Des chercheurs ont élucidé les origines mystérieuses de l'argent utilisé, dans la période du Haut Moyen Âge en Europe occidentale, pour fabriquer des pièces de monnaie : les richesses en métaux précieux de Byzance auraient soutenu l'adoption novatrice de ces dernières, avant d'être supplantées par l'argent extrait d'une mine de Francie sous Charlemagne, un siècle plus tard.
Au début de la période médiévale, le nombre de pièces de monnaie en argent en circulation a considérablement augmenté dans le nord-ouest de l'Europe. Ce changement soudain dans l'approvisionnement monétaire, à partir d'environ 670 apr. J.-C., les chercheurs n'étaient jusqu'à présent pas parvenus à l'expliquer.
Une étude publiée dans le journal Antiquity le 9 avril 2024, semble enfin répondre à cette question à « environ 7 000 deniers d'argent » – nombre de pièces de la sorte répertoriées dans l'Angleterre anglo-saxonne entre le VII et le VIIIe siècle : d'où venait donc tout l'argent, ayant alimenté cette époque significative de renouveau commercial ?
Une enquête scientifique pour dévoiler l'origine de l'argent médiéval
Les premières spéculations pointaient la Melle, dans l'ouest de la France, comme source de l'argent, ou une mine inconnue. D'autres affirmaient que les églises avaient alors fait fondre leur argent. Pour en avoir le cœur net, une équipe d'experts des universités de Cambridge et d'Oxford (Angleterre) et de l'université libre d'Amsterdam (Pays-Bas) a analysé la composition chimique de quarante-neuf pièces d'argent, frappées entre 660 et 820 apr. J.-C. dans les actuels Angleterre, Pays-Bas, Belgique et nord de la France et conservées au musée Fitzwilliam de Cambridge.
Elle a pour cela employé une technique novatrice, « l'analyse par ablation laser », qui consiste à creuser dans la pièce une zone d'une infime fraction de millimètre avec un laser. Des échantillons en sont prélevés pour en révéler la composition chimique – et finalement, dévoiler son origine.
Quand de petites quantités d'éléments (or, bismuth) sont riches en informations pour les scientifiques, les isotopes (ou différents « variants ») du plomb, différents selon les régions et les mines, leur permettent également de remonter plus précisément encore à la source. L'analyse a finalement montré que l'argent utilisé provenait, selon l'âge des pièces, de deux sources distinctes.
Les trésors byzantins de l'Angleterre anglo-saxonne
Les plus anciennes, datées entre 660 à 750 apr. J.-C., étaient faite à partir de métal précieux extrait dans la région méditerranéenne orientale, dans les limites de ce qui était alors l'Empire byzantin. Cet argent provenait donc probablement de la fonte des objets précieux issus de ce dernier, datant du IIIe au début du VII siècle. Les Romans déjà, lors des pénuries de matière première, avaient usé d'un tel recyclage, en refondant leurs pièces de monnaie en argent et celles des peuples conquis.
Ce qui a davantage surpris l'équipe de recherche, c'est que cet argent byzantin avait dû pénétrer en Europe occidentale des décennies avant d'être fondu, car la fin du VIIe siècle a marqué un point bas dans les échanges commerciaux et les contacts diplomatiques. Jane Kershaw, membre de l'université d'Oxford et auteure principale de l'étude, développe dans un communiqué :
Nous connaissons quelques exemples d'argent byzantin survivant en Angleterre anglo-saxonne, notamment ceux de Sutton Hoo [site archéologique du haut Moyen Âge dans le Suffolk, est de l'Angleterre], mais de bien plus grandes quantités d'argent byzantin devaient être initialement conservées dans les réserves anglo-saxonnes. Les liens entre Byzance et l'Angleterre anglo-saxonne étaient plus étroits que ce que la plupart des gens pensent.
Les chercheurs supposent ainsi que les élites anglaises, dont les collections étaient donc remplies de davantage de précieux objets byzantins qu'ils ne l'estimaient, les auraient liquidés pour fabriquer des pièces en argent, qui circulaient alors largement sur le marché – et bientôt disponible en beaucoup plus grande quantité que l'or. « Cela aurait eu un grand impact sur la vie des gens. Il y aurait eu plus de réflexion sur l'argent et plus d'activité avec l'argent impliquant une partie beaucoup plus importante de la société qu'auparavant », explique Jane Kershaw, avant d'ajouter :
Ces beaux objets de prestige n'auraient été fondus que lorsqu'un roi ou seigneur avait un besoin urgent de beaucoup d'argent. Quelque chose d'important devait se passer, un grand changement social.
Sous Charlemagne, un tournant monétaire en Europe occidentale
Les recherches confirment par ailleurs que les pièces ultérieures, datées de 750 à 820 après J.-C., ont comme soupçonné été conçues à partir de métal fraîchement extrait de Melle en France, alors Francie. « L'empreinte » de l'argent provenant de cette source a considérablement augmenté au cours de cette dernière période, notamment à la suite des réformes monétaires de Charlemagne.
Pour stabiliser et unifier la monnaie dans l'Empire carolingien, le roi des Francs puis empereur d'Occident aurait en effet, au VIIIe siècle, introduit le denier en argent comme monnaie standard, rationalisé la frappe des pièces dans des ateliers monétaires centralisés, imposé des normes de qualité strictes et réorganisé le système de compte. L'étude confirme que ces facteurs politiques et administratifs ont contribué à la diffusion de l'argent, dans les territoires de Charlemagne et au-delà – notamment, dans les royaumes anglais, de plus en plus dépendants du précieux métal.
« Il y a beaucoup de conclusions intéressantes à tirer de cette recherche. Elle montre l'importance de la force économique de la Méditerranée orientale pour la renaissance de l'Europe du Nord-Ouest, et un projet de suivi précieux serait d'examiner les mouvements antérieurs de l'argent entre l'est et l'ouest », conclut auprès de Newsweek Rory Naismith, professeur du Département anglo-saxon, nordique et celtique du Corpus Christi College de Cambridge et coauteur de l'étude.
Mathilde Ragot - 15/04/2024
Source : GEO