Catégorie : HISTOIRE

Abraham Lincoln

 

Par deux fois, Lincoln s’opposa à l’abolition de l’esclavage dans des États unionistes ou occupés par les troupes fédérales. La première fois en 1861. Quand le général John C. Fremont ordonna, de sa propre initiative, que les esclaves présents dans le district du Missouri soient déclarés « libres », Lincoln lui intima l’ordre de revenir immédiatement sur cette décision hâtive. Fremont ayant refusé, Lincoln va le mettre au placard dans le même temps qu’il déclarait nulle et non avenue son initiative. Le Missouri, Etat de l’Union, conserva donc ses esclaves.

La seconde fois, c’est le 25 avril 1862 quand le général nordiste David Hunter, commandant le district de Port Royal, en Caroline du Sud – et avec autorité outre ladite Caroline du Sud, sur la Géorgie et la Floride – décréta que les esclaves de ces trois États étaient désormais « libres ». Là encore, Lincoln révoqua Hunter. Avec cette explication : « Le président ne décidera de libérer les esclaves que si cela devient une nécessité indispensable au maintien du gouvernement. »

Même réticence de Lincoln quant à l’engagement de Noirs dans l’armée fédérale. Ce n’est qu’en juillet 1863 – soit plus de deux ans après le début du conflit – que les Noirs (engagés dès le début dans l’armée confédérée, rappelons-le) furent jugés aptes à être intégrés dans les troupes nordistes. Mais dans une formation spécifique et discriminatoire : United States Colored Troops (troupes de couleur des USA). Nettement moins payés que les soldats blancs, exclusivement commandés par des officiers blancs, ils devaient de surcroît acheter leur uniforme.

 

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Dans Politically Incorrect Guide to the South (op. cité), Clint Johnson rappelle : « Bien qu’ils aient participé durement à de nombreuses batailles, les soldats noirs n’ont jamais été les bienvenus dans les rangs des deux principaux corps d’armée nordistes commandés par Ulysses S. Grant et William T. Sherman. Grant finit par accepter que des Noirs puissent devenir soldats, mais il n’en intégra aucun dans son armée du Potomac. »

 

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Sherman, pour sa part, ne dissimulait pas sa méfiance à l’égard des « Nègres ». En 1863, il motiva ainsi son refus d’avoir des Noirs dans son armée : « Je préférerais que cette guerre soit une guerre de Blancs et qu’on s’occupe des Nègres plus tard. Selon l’expérience que j’ai des Nègres (…), je ne peux pas leur faire confiance. Le temps pourra changer les choses, mais je ne puis me résoudre à faire confiance à des Nègres armés (…).»

Une manière de faire – et de penser – à bien des égards aux antipodes de ce qui se passait dans l’armée confédérée. Les soldats noirs y touchaient la même solde que leurs compagnons d’arme blancs. Ils recevaient gratuitement le même uniforme et les mêmes rations (souvent maigres, il est vrai). Et lorsqu’ils montaient en ligne, c’était au coude à coude et non au sein de colored troops qui n’existaient pas dans l’armée sudiste.

Un ancien esclave lettré, Frederick Douglass, engagé du côté nordiste, écrivit à Lincoln en 1862 pour s’étonner d’un tel – et paradoxal – contraste :

« Il y a, en ce moment même, de nombreux hommes de couleur dans l’armée confédérée, et qui servent non seulement comme cuisiniers, serviteurs, hommes à tout faire, mais aussi comme de vrais combattants dotés de fusils et de munitions et prêts à faire feu et à faire tout ce qu’ils peuvent pour détruire le gouvernement fédéral. »

Même intervention de l’abolitionniste Horace Greeley :

« Depuis plus de deux ans, des Nègres servent en grand nombre dans les rangs confédérés. Ils ont été engagés et entraînés comme des soldats rebelles et ils défilent avec les troupes blanches et ce depuis une époque où cela n’auraient pas été accepté dans les armées de l’Union. »

 

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Le nombre exact de Noirs ayant servi dans l’armée sudiste – plusieurs dizaines de milliers en tout état de cause – n’est pas connu. D’abord parce que les vaincus n’ont jamais « cherché » à le connaître : la seule présence massive de Noirs sous l’uniforme gris suffit à dynamiter le dogme officiel sur les tenants et aboutissants de la guerre dite de sécession. Un médecin nordiste, chargé d’observer la progression du Second Corps de Stonewall Jackson en marche vers la bataille de Sharpsburg, estima à « au moins trois milliers d’hommes », le nombre de « Nègres » pour ce seul corps d’armée.

Les soldats noirs en gris se battront jusqu’au bout. À la veille de la reddition d’Appomatox, des Noirs confédérés dispersaient encore une part de cavaliers nordistes. À Appomatox même, une trentaine de Black Confederates furent capturés, puis libérés sur parole.

Parmi ces troupes noires sudistes les plus fringantes, la Louisiana Native Guard. Levée par des Noirs libres de la Nouvelle Orléans. En 1861, plus de sept cents soldats noirs, emmenés par des officiers noirs, défilèrent en tête des régiments confédérés dans les rues de la Nouvelle Orléans. Tous les hommes de la Louisiana Native Guard avaient eux-mêmes payé leurs uniformes, leurs équipements et leurs armes.

 

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Les exemples du patriotisme sudiste des Noirs abondent. Celui de Henry « Dad » Brown, un Noir libre de Caroline du sud. Quand la guerre éclata, il s’engagea comme tambour dans l’armée de son Etat. Il fut de l’affaire de Fort Sumter et se fit remarquer pour sa bravoure lors de la première bataille de Manassas. À sa mort, en 1907, ses funérailles furent célébrées par deux pasteurs – un Noir et un Blanc – et son cercueil fut transporté à dos d’hommes jusqu’au cimetière : par des vétérans confédérés. Des Blancs. Et des Noirs.

Autre exemple, celui de d’Adam Miller Moore, de Lincolnton, Caroline du Nord. Après avoir ramené le corps de son « maître » tué à Chancelorsville, il s’engagea – pour remplacer ce soldat manquant – dans l’armée confédérée. Jusqu’à sa mort, à l’âge de 108 ans !, il participa à toutes les commémorations à la mémoire des morts confédérés.

Des Noirs, donc. Mais aussi des Indiens. Le plus connu est le général cherokee Degataga, passé à la postérité sous le nom de Stand Watie. À la tête de ses Cherokees et de Creeks, il participa à plus de vingt batailles majeures dont celle de Pea Ridge, Arkansas, en 1862. Il ne déposa les armes qu’un mois et demi après Appomatox. Quand on lui fit remarquer que Lee s’était rendu, il répondit : « Lee, peut-être, mais pas moi… »

L’armée confédérée était composée à plus de 95 % de natifs du Sud. L’armée nordiste ne comptait que 50 % de natifs des États du Nord. Le reste était composé d’immigrants embrigadés (et pas vraiment volontaires pour l’être) : 220 000 Allemands ; 200 000 Irlandais ; 90 000 Hollandais ; 20 000 Scandinaves. Avec cette promesse que cette participation à l’effort de guerre leur faciliterait l’accès à la nationalité américaine (au cas où ils en réchapperaient, bien sûr…).

Certains de ces immigrants, bombardés officiers, furent les plus acharnés contre le peuple sudiste : le Prussien August von Willich (un communiste, ami personnel de Karl Marx) ; le Prussien Alexander von Schimmelfenning ; les Allemands Louis Blunker et Franz Sigel ; etc. La majorité des soldats de l’Eleven Corps (15 000 hommes) ne parlait qu’allemand et tout devait leur être traduit.

 

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On a souvent dit que cette guerre avait opposé, de manière fratricide, des Irlandais engagés dans les deux camps. Comme à Fredericksburg, Virginie, en décembre 1862, où l’Union Irish – la fameuse Irish Brigade – et la Georgia Irish s’expliquèrent sévèrement. À cette différence près que les Irlandais de la Georgia Irish étaient tous natifs du Sud quand ceux de l’Union Irish étaient des immigrants (souvent de fraîche date).

Et des immigrants pas vraiment enthousiastes à partir à la riflette pour le Nord comme en témoigne un des chants de l’Irish Brigade, la lugubre Paddy’s Lamentation (à savoir, « La plainte de Paddy », Paddy étant le diminutif de Patrick, saint patron de l’Irlande et prénom irlandais très répandu) :

« Quand on est arrivé en terre yankee

« On nous a mis un flingue entre les mains

« Et on nous a dit :

« Paddy, tu dois y aller et te battre pour Lincoln. »

Les rangs confédérés compteront des volontaires mexicains (venus du Texas), des Français, des Italiens, des Belges (venus de Louisiane), deux – au moins – Asiatiques, les deux fils d’Eng et Chang Bunker, etc.

La communauté juive fut loin d’être absente du conflit. Plus de 3 000 Juifs s’engagèrent dans l’armée confédérée : à savoir quelque 12 % des 25 000 Juifs qui habitaient le Dixieland au début du conflit. Sur les 200 000 Juifs qui vivaient au Nord, seulement 8 000 rejoignirent l’armée fédérale.

 

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Parmi les Juifs sudistes célèbres, le colonel Abraham C. Myers qui a laissé son nom à la ville de Fort Myers en Floride. Ou encore Marcus Baum, aide de camp du général Joseph Kershaw, tué à la bataille du Wilderness. Ou encore le major Raphael Jacob Moses. Il survécut à la guerre et la Géorgie lui doit le développement de son industrie de la pèche.

Ce qu’on doit au rabbin Max Michelbacher, de la Congrégation Beth Ahabah de Richmond, c’est une prière à l’intention des Juifs confédérés :

« O Dieu, mon Seigneur, notre Père, donne aux officiers de l’Armée et de la Marine des États confédérés un esprit d’entreprise, la force et un indomptable courage. Apprends-leur les sentiers de la guerre et les chemins de la victoire. »

Une prière qui lui valut cette lettre du général Lee : « C’est avec joie que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour faciliter aux Israélites la pratique et l’observance de leur religion. Avec, notamment, l’autorisation de rentrer dans leurs foyers pour les fêtes religieuses juives à chaque fois que le service le permettra. »

Très présents dans l’armée sudiste, les Juifs jouèrent un rôle prépondérant dans le civil. Les deux sénateurs juifs, Judah P. Benjamin, de Louisiane, et David Levy Julee, de Floride, démissionnèrent de leur siège de sénateur pour rejoindre la Confédération. Judah P. Benjamin fut un des hommes clefs du gouvernement confédéré (procureur général, puis secrétaire à la Guerre puis secrétaire d’État). David Levy Julee fut un des membres les plus actifs du Congrès sudiste.

Et côté nordiste ? Aucun Juif dans le gouvernement Lincoln. Et même, à l’occasion, quelques touches d’antisémitisme. Témoin le General Orders N° 11 du 11 décembre 1862 signé par le général Grant :

« Les Juifs, en tant que groupe violant toutes les régulations commerciales établies par le Trésor, devront être expulsés dans les 24 heures qui suivront cet ordre. »

 

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Dans le même temps, Grant confisqua de nombreux biens juifs. Nombre d’entre eux furent arrêtés et emprisonnés. Trente familles juives furent chassées de leur foyer à Paducah, Kentucky. Ce qui entraîna la démission d’un des rares Juifs ayant rang d’officier dans l’armée nordiste. Quand une délégation de Juifs vint se plaindre à Lincoln de ces expulsions et de ces confiscations de biens, ce dernier les traita avec mépris : « Alors, il paraît que les enfants d’Israël ont été chassés de l’heureuse terre de Canaan ? »

Par la suite, il essaya de corriger le tir en faisant écrire par un de ses secrétaires, Henry Halleck, une lettre à Grant : « Le Président n’a rien à redire au fait que vous ayez expulsé les traîtres et les trafiquants juifs ce qui, je suppose, était la raison de votre ordre. Mais, comme ses termes semblent s’en prendre à toute une communauté religieuse et que quelques Juifs combattent dans nos rangs, le Président estime nécessaire que vous supprimiez ledit ordre.»

Alain Sanders

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