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Le sabotage des deux gazoducs russes Nord Stream 1 et 2 qui desservent l’Allemagne est un événement de portée considérable. Nous saurons plus tard lorsque l’Histoire s’en sera emparée, ce qui s’est passé réellement. Aussi aujourd’hui se contentera-t-on de quelques observations à partir du maelstrom d’informations déversé par les médias et les réseaux.

Un événement historique.

Si l’on comprend bien, il s’est trouvé un État pour monter une opération sophistiquée nécessitant précisément des moyens étatiques. Opération sophistiquée, qui va probablement rendre inopérant deux installations décisives pour l’avenir énergétique et industriel de l’Allemagne. Cette dernière ne devrait pas s’y tromper, c’est bien une agression majeure contre elle-même et sa population. L’absence de réaction à la hauteur de l’événement de la part de l’actuelle direction du pays et de ce point de vue assez stupéfiante. Et témoigne du niveau consternant des équipes gouvernementales composées de sociaux-démocrates pusillanimes et d’écologistes aussi incompétents qu’atlantistes furieux. Les deux gazoducs sabotés sont donc affectés par des fuites importantes qu’il serait techniquement extraordinairement difficile de colmater. Par ailleurs si l’on comprend bien, si la circulation du gaz était arrêtée, ils se rempliraient d’eau de mer et seraient donc définitivement inutilisables. La dépendance énergétique de l’Allemagne vis-à-vis de la Russie la place donc dans une situation finalement assez dramatique.

 

Célérusses !

Les réseaux sociaux charrient le pire et le meilleur, mais sont aussi un moyen d’expression assez réjouissant de l’humour. Toute la journée du 28 les petits malins s’en sont donnés à cœur joie. La palme revenant à celui qui, pour conclure à la responsabilité russe, inscrivait sur une photo du bouillonnement du gaz s’échappant en mer Baltique la phrase : « un passeport russe a été trouvé flottant milieu des bulles ». Les médias système français quant à eux, ne se gênaient pas pour avancer immédiatement et sérieusement la même hypothèse. On reviendra un peu plus bas sur cette constance masochiste à se déconsidérer en toutes circonstances. L’hypothèse de la responsabilité russe est assez ridicule, même si bien sûr on ne peut jurer de rien. Mais effectivement on voit mal pourquoi Moscou qui tient les robinets se débarrasserait d’un moyen de pression essentiel sur le pays qui dirige effectivement l’UE. En se privant de ressources qui viennent quand même compléter celles obtenues par la diversification de ses clients. Accuser les Russes, c’est considérer que pour éteindre une gazinière, plutôt que de tourner le bouton, il vaut mieux donner un coup de hache sur le tuyau. Ce qui est d’ailleurs intéressant, c’est que lorsque l’on se tourne vers les États-Unis pour voir ce que la presse en dit, en constate que les journalistes américains n’hésitent pas à poser le problème et à interpeller, voire accuser l’administration Biden. Malheureusement chez nous cet épisode a permis de constater une fois de plus l’effondrement intellectuel et déontologique de la classe médiatique qui s’est précipitée sans aucun complexe sur l’hypothèse la moins crédible. Avançant par exemple l’argument inepte de la volonté russe de faire monter le prix du gaz ou de porter préjudice à l’Allemagne son meilleur client. Inepte parce qu’il leur suffisait de tourner le bouton. Ou celui de la volonté russe de porter préjudice à l’image des États-Unis en Occident. Ils ont pourtant fait la démonstration à plusieurs reprises qu’ils s’en moquaient éperdument. Triste constat de voir que dans cette sphère occidentale les élites françaises de la communication sont, ou les plus bêtes, ou les plus corrompues.

 

Rouletabille mène l’enquête

Dans le petit Cluedo de la recherche du coupable, il y a beaucoup d’indices convergents, voire quasiment des preuves qui établissent la culpabilité des États-Unis. Tout d’abord il faut les moyens d’un État pour une opération de cette envergure dans une des zones maritimes les plus surveillées du monde. Et l’on apprend que la Navy et ses alliés anglais s’étaient livrés il y a quelques semaines à des manœuvres sous-marines dans la zone…

Sans oublier nous disent ceux qui ne sont pas amnésiques, que les États-Unis ont toujours craint la dépendance allemande vis-à-vis de l’énergie soviétique puis russe. Et que si ces derniers ont toujours respecté scrupuleusement leurs contrats de fourniture, les seules perturbations ont eu pour origine des sabotages des gazoducs par la CIA. Autorisés, nous apprennent aujourd’hui des documents déclassifiés, par un décret du président Reagan !

Il y a bien sûr le fameux tweet du parlementaire polonais ancien ministre de la défense des affaires étrangères Radek Sikorski, affichant la célèbre photo du bouillonnement Baltique accompagnée de ces mots : « thank-you, USA. ». Sikorski appartient notoirement à la secte néo conservatrice de Washington, et ses liens étroits avec les services des États-Unis sont connus. Cela transforme tout simplement son tweet en aveu. L’implication polonaise est également probable, car au même moment était annoncée l’inauguration d’un gazoduc entre la Norvège et la Pologne. Offrant à celle-ci une situation de force vis-à-vis de l’Allemagne, puisqu’actuellement une partie du gaz russe transite encore par son territoire (et celui de l’Ukraine d’ailleurs). Soucieuse de conserver cette position privilégiée, la Pologne s’est toujours très vivement opposée à Nord stream 2. On ajoutera les relations « cordiales » qui existent actuellement avec l’Allemagne à qui la Pologne vient de présenter une vertigineuse facture de réparations des atrocités commises chez elle entre 1939 et 1944. Toujours astucieux nos amis allemands ont pris ça de haut et répondu avec mépris. Les Polonais qui sont limitrophes de l’Ukraine et jouent un rôle important sinon essentiel dans l’implication de l’OTAN dans le conflit, ont probablement eu quelques solides arguments vis-à-vis des États-Unis. Larry Johnson, vétéran de la CIA et du bureau de lutte contre le terrorisme du Département d’État retient cette hypothèse et conclut avec drôlerie : « Mais attendez, cela ne crée-t-il pas de vrais problèmes pour l’Allemagne ? Bien sûr, mais la Pologne « ne s’en soucie pas ». Il y a eu ce petit incident appelé Seconde Guerre mondiale et il semble que les Polonais en veuillent encore aux Allemands. Si la vengeance est un plat qui se mange froid, cette fois-ci le dîner sera congelé ».

 

Les motivations américaines

Si l’on retient l’hypothèse américaine, le mobile polonais pour intéressant qu’il soit, ne serait pas suffisant. Quel serait donc l’intérêt des États-Unis à mener une pareille opération sur l’origine de laquelle il est peu probable que les élites allemandes soient dupes ? C’est bien évidemment une façon de leur brûler les vaisseaux, car désormais la voie d’un compromis éventuel avec les Russes comme le souhaite Angéla Merkel est définitivement fermée. Les manifestations de rue auxquelles on assistait réclamant la réouverture de Nord stream 1 et la mise en service de Nord stream 2 pour passer l’hiver, vont maintenant résonner dans le vide. Premier avantage pour Washington, les Allemands ne vont plus pouvoir s’opposer ou être réticents à la poursuite de la guerre contre la Russie par Ukraine interposée.

Du fait de la dépendance de l’industrie allemande à l’énergie russe, la situation économique et par conséquent politique de l’Allemagne risque de tourner à la catastrophe. Deuxième avantage ainsi que l’affaiblissement drastique d’un concurrent industriel accompagné des répercussions que cela ne manquera pas d’avoir sur l’UE. Que les Américains ne tiennent pas vraiment en affection. Même si actuellement ils n’ont pas à se plaindre de la servilité.

Il ne faut probablement pas imaginer l’administration américaine comme un bloc. L’État, profond ou pas, est traversé de contradictions et si les néoconservateurs bellicistes excités sont puissants, et viennent de remporter la mise avec ce sabotage, il existe des contrepoids. Et surtout c’est un pays terriblement divisé, dans une situation qu’il n’est pas excessif de qualifier de « guerre civile culturelle », et qui va connaître le 8 novembre prochain des élections que certains voient comme les «mid-term » les plus importantes de l’histoire du pays. Les Russes méthodiques et déterminées prennent leur temps militairement en Ukraine, en attendant eux aussi cette échéance.

Les Chinois font de même et le reste du monde assiste intéressé, au spectacle de cet Occident qui se débat dans les affres tumultueux de la fin de son hégémonie.

Régis de Castelnau

Source : VU DU DROIT (29 SEPTEMBRE 2022)

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