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Dans le kibboutz de Kfar Aza, le 11 octobre. (Gil Cohen Magen /AFP)

 

L’information selon laquelle 40 bébés auraient été tués (parfois décapités) dans le kibboutz n’est pas confirmée. Le camp palestinien dénonce une infox, et établit le parallèle avec les plus célèbres «mensonges de guerre» des dernières années.

Joe Biden n’aura donc fait qu’ajouter à la confusion. Lors d’une rencontre avec les dirigeants de la communauté américaine juive à de la Maison Blanche, le président américain, ému, a tenu à témoigner mercredi 11 octobre des crimes du Hamas en Israël : «Il est important que les Américains voient ce qui se passe. Je fais ça depuis longtemps. Je n’aurais jamais pensé voir… des photos confirmées de terroristes décapitant des enfants», a déclaré Biden. Alors que des informations contradictoires circulent depuis deux jours à propos d’un massacre de bébés par le Hamas dans le kibboutz de Kfar Aza, le propos du Président a été relayé comme une confirmation au plus haut niveau.

Jusqu’à ce que la Maison Blanche ne précise que la déclaration de Biden était basée sur des articles de presse et les déclarations du cabinet de Benyamin Nétanyahou, et qu’il n’avait pas vu personnellement les images évoquées. La «clarification», assez désastreuse, a été dûment relayée par l’agence de presse du Hamas, et vient apporter quelques galons de fuel à ceux qui n’hésitaient déjà pas à dénoncer la «fake news» des 40 bébés du kibboutz de Kfar Aza. Dans le camp palestinien, les posts se multiplient, allant jusqu’à établir un parallèle avec les célèbres «mensonges de guerre» (comme les fausses exactions commises contre des bébés au Koweit par les forces irakiennes, utilisées pour justifier l’invasion américaine), affirmant que ces accusations ont pour seul objet de légitimer les frappes sur Gaza.

 

Entre emballement, flottement et démentis

Le 10 octobre, Tsahal autorise la presse étrangère à pénétrer dans le kibboutz de Kfar Aza, récemment libéré, afin de témoigner de l’horreur de l’attaque du Hamas. Dans plusieurs duplex depuis le kibboutz, Nicole Zedeck, journaliste pour i24 News, évoque le massacre de 40 bébés, dont certains décapités. D’après un autre journaliste de la chaîne, interviewé par CheckNews, l’affirmation viendrait de deux sources, l’une ayant évoqué 40 enfants, dont des bébés tués, l’autre ayant parlé de bébés décapités. Le chiffre est largement relayé, y compris par le compte officiel de l’Etat israélien, dans un tweet désormais vu plus de 18 millions de fois, et qui évoque «40 bébés assassinés».

Dans certains médias (y compris i24 News), ce décompte est repris et parfois déformé, certains évoquant «40 bébés décapités». De nombreux internautes ou personnalités pro-israéliennes mettent en avant l’exécution et la mutilation de ces enfants pour dénoncer les crimes du Hamas, «pire que l’Etat islamique». Une expression qui a notamment été utilisée par le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, qui a partagé la photo d’une chambre d’enfant ensanglantée, sans autre commentaire.

Pourtant, comme CheckNews l’écrit rapidement, l’information n’a alors pas été confirmée officiellement. Et ne l’a pas été depuis. Toutes les sources sont concordantes sur le fait qu’un massacre d’ampleur a bel et bien eu lieu à Kfar Aza, comme à Be’eri où plus de 100 corps ont été retrouvés. Mais à l’exception de trois journalistes d’i24 News qui ont évoqué le nombre de 40 bébés tués, aucun autre reporter s’étant rendu sur place n’a relayé ce point.

La suite est un mélange d’emballement, de flottement, et de démentis. Le chiffre fait les gros titres de plusieurs médias, mais aucune déclaration officielle ne vient le confirmer. Mercredi 11 octobre, le ministère des Affaires étrangères israélien indique ne pas être en mesure «à ce stade» de confirmer le nombre de «40» bébés assassinés. Le même jour, un porte-parole du Premier ministre israélien, affirme CNN, confirme, non pas ce nombre, mais le fait que «des bébés et des enfants en bas âge ont été retrouvés décapités». Mais 24 heures après, la chaîne américaine vient de publier un démenti de sa propre information, citant une source officielle « infirmant » la déclaration de la veille : « Israël ne peut pas confirmer la déclaration spécifique selon laquelle des bébés ont été décapités lors des attaques du Hamas.» Déflagrateur.

« Le gouvernement israélien admet maintenant que la rumeur des « décapitations » n’est pas fondée, mais seulement après qu’il ait été largement diffusé et utilisé pour détourner l’attention du meurtre de 1 350 habitants de Gaza (dont 270 enfants). Chaque « journaliste » qui a répété ce bobard entrera dans l’histoire pour avoir permis des atrocités de masse », écrit Muhammad Shehada, journaliste et écrivain originaire de la bande de Gaza.

 

Un mécanisme de décrédibilisation

Dans la sphère pro-Hamas, avant même cet « aller-retour » de CNN, la séquence avait sans surprise été immédiatement mise à profit, y compris pour discréditer plus largement le «narratif sioniste» et balayer opportunément les accusations de crimes visant le Hamas, pourtant largement documentées pour certaines. Dans un communiqué, cité notamment par la chaîne Al-Jezira, le Hamas déclare qu’il «ne cible pas des enfants», et invite les médias occidentaux «à ne pas reprendre aveuglément le narratif sioniste, rempli de mensonges».

Le même argumentaire est déroulé sur les réseaux sociaux par le camp pro-Hamas et plus largement pro-palestinien, où est largement avancée l’idée que les «bébés décapités» serait une infox pour rallier l’opinion internationale. Circule, par exemple, le montage représentant des soldats de Tsahal en couches-culottes, suggérant que les seuls «bébés tués» depuis les attaques du Hamas seraient des militaires. Ce qui revient à nier le fait que sur les 1 200 morts israéliens, une très grande majorité sont des civils, femme et enfants inclus.

D’autres comptes mettent en avant des photos d’enfants gazaouis qui, eux seraient «réellement» morts sous les bombes. «Pendant qu’ils assurent que 40 bébés ont été décapités sans aucune preuve, voici ce qu’il se passe à Gaza», écrit par exemple un compte très influent, diffusant des images insoutenables d’un nourrisson inanimé tiré de décombres, présentées comme la conséquence de frappes israéliennes. Une vidéo qui a été visionnée près de 2,4 millions de fois.

Ce même mécanisme de décrédibilisation a été mis en place depuis une rétractation du Los Angeles Times concernant des allégations de viols par les assaillants du Hamas. Le 9 octobre en fin de journée, une tribune de l’éditorialiste Jonah Goldberg faisant mention de viols perpétrés durant les attaques du Hamas a été modifiée. Une note indique désormais : «Une précédente version de cette tribune mentionnait des viols dans les attaques, mais ces affirmations n’ont pas été confirmées.» Une précision que l’agence de presse du Hamas Quds News Agency s’est faite un devoir de relayer, et que des comptes pro-Hamas utilisent, là encore, comme la «preuve» d’accusations infondées de manière plus générale. Un compte écrit par exemple : «D’abord, c’était un énorme hoax autour des viols pendant la rave. Maintenant, c’est les bébés décapités. C’est quoi la suite ? Le Hamas a dévoré des gens vivants ?»

Cette rhétorique, qui se nourrit d’informations fausses ou encore insuffisamment vérifiées, alimente une autre forme de désinformation, éludant le fait que des massacres de civils ont incontestablement eu lieu lors de l’attaque du 7 octobre. Ces tueries de masse ont été depuis dûment documentées. Comme l’a rapporté CheckNews, de nombreuses images diffusées par le Hamas à des fins de propagande, ou par des citoyens israéliens, témoignent d’atrocités relevant du crime de guerre.

Dans le kibboutz de Kfar Aza d’où est partie l’affaire, il est encore trop tôt pour dresser un décompte des victimes. Le journal Haaretz, dans le reportage d’un envoyé sur place, cite l’équipe d’inhumation du Rabbinat militaire qui indique : «C’est aussi grave, probablement pire, que le massacre du kibboutz Be’eri.» A propos duquel, lundi soir, les secours ont annoncé avoir découvert 108 corps, parmi lesquels des femmes et des enfants.

Selon un post publié jeudi après-midi sur X par le journaliste américain Barak Ravid, Benjamin Netanyahou a montré au chef de la diplomatie américaine Antony Blinken, lors de sa visite en Israël, des photos de bébés assassinés par le Hamas. « Une photo était celle d’un bébé qui avait reçu une balle dans la tête et une autre photo d’un bébé dont le corps avait été brûlé par des militants du Hamas, écrit le journaliste, qui ajoute, n’employant pas le terme « décapitation » : j’ai vu les photos. Elles sont horribles ». A 16h14, jeudi, le compte X du premier ministre israélien a fini par poster les images en question, avec ce commentaire, évoquant des « bébés assassinés », mais également sans parler de « décapitation » : « voici quelques photos que le Premier ministre Benjamin Netanyahou a montrées au Secrétaire d’Etat Antony Blinken. Ce sont d’horribles images de bébés assassinés et brûlés par les monstres du Hamas. Le Hamas est inhumain. Le Hamas est l’Etat islamique.»

Source : CheckNews - 12 octobre 2023

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