Catégorie : LES EVEILLEURS DE PEUPLES
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Albert Lynch Jeanne dArcRossel poly

 

Le 28 mai 1871, la Commune de Paris est écrasée. Les Versaillais entrent dans la ville. Ils épurent avec férocité. Le parti du coffre-fort contre le parti de la Nation. Quelques jours après l'effondrement, le colonel Louis Rossel, polytechnicien, chef d'Etat-Major de la Commune, est arrêté.

Il sait qu'il va mourir. Il doit transmettre ce qu'il porte en lui. Il couche sur le papier quelques réflexions sur Jeanne. Les réflexions d'un frère d'armes. Louis Rossel envie le destin du jeune chef de guerre qui communiqua sa foi au peuple, s'imposa aux capitaines, emporta les batailles. De Jeanne, il connait la volonté embrasée et le martyre. Le 28 novembre 1871, Louis Rossel, notre camarade, est fusillé dans les fossés du fort de Satory. II a 27 ans.

C'est pourquoi, sans doute, rien d'aussi dense, d'aussi direct n'a été écrit sur Jeanne. La voici débarrassée d'un demi-siècle de morale bien pensante. La voici restituée à elle-même.

Jeanne d'Arc est un grand général, toutes les fois qu'elle décide seule et librement soit d'un mouvement, soit d'une action, elle agit avec une sagesse qui n'appartient qu'au génie. Son idée est non seulement conforme aux règles de la guerre, mais supérieure à ces règles, comme sont parfois les conceptions des grands capitaines. Allant délivrer Orléans, elle délibère de marcher par la Beauce, mais ses lieutenants, abusant de son ignorance des localités, la conduisent par la Sologne, ce qui était de tout point une faute. Dans sa marche sur Reims, elle ne s'amuse pas à assiéger les grosses villes, comme auraient fait les conseillers du roi : elle pénètre d'autorité dans le Conseil, fait prévaloir son opinion, puis, profitant de l'hésitation des villes, elles les intimide par les préparatifs d'une attaque de vive force, et les enlève. Tout général médiocre se serait arrêté.

Cette marche même sur Reims, sous le prétexte du sacre du roi, est une remarquable conception stratégique. Cette marche portait en effet l'armée du roi entre la France anglaise et la Bourgogne, interceptant ainsi les communications entre Paris et les principaux Etats du Bourguignon. C'était un moyen assuré d'inquiéter et d'affaiblir le moins acharné de nos adversaires, de lui rendre la guerre plus difficile et moins fructueuse. Ainsi le roi devenait maître d'une grande route qui coupe transversalement le bassin de la Seine ; il n'est pas douteux que ce résultat n'ait eu, à la longue, une influence décisive sur le retour du duc de Bourgogne au parti français.

De Reims, l'armée royale menaçait également, d'une part les Etats de Bourgogne et de l'autre les possessions des Anglais. Jeanne choisit la marche qui devait procurer les résultats les plus décisifs : elle se porte sur Paris et l'attaque du côté du nord, de manière à se trouver entre Paris et les principales places d'armes des Anglais, Rouen et Calais. Ainsi, sa première opération offensive la porte sur la ligne de communication des Bourguignons, qu'elle intercepte, et sa seconde opération, sur la ligne de communication des Anglais. Là finit la partie la plus importante de la carrière de Jeanne ; d'autres conseils avaient définitivement prévalu sur l'esprit du roi, qui empêcha positivement le succès après l'avoir vingt fois compromis par sa paresse et son indécision. Jeanne ne fut plus, après cela, qu'un chef de bande comme les autres capitaines qui combattaient pour la France, mais ses préoccupations restèrent dirigées vers le même plan, et lorsqu’elle fut prise, elle défendait ces villes situées à l'est de Paris et dont la perte aurait entraîné leur rattachement aux Etats de nos adversaires.

Il y a une révolution dans le commandement des armées entre Duguesclin et Jeanne d'Arc : avant elle, la première qualité d'un chef de guerre en France était la prouesse, la force physique ; Jeanne d'Arc, au contraire, quoique ayant pris soin de s'instruire dans l'escrime et l'équitation, ne versait jamais le sang. Elle était au plus fort du danger et s'occupait seulement de donner des ordres et d'encourager les soldats. Il ne paraît pas que son sang-froid se soit jamais démenti : blessée, elle s'asseyait et continuait à donner des ordres, ou revenait après s'être fait panser.

Elle possédait certainement cet ensemble de hautes facultés intellectuelles et morales qui constituent le génie. Ses réponses aux juges de Rouen témoignent d'une hauteur d'intelligence qui ne faiblit point à travers toutes les complications du procès ; seulement la pauvre fille était vraiment martyrisée dans sa prison. On ne songe pas sans douleur à l'amertume de cette captivité et aux outrages dont était abreuvée une fille simple, douce, sage, et qui avait fait preuve pendant son séjour aux armées d'une véritable délicatesse de mœurs et de sentiments. Je ne sais pas jusqu'à quel point n'a pas été poussée la brutalité de ses gardiens et de leurs chefs.

Le génie de Jeanne d'Arc était précisément celui qui convient à l'homme de guerre. Elle avait l'audace, la décision, l'à-propos. On ne s'étonne pas de trouver ces qualités dans Condé à vingt-deux ans ; il n'est pas plus étonnant de les trouver dans Jeanne.

Reste le merveilleux de ses connaissances militaires, de sa vocation, de ses inspirations mystiques.

En ce qui concerne ses connaissances militaires, il faut considérer d'abord que l'enclave champenoise où se trouve Domrémy était, par sa situation géographique autant que par sa condition politique, un pays fréquenté par les troupes de passage des différents partis, et où la connaissance des événements militaires, de l'importance des villes de guerre, de leurs distances, était plus répandue que dans les autres pays. Encore aujourd'hui, il n'y a pas d'invasion où le pays de Neufchâteau ne soit inondé de troupes. Le patriotisme est plus-fort dans une province frontière que dans l'intérieur d'un empire ; à plus forte raison devait-il être exalté dans un canton enclavé au milieu de possessions ennemies.

On sait aussi que Jeanne, dès son enfance, avait coutume d'écou-ter les longs récits d'un vieux soldat retiré à Domrémy, et se plaisait à entendre ce qu'il lui contait de la guerre. Sans doute il y a peu de vieux soldats dont la conversation soit propre à former des généraux ; cependant, je suis tenté de croire que celui-là était un homme sage, connaissant son métier, sachant raisonner sur les événements dont il avait été témoin et sur ceux que lui apprenait la renommée, aimant son pays et souffrant de l'état d'abjection où il le voyait réduit. Nul doute que son influence ait contribué à la vocation de Jeanne d'Arc.

Ainsi je suppose que Jeanne était une enfant intelligente et sensible, pieuse, cela va sans dire, et qui s'exaltait en même temps qu'elle s'instruisait, en écoutant le récit de nos guerres malheureuses. Lorsqu'elle arriva peu à peu à critiquer sainement, à juger, à prévoir avec justesse le résultat des opérations qui s'exécutaient, elle ne put attribuer qu'à une intervention miraculeuse cette faculté acquise par la méditation et une préoccupation constante. Elle ne distingua pas non plus cette faculté de sa mise en œuvre, et ne put pas songer que ce don merveilleux dont son esprit était obsédé pût demeurer stérile ; de là sa vocation.

Un berger peut devenir astronome, calculateur, géomètre ; il y a aussi des bergers qui sont devenus capitaines et fondateurs d'empires. Moïse gardait les troupeaux dans le désert lorsqu'il reçut la vocation de délivrer le peuple hébreu. David, Romulus, étaient bergers. A la vérité, il est moins ordinaire de voir une bergère devenir une héroïne, mais Jeanne, avec toutes les vertus et les délicatesses de la femme, n'en avait ni les séductions ni les infirmités. Quoique belle et bien faite, à ce qu'il paraît, elle inspirait la confiance, le respect, l'enthousiasme, elle n'inspirait pas l'amour. Les poètes qui ont fait Jeanne amoureuse ne l'ont pas comprise. Dans ce cœur, tout grand qu'il était, il n'y avait pas de place pour un sentiment personnel.

 

Stilke Hermann Anton Joan of Arcs Death at the Stake e1493389873167U232631 The Execution of Rossel Bourgeois and Ferre at Satory Reading the Sentence

 

Quand aux apparitions des saintes patronnes de Jeanne, à ses voix, comme elle disait, je ne puis pas non plus y voir un miracle, ni aucune illusion surnaturelle. Après le démon de Socrate, je suis disposé à admettre sans conteste et sans étonnement toute sorte d'esprit familier... chez les autres. C'est un fait, voilà tout, c'est un fait inexpliqué, mais dûment constaté et assez fréquent. On peut dire qu'il y a hallucination, on peut même dire qu'il y a folie, s'il peut y avoir folie sans que les aptitudes intellectuelles soient lésées et sans que leur application soit pervertie. Il y a une aberration qui consiste à attribuer à un agent extérieur certaines des opérations de notre esprit ; c'est une perversion de la notion de causalité. On sait qu'il y a au contraire des fous, de vrais fous qu'une aberration contraire conduit à se croire la cause de toutes choses.

A propos des visions de Jeanne d'Arc, je ferai seulement deux remarques : l'une, c'est que chez les personnes d'une imagination vive, la méditation intime tend à prendre la forme dialoguée. Cela fait comprendre comment un esprit sage et connaissant la faiblesse de nos moyens d'investigation peut être prédisposé, lorsque le sens intime lui révèle quelque vérité éclatante et féconde, à attribuer cette révélation à une cause étrangère.

L'autre remarque est celle-ci : on trouve parfois chez les esprits les plus élevés une tendance particulière à la superstition ; non pas tant chez les esprits spéculatifs qui ont tout loisir de ressasser la vérité, que chez les hommes d'action qui se trouvent obligés de prendre à un certain moment une décision irrévocable, et de se conduire, à partir de ce moment, comme si leur décision était la sagesse et la vérité mêmes. Ils ont besoin de prêter à leurs déterminations l'appui de la nécessité. De là vient que certains esprits profondément pratiques revêtent une apparence soit fataliste, soit mystique, que le vulgaire ne s'explique pas et qui est chez eux l'expression de cette belle et sereine confiance qui ne les abandonne jamais. César parle de sa fortune ; Napoléon de son étoile ; il prétend même qu'il la voit.

Au fond, Jeanne d'Arc n'est rien moins que mystique ; ses interrogatoires montrent un esprit profondément pratique, ferme, inébranlable. On cite encore d'elle telles paroles qui prouvent qu'elle n'avait aucune prétention aux dons surnaturels : les juges de Poitiers lui demandaient des miracles. « Je ne suis pas venue pour faire des miracles, répondait-elle, mais bâillez-moi une armée et je délivrerai Orléans ». Plus tard, comme, dans une église, on lui présentait des enfants à toucher. « Touchez-les, dit-elle aux femmes dont elle avait soin de se faire toujours accompagner, touchez-les, cela fera le même effet ».

Louis Rossel

 

LA VERTU D'INSOLENCE

« Dans un temps qui est un        temps d'acceptation générale et de soumission, Jeanne nous propose,   avec   le   sourire,   la magnifique vertu d'insolence. Une jeune insolence. Il n'est pas de vertu dont nous ayons plus besoin aujourd'hui. Elle est un bien précieux qu'il ne faut pas laisser perdre   :   le faux respect   des fausses vénérations est le pire mal. Par un détour   en   apparence   étrange, Jeanne nous apprend que l'insolence, est à la base de toute reconstitution ».    |

Robert Brasillach

Préface   au   «   Procès   de Jeanne d'Arc », écrite à 21 ans.  

Source : Europe Action – mai 1965

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