Le vase de Colchester et sa représentation de gladiateurs. Colchester Museums. Getty Images / CM Dixon / Print Collector
Aucun amphithéâtre n'a encore été identifié dans la première capitale provinciale de la Grande-Bretagne romaine, Camulodunum, aujourd'hui Colchester (comté d'Essex, sud-est de l'Angleterre). Mais les traces d'un cirque romain, le seul documenté en Britannia, renforce l'idée que la cité était autrefois un centre de divertissement public, où se déroulaient courses de chars et combats de gladiateurs. En témoignent d'ailleurs les découvertes de fragments de peintures murales représentant ces combattants, de moules servant à produire des figurines ou encore, d'un couteau dont le manche représente un mirmillon, lutteur lourdement équipé.
Le dit « vase de Colchester » vient s'ajouter à cette longue liste d'indices. La céramique, produite localement vers 160-200 apr. J.-C., est en effet ornée de scènes de gladiateurs. Mais une nouvelle étude, menée par une équipe multidisciplinaire d'experts en archéologie, épigraphie et analyse isotopique et publiée dans la revue Britannia le 20 février 2025, suggère qu'il était bien plus qu'un simple objet décoratif : il aurait été commandé pour commémorer un spectacle réel, avant d'être réutilisé comme urne funéraire.
Un témoignage unique sur les gladiateurs
Contrairement aux autres vases décorés de scènes de gladiateurs, souvent génériques et produits en série, le vase de Colchester présente une iconographie et une inscription qui semblent personnalisées pour un événement spécifique. Parmi les noms mentionnés figure d'abord celui de Memnon, un secutor, combattant lourdement armé s'opposant au retiarius, équipé d'un trident et d'un filet. L'appellation de « Memnon » faisant référence au roi éthiopien de la guerre de Troie, il pourrait s'agir d'un nom de scène. La gravure indique en outre qu'il aurait participé à au moins neuf combats, laissant supposer une carrière notable.
Un autre nombre évoqué est celui de Valentinus, lié à la Legio XXX Ulpia Victrix (littéralement, « 30e Légion victorieuse de Ulpius »), stationnée à Xanten dans l'actuelle Allemagne. La question de la présence de troupes de gladiateurs dans les unités de l'armée romaine fait encore débat parmi les historiens. Sur la céramique, l'absence du nombre de combats enregistrés pour Valentinus, comme c'est le cas pour Memnon, pourrait indiquer qu'il s'agissait d'un tiro, ou gladiateur novice, commençant tout juste son parcours. Sont enfin mentionnés les noms de Secundus et Mario, associés à un combat contre un animal.
Le style détaillé et la finesse de l'inscription, d'une qualité calligraphique exceptionnelle, semblent confirmer l'hypothèse selon laquelle le vase de Colchester était une pièce unique plutôt qu'un simple souvenir générique, fabriqué localement dans des fours situés à l'ouest de Camulodunum. Les récentes analyses montrent en outre que la gravure a été inscrite avant sa cuisson, et non après, ce qui suggère l'intervention d'un artisan qualifié.
Le vase de Colchester, de l'arène à la tombe
Par la suite, le vase de Colchester a finalement été utilisé comme urne funéraire. Les analyses isotopiques des os crématisés révèlent que l'individu enterré était un homme de plus de 40 ans, non originaire de Camulodunum. Bien qu'il soit peu probable qu'il ait été l'un des combattants évoqués dans l'inscription, le fait qu'il ait été inhumé avec un objet aussi prestigieux pourrait refléter son rôle important dans la tenue des jeux. Peut-être s'agissait-il d'un organisateur (editor) ou d'un entraîneur (lanista), supposent les auteurs de l'étude.
Ces récentes trouvailles autour de l'objet soulignent son importance en tant que témoignage essentiel des combats de gladiateurs en Britannia romaine, qui semblent y avoir été courants, même sans amphithéâtre dédié. Elles mettent en lumière les liens complexes entre la culture locale, l'influence militaire et les artistes qui captivaient les foules il y a 1 800 ans. Elles s'inscrivent en outre dans le cadre du fascinant projet Decoding the Dead (« Décrypter les morts ») des musées de Colchester, qui vise (plus largement) à analyser les pratiques funéraires romaines en utilisant des approches ostéologiques et isotopiques.
Mathilde Ragot - Journaliste rédactrice web Histoire GEO.fr – 25 février 2025