants sont les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants de ceux qui vivaient sur l’île il y a des siècles."

“Génétiquement, c’est une population très homogène, car presque tous les habitants sont les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants de ceux qui vivaient sur l’île il y a des siècles, ce qui fait que l’on peut établir des liens familiaux entre presque tous les citoyens du pays”, fait remarquer le généticien. De plus, “il s’agit d’une population qui a connu très peu d’immigration”.

 

Des études génétiques pour lutter contre les maladies

Au fil des ans, DeCODE a profité de cette “faible variabilité génétique” pour “identifier les facteurs de risque des maladies communes comme l’hypercholestérolémie, les maladies cardiaques, l’asthme ou les allergies”, énumère Juan José Tellería. Ce n’est pas parce que la population est très homogène que tout le travail est fait, loin de là, mais cela facilite un peu la tâche. “Il ne faut pas oublier que lorsqu’on compare le génome de deux individus, quels qu’ils soient, on trouve trois millions de différences. Il est donc très complexe de déterminer les gènes responsables de chaque caractéristique”, assure le spécialiste.

Cet avantage génétique, associée à un bon financement, a permis à DeCODE d’”étudier une quantité considérable d’informations” issues d’études génétiques auxquelles se sont prêtés des milliers de citoyens islandais, qui ont également confié leur dossier médical à l’entreprise. Le professeur Tellería explique que, grâce à ce dispositif, les spécialistes “peuvent croiser des millions de données qui leur permettent d’identifier les variantes génétiques liées aux pathologies communes”.

"S’il y a une chose qui caractérise les Méditerranéens, c’est leur diversité génétique."

Juan José Tellería ne cache pas sa fascination pour les recherches islandaises (“on étudie le cas de DeCODE à l’Université”) mais reconnaît qu’une telle expérience serait impossible dans son pays, l’Espagne, ou en France, car “la population méditerranéenne est extrêmement hétérogène, car le bassin méditerranéen a été le carrefour de l’Antiquité pendant plus de dix siècles. S’il y a une chose qui nous caractérise, c’est notre diversité génétique”.

Par ailleurs, il existe peu d’études sur le génome en Espagne. “Elles ne sont réalisées que dans un but clinique”, ajoute-t-il, c’est-à-dire uniquement sur les patients pour lesquels on recherche une mutation concrète à des fins médicales.

Quoi qu’il en soit, si l’initiative islandaise donne des résultats, les Méditerranéens (et le reste du monde) en bénéficieront. “Il ne fait aucun doute que le croisement des données du génome du virus avec celles du génome des patients nous aidera à cerner la manière dont le virus interagit avec son hôte. Et ça, c’est un phénomène universel”, conclut le généticien.

Sources : Cet article, publié sur le HuffPost espagnol, a été traduit par Chloé Delhom pour Fast ForWord.

FaLang translation system by Faboba
 e
 
 
3 fonctions