bert van den brande

 

Bert, l'ami fidèle entre tous, ne s'est résigné, avec une sereine lucidité, à nous quitter que parce que son organisme l'avait trahi depuis de longs jours déjà. Guerrier dans une guerre horrible, il avait eu longtemps la mort pour compagne et aperçu ses innombrables visages. Les uns plus monstrueux encore que les autres, puisque notre ami passait précisément en vue de Dresde au moment de l'enfer apocalyptique que lui a fait subir l'aviation anglo-américaine.

 

 

 De ce guerrier, cette sale guerre avait fait l'être le moins belliqueux qui soit. Il ne l'avait pas faite par penchant, c'est la guerre qui l'avait emporté quand il avait seize ans.

Né dans le quartier le plus rouge d'Anvers d'un père ouvrier du bâtiment et militant socialiste, Bert n'avait pas osé lui révéler qu'il s'était laissé emballer par un camarade de classe (et tenter par son bel uniforme) pour faire partie d'un mouvement de jeunesse nationaliste, l'AVNJ qui allait devenir bientôt la NSJV, la Nationaal Socialistisch Jeugd Vlaanderen. Il y était devenu très vite chef de patrouille. Il ne pouvait pas savoir que son père répondrait à l'appel du philosophe Henri de Man, président du Parti Ouvrier Belge, qui estimait que la défaite de 1940 était une libération pour les classes laborieuses. Quand les Allemands ont, en 1941, appelé à la rescousse pour leur croisade contre la marée communiste, Bert s'est présenté pour le service.

Comme il était trop jeune pour être admis dans la Waffen SS, on l'a placé dans une école de cadre et, à l'issue du cycle, il est devenu chef d'un camp en Pologne. Il ne s'était pas engagé pour cela et, profitant d'un congé pour déserter, il s'est engagé dans la Kriegsmarine. La Feldgendarmerie est, bien entendu, venue l'arrêter, mais il a pu s'en tirer heureusement avec une bonne leçon de discipline. C'est ainsi qu'il a d'abord pris sa part de cette terrible, mais grande épopée. Son unité s'employait au déminage et, comme il n'aimait pas non plus ce genre de guerre, il s'est fait muter, mais il n'a toujours pas obtenu d'entrer dans la Waffen SS. Il s'est retrouvé servant d'une pièce d'artillerie. Ce ne sera qu'en septembre 1944 qu'il entrera dans la division SS Langemark. Il devient sous-officier et formateur et est envoyé dans une école en Tchécoslovaquie. C'est en revenant qu'il passe près de Dresde pour rejoindre le front de l'Oder en Pologne et y livrer, dans des rapports de forces écrasants, les dernières batailles contre l'Armée Rouge.

Le 7 mai 1945, leur officier donne à ses camarades et à lui-même le conseil de s'évanouir dans la nature et de tenter de rejoindre leur foyer. Il échange alors sa montre contre une salopette et se travestit en victime du travail obligatoire. Il traverse ainsi sans problème la zone américaine et rejoint la maison paternelle. Ses parents ont été arrêtés. Son père restera cinq ans en prison. Il se réfugie alors chez un juif, qui lui procure un faux passeport, avec lequel il parvient à entrer en France. Il se fait cueillir dans une gare et condamner pour usage de faux papiers à quatre mois de prison, à l'issue desquels la sûreté belge est venue en prendre livraison. Condamné à huit ans de prison, il sera libéré sous condition après quatre ans, et déchu de ses droits. Il a ensuite effectué une longue et fructueuse carrière dans l'industrie du bois. Il s'est marié et a eu trois enfants et en a adopté un quatrième. Se retournant sur ce passé, il assume son existence et n'en éprouve ni fierté ni regret, ne se souciant que de l'achever dans l'honneur au milieu de ses très nombreux amis.

Soldat dans l'âme, prêt à mettre sa vie en risque, il n'avait rien d'une tête brûlée. Il était plutôt placide. Il cultivait d'ailleurs un goût sûr pour la bonne entente, et même pour l'accord parfait. C'est ainsi qu'il n'aimait rien tant que de marier sa voix grave en choeur à celle d'amis. Il ne laissait passer aucune occasion du genre et, au besoin, il la suscitait. Son répertoire était immense et dans toutes les langues européennes. Pierre Vial, dont le talent de maître de chant est insigne, appréciait son concours entre tous. Pour la célébration de ses propres obsèques, il avait tenu a arrêter lui-même une sélection de chants que l'assistance, très nombreuse, a exécutés. Son choix est révélateur : Gebed voor het vaderland (prière pour la patrie) ; Nos dieux, nos dieux ; Les Oies sauvages-Wildgänze-Stormvogels ; Chevaliers de la Table Ronde ; Twinkle, Twinkle, little Star ; Das Treuelied ; Der Gute Kamerad. Pour Bert, la gravité peut s'accommoder parfaitement de la gaîté.

Car notre ami respirait une solide sagesse, un équilibre rassurant. Mais surtout une bienveillante douceur, celle à laquelle seules atteignent les âmes fortes. Très cher ami Bert, nous nous faisons du mal avec l'idée de te quitter, de ne plus te voir, te parler. Tu y as songé en nous adressant une phrase de Rilke : « Si vous me cherchez, cherchez-moi dans votre coeur. Si j'y ai trouvé abri, je serai toujours avec vous. »

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