JULIEN
(Louis Ménard)
 
Par-dessus tous les dieux du ciel et de la terre
J'adore ton pouvoir immuable indompté,
Déesse des vieux jours, morne fatalité.
Ce pouvoir implacable, aveugle et solitaire
Ecrase mon orgueil et ma force, et je vois
Que l'on décline en vain tes inflexibles lois.
Les peuples adoraient le joug qui les enchaîne,
Rome dormait en paix sur son char triomphal,
Des oracles veillaient sur son sommeil royal.
Maintenant, du destin la force souveraine
Brise le sceptre d'or de Rome dans mes mains,
Et Sapor va venger les Francs et les Germains.
J'ai relevé l'autel des dieux de la patrie,
Et j'aperçois déjà le temps qui foule aux pieds
Les vieux temples déserts de mes dieux oubliés.
Au culte du passéj'ai dévoué ma vie.
Bientôt sous sa ruine il va m'ensevelir.
Le passé meurt en moi, victoire à l'avenir !
 
 
 
 
 
LE GÉNIE DE L'EMPIRE
(Louis Ménard)
 
Ne crains pas l'avenir, toi dont les mains sont pures,
O dernier défenseur d'un culte déserté,
Qui voulus porter seul toutes les flétrissures
Du vieux monde romain, et couvrir ses souillures
Du manteau de ta gloire et de ta pureté.
En vain tes ennemis ont voué ta mémoire
A l’exécration des siècles à venir ;
Le glaive est dans tes mains : l’incorruptible histoire
Dira ce qu’il fallut à l’amant de la gloire
De force et de vertu pour ne s'en pas servir.
La fortune rendra blessure pour blessure
A ces peuples nouveaux, aujourd'hui ses élus,
Quand leurs crimes aussi combleront la mesure.
Mais mille ans passeront sans laver son injure,
Car Némésis est lente àvenger les vaincus.
O César, tu mourras sous une arme romaine.
La tardive justice un jour effacera
Ce surnom d'apostat que te donne la haine ;
Mais le monde ébranlé dans sa chute t'entraîne,
Et ton culte proscrit avec toi périra.
Et moi, je te suivrai, car je suis le génie
De Rome et de l'empire ; unissant leurs efforts,
Tes ennemis, les miens, las de mon agonie,
Veulent voir le dernier soleil de la patrie.
Cédons-leur, le destin le veut, nos dieux sont morts.
 
 

 
 
  Ménard Louis Nicolas : littérateur né à Paris le 19 octobre 1822 et mort en 1901. C’est un esprit extrêmement original et cultivé. Louis Ménard s'est occupé successivement de philosophie, de chimie, de peinture et de littérature. Après de brillantes études à Louis-Legrand, il entra à l'École normale où il ne resta que deux mois. Puis, il entreprit des études de chimie et reconnut la solubilité de la xyloïdine dans l'éther, c’est-à-dire le collodion. Cette découverte présentée à l'Académie des sciences en 1846 ne rapporta àMénard ni profit ni grand honneur, car les applications très importantes du collodion à la chirurgie et à la photographie ne se développèrent que plus tard : il ne garda pas même l'honneur public de sa découverte, car un étudiant américain du nom de Maynard, ayant l'année suivante redécouvert le collodion, c'est àlui qu'un grand nombre de dictionnaires de chimie, trompés par l'homonymie, en attribuent le mérite.
 
  Révolutionnaire en 1848 et revenu à Paris en 1852, après trois ans d’exil, il dut renoncer à s'occuper des revendications républicaines et se réfugia dans l'étude des civilisations antiques dont il admirait profondément l'élévation artistique et l'organisation sociale.
 
  Ami de Baudelaire, de Leconte de Lisle et de Banville, il partageait leurs rêves de gloire; ses vers sont empreints d'une force philosophique et d'un sens profond de l'Antiquité.

  Li
é d'amitié avec Renan et Berthelot qui appréciaient sa grande culture classique, Louis Ménard fut engagé par eux à pousser ses études, dans ce sens et à entrer dans une voie régulière : il passa son doctorat à la Faculté des lettres de Paris en 1860 avec deux thèses : De Sacra poesi Graecorum et La Morale avant les philosophes, la soutenance exceptionnellement brillante de ces thèses et leur originalité fit sensation.
  Continuant ses études dans cette direction, Louis Ménard publia en 1863 le Polythéisme hellénique, ouvrage d'une haute valeur littéraire et philosophique, où il apparaît comme un précurseur de James G. Frazer. Plus tard, il a publié la traduction des livres d'Hermès Trismégiste (1866); une Histoire des anciens peuples de l'Orient (1882); une Histoire des Israélites d'après l'exégèse biblique (1883), enfin une Histoire des Grecs (1884-1886), qui compte parmi les meilleures et qui devrait être un classique : on y trouve d'admirables pages de philosophie de l'histoire, dignes de Renan et de Taine et un sentiment très élevé de l'art grec.
 
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