drapeau confédéré 

Dixie (Un chant sudiste né dans le… Nord)

« I wish I was in the land of cotton (…) look away, look away, look away, Dixieland »… Qui ne connaît pas Dixie, ce chant de la guerre de sécession qui est devenu une sorte d’hymne national sudiste ? Et pourtant, ce chant ne fut pas écrit ni même chanté dans le Sud pendant la guerre de sécession. En voici l’histoire.

Transportons-nous à New York en 1859. Un samedi soir. L’impresario des Bryant’s Minstrels, un de ces groupes qui se produisent à travers tout le pays avec des numéros de music hall, interpelle Daniel D. Emmett. Emmett, c’est le songwriter du groupe, celui chargé d’écrire quasiment chaque jour une chanson pour renouveler le répertoire des Bryant’s Minstrels.

– Daniel, faudrait que tu nous pondes vite fait bien fait un truc entraînant pour la séance de lundi prochain.

Emmett passe son dimanche à chercher quelque chose de neuf. Avec un bon départ : « Oh, I wish I was in Dixie ». Ce qui n’était pas, comme on pourrait le croire, la plainte d’un Sudiste far away from home – Emmett est d’ailleurs natif de l’Ohio – mais une expression courante à l’époque chez les gens du spectacle quand ils entamaient leurs tournées d’automne-hiver dans le Nord glacial : « Ah, comme j’aimerais être dans le Sud plutôt qu’à me peler ici… »

Le lundi, le chant est prêt. Les Bryant’s Minstrels l’interprètent. Et c’est un succès. Après le spectacle, le public repart en chantant ou en sifflant Dixie. Emmett touchera royalement 5 dollars pour le prix de son travail. Une misère. Sauf que Dixie va bientôt faire un tabac à New Orleans. Et qu’un impresario local paie 600 dollars à Emmett les droits d’utiliser la chanson (1).

Et nous voilà en 1861 au Big Easy’s Theatre de New Orleans où l’on joue la pièce Pocahontas. Et un chef d’orchestre qui cherche un morceau enlevé pour accompagner la marche des Zouaves au final. Et ce soir-là, quand les Zouaves d’opérette et la vedette de la pièce, Miss Susan Denin interprètent Dixie, c’est du délire dans la salle. Rappels, standing ovation, enthousiasme général.

Et nous en arrivons à la guerre entre les États. Chantée dans tous les bars, les saloons, les rues de New Orleans, Dixie devient pour les Sudistes ce que La Marseillaise est à la France.

De nouvelles paroles y seront adjointes pour s’adapter à la situation de guerre (2). Les meilleures sont dues à Albert Pike, né en Nouvelle-Angleterre – dans le Nord, donc – mais engagé du côté sudiste et élevé au grade de colonel, il commandera notamment une brigade indienne à la bataille de Pea Ridge en 1862.

Et Daniel Emmett dans tout ça ? Eh bien, il eut des problèmes avec ses compatriotes nordistes qui l’accusèrent d’être « un traître » pour avoir donné aux « rebelles » beaucoup plus qu’une simple chanson : un hymne national !

Notes :

(1) Et il l’utilisera ! En l’imprimant à des milliers d’exemplaires sans verser le moindre cent à Daniel D. Emmett…

(2) Fanny J. Crosby essaiera – en vain – de détourner Dixie avec des paroles pro-nordistes.

 

 

 

 

 

 

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Bonnie Blue Flag

Armand E. Blackmar (1826-1888) est l’homme qui donna aux rebelles sudistes quelques-uns de leurs plus beaux chants. Quelques jours après avoir pris le contrôle de New Orleans, occupée par les Nordistes le 1er mai 1862, le général yankee Benjamin Buttler (surnommé « la Bête », ce qui résume le personnage) convoqua Armand Edward Blackmar. Pour lui demander des comptes.

Blackmar, qui a une affaire de publication de partitions de musique, a dû – comme tous les chefs d’entreprise de New Orleans s’ils voulaient continuer de travailler – faire allégeance à l’Union. Ce qui ne l’empêchait pas de continuer de publier et de diffuser tous les chants célébrant la Confédération. À commencer par le fameux Bonnie Blue Flag, si populaire qu’il était en rivalité avec Dixie en tant qu’hymne non officiel du Sud. Furieux de la résistance de New Orleans et de ses habitants, le général Buttler intima l’ordre à Blackmar de détruire toutes les plaques d’impression du Bonnie Blue Flag et toutes les copies du chant. Et il décida de punir de 25 dollars d’amende toute personne surprise à jouer, à chanter ou même à siffloter ce chant subversif…

Pour punir Blackmar d’avoir continué à publier Bonnie Blue Flag malgré ses interdits, Butler lui inflige 500 dollars d’amende et le condamne à une peine de prison dans le pénitencier nordiste de Ships Island sur le Mississippi. À l’énoncé de la sentence, Blackmar tourne les talons et, encadré par des soldats, quitte le bureau de Buttler en sifflant Bonnie Blue Flag.

Armand Edward Blackmar est né à Bennington, Vermont, en 1826. En 1834, il suit sa famille à Cleveland, Ohio. Après avoir fait ses études au Western Reserve College, il s’installe en 1845 à Huntsville, Alabama, où il donne des leçons de piano et de violon et, à l’occasion, mitonne des arrangements musicaux pour l’orchestre local. En 1852, il est professeur au Centenary College, une institution méthodiste de Jackson, Louisiane. C’est d’ailleurs là qu’il transformera son prénom en Armand, à cause des nombreux francophones de la ville qui écorchent systématiquement son prénom d’origine : Harmon.

Après quatre années de professorat, il ouvre un magasin de vente d’instruments de musique. Deux ans plus tard, il vend son magasin et s’installe à Vicksburg, Mississippi, où il s’associe avec un nommé E.D. Patton. Les deux associés ouvrent une music store sur Washington Street et commencent à publier des partitions sous le label A.E. Blackmar & E.D. Patton. Un an plus tard, Blackmar était rejoint par son plus jeune frère Henry Clay. Ils vont racheter les parts de Patton et développer une nouvelle société, Blackmar & Bro.

Mais Vicksburg est une trop petite ville pour Blackmar qui rêve de s’installer à New Orleans qui est alors la capitale musicale du Sud et la grande rivale sur ce plan-là de New York et de Philadelphie. En 1860, un magasin, A.E. Blackmar and Brother, s’ouvre au 74 Camp Street à New Orleans. La même année, Blackmar épouse Margaret B. Meara. Leur premier enfant (ils en auront trois, dont un décédé dans la petite enfance), une fille, naît en 1861. Pour bien montrer leur patriotisme sudiste, ils la prénomment Louisiana Rebel.

Devenu une personnalité de New Orleans, Blackmar reçoit la visite, en mars 1681, de Harry Macarthy, surnommé The Arkansas Comedian. Macarthy vient d’écrire Bonnie Blue Flag, qui a fait un succès à Jackson, Mississippi, et il propose à Blackmar de publier la chanson. Blackmar l’écoute la lui chanter, sur un vieil air irlandais, The Irish Jaunting Car, et n’hésite pas une seconde : il en rachète les droits pour 500 dollars et un piano.

Après quelques arrangements musicaux de son cru, Blackmar publie Bonnie Blue Flag. C’est un succès immédiat. Dans le même temps, il publie Maryland, My Maryland !, « chant patriotique » écrit par James Ryder Randall sur l’air de O Tannebaum. Quand d’autres éditeurs publieront ce chant, Blackmar en fera une nouvelle édition avec cet avertissement de Randall : « Ayant vendu les droits de mon poème, Maryland, My Maryland ! à Blackmar & Bro., je certifie que cette édition est la seule qui a mon approbation. »

Dès l’occupation de New Orleans par les Yankees, Blackmar va être inquiété. D’abord parce qu’il publie des chants patriotiques interdits, mais aussi parce que son réseau de distribution, qui s’étend à Atlanta (Géorgie), à Mobile (Alabama) et à Richmond (Virginia), sert manifestement – sous couvert de partitions musicales – de réseau d’espionnage au bénéfice des Sudistes.

Pendant que Blackmar est en prison et que le général Benjamin « The Beast » Butler traque tous les exemplaires du Bonnie Blue Flag, son frère Henry en récupère autant qu’il peut et s’enfuit à Augusta (Géorgie) où il ouvre un nouveau magasin au 255 Broad Street.

Libéré de prison, Blackmar – toujours placé sous surveillance – va s’employer tout le temps de la guerre à écrire des chants patriotiques sous divers pseudonymes : Beauregard’Manassas Quickstep (signé « A. Noir »), Goober Peas (signé « A. Pender »), Short Rations (signé « Ye Comic »), My Warrior Boy (signé « A.E.A. Muse »), etc.

Son frère Henry, lui, réussit bien à Augusta et ouvre bientôt un magasin plus grand au 199 Broad Street. Avec à son catalogue un des plus grands succès du répertoire sudiste : Our First President’s Quickstep. Un morceau enjoué qui mettait le premier président (et de fait le dernier) de la Confédération, Jefferson Davis, sur le même plan que George Washington.

Armand et Henry Blackmar continueront leur commerce à Augusta jusqu’en 1865. Puis ils vendront leur stock – quelque 15 000 morceaux de musique et 3 700 publications diverses – au parolier John Hill Hewitt.

Après la défaite du Sud, Armand Blackmar s’appliquera à maintenir les traditions musicales sudistes en donnant gratuitement des leçons de piano et de violon, organisant aussi avec d’autres musiciens des concerts gratuits.

Mais les rapports se gâtent entre les deux frères. Henry, qui a toujours regretté de n’être que le « Brother » de la raison sociale, décide de tenter sa chance en solo. Armand quitte alors Augusta et se réinstalle à New Orleans au 1657 Canal Street. En 1868, son affaire étant de nouveau florissante, il ouvre de nouveaux magasins et indique sur ses publications : A.E. Blackmar (successeur de Blackmar & Bro et de Blackmar & Co.).

Henry, lui, ne connaît pas la même réussite et, en 1871, sollicite de son frère un poste d’employé. En 1876, il ouvre son propre magasin au 199 Canal Street, presque en face du magasin de son frère.

Signalons qu’en plus de ses qualités de musicien et de businessman, Blackmar fut un maître aux échecs, développant même une série de « coups », toujours étudiés et appliqués de nos jours : le Blackmar Gambit (« la tactique Blackmar »). Et il publiera un article sur le sujet dans le Brentano’s Chess Monthly de juillet 1882.

En 1877, Blackmar déménage à San Francisco où il s’associe avec un certain Louis Davis. C’est un échec et, en 1880, il revient à New Orleans. D’abord employé d’un de ses anciens concurrents, il se remet dans les affaires en 1885. Il mourra trois ans plus tard, le 28 octobre 1888.

 

 

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