Catégorie : GEOPOLITIQUE
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Un avenir alternatif pour l'Europe

Le monde multipolaire émergent est une révolution géopolitique. Il ne marque pas seulement un changement de paradigme par rapport au court moment unipolaire établi par les États-Unis après 1991, mais aussi la fin de l'hégémonie occidentale. Le processus de multipolarité en cours est en faveur des différentes civilisations et contre le projet libéral de mondialisation. Alors que la mondialisation tente d'unifier le monde sous un seul système politique, une seule idéologie et une seule civilisation, la multipolarité proclame la diversité des différents systèmes politiques, des différentes idéologies et des différentes civilisations. 

 

La multipolarité et le moment populiste

La question se pose donc : Quelle est la place de l'Europe dans ce monde multipolaire ? La position actuelle de l'Europe est incrustée dans l'orbite des Etats-Unis. Après 70 ans d'atlantisme, l'Europe ne semble pas capable d'exprimer ses propres intérêts géopolitiques. Mais comme le disait Hölderlin : « Mais là où il y a danger, les puissances salvatrices grandissent elles aussi ». Le moment populiste a donné naissance à des mouvements comme les Gilets jaunes et des partis contestataires dans toute l'Europe, qui ont déclaré la guerre aux élites libérales. Mais même les mouvements et partis populistes manquent d'une stratégie conséquente contre le mondialisme et le libéralisme. Les attaques des mondialistes sont dirigées contre le cœur de la civilisation européenne. Le christianisme et ses églises sont profanés, les peuples se dissolvent dans les « eaux glacées du calcul égoïste » (comme le disait Karl Marx), la famille est contestée en tant qu'instrument d'oppression, et aussi l'existence même des deux sexes est attaquée parce qu'ils représenteraient le patriarcat pour le gender mainstreaming, alors que le transhumanisme est même prêt à abolir l'humain lui-même pour, dit-on, libérer l'individu. Pour résumer ce danger, le libéralisme attaque sur plusieurs fronts. Mais les populistes ne décident de se battre que sur quelques-uns d'entre eux, notamment parce qu'ils ne comprennent pas l'importance de ces combats. Jusqu'à présent, ils n'ont remis en cause que certains aspects de l'hégémonie libérale et ne saisissent pas toute la panoplie subversive qu'ils forment tous ensemble. Ils appellent à la fin des migrations de masse mais ne remettent pas en question l'OTAN qui détruit la souveraineté des nations partout dans le monde. Ils gardent le silence sur le problème du capitalisme qui détruit leur propre culture et leur religion chrétienne, alors qu'ils crient « N'islamisez pas notre américanisation ! ».

 

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Les deux pères fondateurs de la pensée populiste révolutionnaire : Gramsci et Schmitt

 

Tous ces aspects de la guerre intellectuelle qui fait actuellement rage en Occident nous montrent la gravité apocalyptique du moment historique que nous vivons. Il est donc plus important que jamais de s'armer, de se blinder intellectuellement et de choisir d'être résolument à l'écart du pandémonium à l'œuvre dans le monde occidental. Dans le cas de l'Europe, nous pouvons choisir entre les élites actuelles et leur vision perverse d'une fin de l'histoire ou la cause des peuples et la continuation de l'histoire. Ce qui manque actuellement aux populistes de toute l'Europe, c'est une théorie révolutionnaire. Mais où peuvent-ils la trouver ?

Tout d'abord, nous devons regarder la période de l'entre-deux-guerres où nous trouvons, d'une part, l'intellectuel communiste Antonio Gramsci et, d'autre part, le révolutionnaire conservateur allemand Carl Schmitt.

Dans la pensée de Gramsci, nous pouvons trouver sa théorie de l'hégémonie afin de mieux saisir le fonctionnement du régime libéral actuel. Si nous adoptons correctement les idées d'Antonio Gramsci, nous nous rendons compte que nous pouvons trouver l'idéologie libérale non seulement dans des phénomènes comme la migration de masse et la détérioration de la sécurité intérieure, ou l'économie capitaliste, mais aussi dans l'unipolarité géopolitique et surtout dans l'homogénéisation délétère de l'espace culturel. Par conséquent, une résistance contre l'hégémonie libérale sur l'Europe doit finir par s'avérer futile si elle n'est dirigée que contre un seul de ses aspects. Si le populisme n'est dirigé que contre un ou deux aspects de l'hégémonie, il doit nécessairement devenir un autre exemple de « modernisation défensive » et échouera finalement à long terme, comme l'a déclaré la théoricienne politique belge Chantal Mouffe. L'émergence du populisme signifie que le politique est revenu en Europe et que nous, Européens, pouvons choisir entre différents projets hégémoniques. Le libéralisme n'est qu'une possibilité - un populisme révolutionnaire orienté autour des principes de la Quatrième théorie politique, formulée en Russie par Alexandre Douguine, est l'autre possibilité. Ce sont les conditions intellectuelles préalables à une Europe souveraine dans un monde multipolaire. 

 

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Le land power (la puissance tellurique), le Katechon d'Europe et l'État-nation

Dans le domaine de la géopolitique, les populistes doivent redécouvrir l'opposition, théorisée par Carl Schmitt, entre la terre et la mer. Dans cette opposition, Schmitt démontre le lien entre la puissance maritime et les idées progressistes, alors qu'il met en évidence le lien entre la puissance terrestre et le conservatisme. Comme l'a formulé Alain de Benoist en se référant à Zygmunt Baumann, la puissance maritime tente de tout rendre liquide, elle « liquide » le capital et les migrants pour les laisser couler comme les eaux de la mer (ndt: cette « liquidité » de la pensée politique maritime anglo-saxonne, Carl Schmitt la formule dans son Glossarium, volume dense qu'il ne voulait pas publier de son vivant, volume qui n'a pas encore été traduit en une autre langue). Pour résister à la mondialisation, l'Europe doit devenir une « Europe katéchonique », selon l'expression de Carl Schmitt, un grand espace européen uni, afin de pouvoir s'opposer à l'Antéchrist. À bien des égards, cela signifie que l'Europe doit revenir à ses racines géopolitiques. Premièrement, elle doit reconnaître que l'État-nation, en tant que rejeton de la modernité, a) n'est plus en mesure d'exercer sa souveraineté et b) n'est pas un protecteur du peuple mais un agent des intérêts bourgeois. 

 

Le sujet de la pensée populiste : le peuple

Pour développer une pensée populiste révolutionnaire, il est nécessaire de mettre l'accent sur le sujet même du populisme, c'est-à-dire le peuple. Contrairement à la nation, le peuple n'est pas une communauté artificielle, mais un organisme né d'une histoire charnelle. Il n'est pas constitué d'individus isolés, mais de personnes qui trouvent leur place dans la communauté. Alors que les nations ne connaissent au-dessus d'elles qu'une humanité politiquement homogénéisée et trouvent leur aboutissement logique dans l'État mondial, les différents peuples sont autant de pensées de Dieu, comme le concluait Herder. Au-dessus des peuples, on ne trouve que les civilisations, composées de différents peuples partageant entre eux la même religion, la même histoire, l'espace commun. Chaque peuple pour lui-même est condamné à être liquidé par l'Occident, mais uni au sein d'une civilisation, il peut résister à la tempête. 

 

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La multipolarité et le « cœur du monde distribué »

Il est donc impératif qu'une civilisation européenne unie forme un empire commun au sens traditionaliste du terme afin de garantir la paix sur le plan intérieur et de défendre sa souveraineté face à l'assaut mondialiste. Par ailleurs, l'essor des civilisations russo-eurasienne, chinoise et irano-chiite a prouvé ce qu'Alexandre Douguine appelle le heartland distribué. Il n'y a pas qu'un seul cœur, comme l'envisageait Halford Mackinder, mais plusieurs. En tant qu'Européens, nous représentons l'un d'entre eux, notre cœur européen spécifique. Cela signifie que nous devons laisser derrière nous le « fardeau de l'homme blanc », le messianisme libéral des droits de l'homme, la (post-)modernité, le progrès et les Lumières. Nous devons faire face à la xénophobie. Ce n'est que lorsque nous abandonnerons notre arrogance et nos superstitions que nous pourrons prendre place parmi les civilisations égales et revenir à notre héritage chrétien traditionnel. Si les populistes en Europe tirent les leçons de ces événements, en laissant derrière eux les différences stériles entre la gauche et la droite, et formulent un programme révolutionnaire dirigé contre la mondialisation et le libéralisme dans toutes ses dimensions, ils peuvent gagner. La multipolarité dans sa dimension intellectuelle et géopolitique est la clé pour rendre à l'Europe son propre destin. Mais comme dans toute lutte de libération, les Européens eux-mêmes doivent faire le premier pas pour sortir de l'hégémonie occidentale. 

 

La fin du césarisme : réflexion et autocritique comme clés de la multipolarité européenne

Une théorie révolutionnaire permet non seulement aux populistes de toute l'Europe de différencier l'ami, l'ennemi et l'ennemi principal, mais aussi de créer une stratégie afin qu'ils puissent parvenir à libérer l'Europe du libéralisme. Une théorie sophistiquée permet également l'autocritique et met fin au césarisme irréfléchi au sein des mouvements et partis populistes. Les exemples tragiques de gouvernements populistes ayant échoué à cause du césarisme, comme en Italie et en Autriche, appartiendraient au passé. 

 

La multipolarité : Les civilisations unies contre le globalisme

Comme nous pouvons le voir, la multipolarité offre de grandes chances de lutter contre les forces de la mondialisation et de mettre fin à leur progression. Nous en avons été témoins sur les champs de bataille en Syrie, où la Russie et l'Iran ont empêché la chute du président Bachar-al Assad et la montée d'ISIS. Au Venezuela, la Russie et la Chine ont réussi à aider le président Maduro à résister à la déstabilisation et au changement de régime orchestrés par les États-Unis. Si nous voyons ce potentiel d'un front anti-impérialiste composé de différentes civilisations unies contre la mondialisation, il serait logique que l'Europe le rejoigne également à long terme. Il est donc impératif que l'Europe laisse derrière elle l'Occident et forme un pôle propre dans l'ordre mondial multipolaire à venir.

Alexander Markovic est un historien, expert en politique internationale et en géopolitique (Autriche).

Source - Alexander Markovics : La place de l'Europe dans un monde multipolaire - éléments pour une pensée populiste révolutionnaire (VIDEO)

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