FILS DE PUB

La publicité est omniprésente : il est quasi impossible de s’y soustraire. Elle s’impose partout, de manière souvent agressive, au point d’en irriter de plus en plus. Les arguments contre elle sont légion : elle fait volontiers appel aux plus bas instincts ; elle manipule, en s’attaquant au subconscient ; suscitant des besoins superflus, elle provoque surconsommation et gaspillage ; elle dégrade l’environnement, directement (consommation énorme de papier) et indirectement (surconsommation) ; elle génère des surcoûts inutiles (l’industrie pharmaceutique dépense plus en publicité qu’en recherche et bien plus de la moitié du prix de certaines lessives passe en publicité).

Mais qui sait que la publicité, le marketing et le ‘design’ sont d’énormes machines à fraude fiscale, voire à recyclage d’argent ? Prenons le financement du sport par la publicité. Comme la rentabilité de la publicité n’est pas objectivable, ses coûts peuvent être gonflés sans rapport avec son rendement en chiffre d’affaires. Personne, et certainement pas le fisc, ne peut déterminer exactement la valeur d’une campagne. Cela permet à certains de mettre en place le mécanisme suivant, on finance une campagne ou on sponsorise une équipe sportive. Cela coûte très cher, mais c’est déductible fiscalement. L’équipe sportive perçoit de fortes sommes, qui permettent de gros débours : les sportifs eux-mêmes, les managers, les services techniques ont des rémunérations sans commune mesure avec le commun des mortels. Comme ils gagnent beaucoup, ils s’exilent dans des paradis fiscaux où on paye peu ou pas d’impôt. Et personne ne peut dire comment ils dépensent leur argent. Une partie de ces montants est alors ristournée discrètement à celui de qui a dépendu la décision de la publicité : notamment ces dirigeants d’entreprise, familiers des parachutes dorés et des stock options, lesquels sont malheureusement taxés. Tandis que la pub est une manière imparable de se sucrer en échappant au fisc. Ou de sucrer des clients.

Un modèle scolaire : la Formule 1 avec ses budgets faramineux. L’essentiel de son financement se fait par les recettes publicitaires. Badges des pilotes, autocollants sur les voitures, fonds d’écrans lors des conférences de presse, panneaux publicitaires relayés dans le monde entier par les télévisions qui doivent casquer pour les retransmettre… Un cas : Monsieur Lavard est CEO de la firme Bidule SA. Il décide de sponsoriser l’équipe de Formule 1 Machintruc. On placera le logo Bidule sur la combinaison du pilote Ayrton Johnston (domicilié à Monaco) et des autocollants sur les deux faces de la voiture. On appellera aussi l’écurie du nom de Bidule. Le tout pour un budget publicitaire de cent millions d’euros. C’est cher, mais la Formule 1 évolue par nature dans les Grand Prix. Le fisc ne peut rien y faire. Et il y a peu de chances que les actionnaires rouspètent. Que cette coûteuse campagne permette ou non d’augmenter le chiffre d’affaires est difficile à déterminer et ne peut s’évaluer qu’a posteriori. Le pilote touchera dix millions d’euros, sans impôts ni cotisations sociales. Conformément au contrat, il ristournera trois millions sur un compte discret. Ce montant se partagera en un million pour arroser les politiciens dont dépendent des contrats d’achat avec la firme Bidule, un million pour divers intermédiaires et agents d’influence et le solde pour Lavard qui sait comment gérer sa société.

Si l’écurie doit financer la mise au point du châssis par la firme Charrette, dont le siège est aux îles Cayman, on doit admettre que cette opération échappe aux critères courants. 4 millions sont raisonnables. Deux millions servent effectivement à la mise au point, mais le solde est ristourné sur un compte numéroté qui permettra de verser un bonus en noir aux cadres de la firme Bidule, de constituer un bas de laine pour la maîtresse de Lavard, de donner un supplément en noir aux mécaniciens de l’équipe de compétition et un petit cadeau au responsable de la banque Fortiche qui a si rapidement accordé un crédit à la firme Bidule.

Les possibilités sont très larges. On pourrait citer des exemples dans le cadre d’autres activités, tennis, football, cyclisme, et d’autres secteurs, connexes à la publicité. Sait-on par exemple que le ‘design’ d’une bouteille en plastique destinée à contenir l’eau d’une célèbre source belge à coûté, à l’époque, plus d’un milliard de francs belges, intégralement déductibles comme investissement. Et qu’une partie aurait été rétrocédée discrètement par le designer (domicilié dans un paradis fiscal) à la famille qui contrôle la société d’exploitation. Le fisc, soupçonneux, n’a rien pu y faire !

S’attaquer aux paradis fiscaux est une option. Curieusement la liste noire dressée récemment par l’OCDE ne reprend pas des paradis fiscaux liés à certaines puissances (l’Etat US du Delaware, par exemple). Il serait plus logique de s’attaquer directement à la publicité. Celle-ci n’apporte aucune plus value en matière de bien-être. Au contraire, elle pourrit le sport. Mais aucun politicien traditionnel n’oserait s’attaquer à cette vache sacrée. Ils ont besoin des publicitaires pour leurs campagnes électorales. Et de la presse pour leur notoriété, or la presse, traditionnelle et ‘idiot-visuelle’, est financée essentiellement par la publicité. Une telle réforme se heurte donc à un solide cartel : les publicitaires, la technostructure économique et les politiciens.

François-Xavier Robert

Article paru dans Renaissance Européenne
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Belgique

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