De passage à Paris pour des rencontres avec différentes personnalités politiques françaises dans le but de développer les liens qui unissent la Serbie et la France, le député de la majorité Jovan Palalic nous a accordé un entretien concernant la situation actuelle en Europe.
Propos recueillis par Pierre Camus
Peu avant les élections législatives de juin 2020 vous disiez pour le journal Causeur que « la foi en l’avenir de la nation était encore présente » (Causeur, 20 juin 2020), deux ans plus tard et face au récent conflit en Ukraine, cette foi est-elle toujours autant présente selon vous ?
Après deux ans, je peux dire que la situation est pratiquement la même. Nous avons un problème concernant le Kosovo, nous subissons une pression qui vient de Bruxelles et de l’Allemagne particulièrement concernant notre position sur le Kosovo. Ils veulent que nous reconnaissions l’indépendance du Kosovo qui est pour moi un « faux État » si je peux dire. Après le début de la guerre en Ukraine, il y a eu un autre problème qui est celui de notre position vis-à-vis de la Russie. Car la Serbie veut rester un État indépendant et libre de gérer sa politique, de défendre ses intérêts et de conserver sa position de pays neutre et sa position d’équilibre entre l’Union européenne et la Russie. Le troisième problème est notre position concernant les Serbes vivant au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine, ils veulent détruire cette politique de neutralité et notre souveraineté qui dépendent de notre histoire. Car le peuple serbe ne peut imaginer vivre sans un État indépendant, sans liberté et sans être maître de son destin. Notre politique est d’être membre de l’Union européenne, mais les conditions sont pour nous insupportables, le peuple serbe ne peut accepter ces conditions, de renoncer à son territoire. Parce que le Kosovo est le berceau de notre peuple. Concernant la Russie, c’est un point très compliqué, parce qu’il y a un chantage incessant de la part des pays occidentaux.
Justement, la Serbie est officiellement candidate pour adhérer à l’UE, mais pour prendre l’exemple de la crise du Coronavirus, la majorité des aides vous sont venues de Chine et de Russie, pensez-vous toujours qu’il est bon pour votre pays d’adhérer à l’UE, d’autant plus aux vues des résultats très positifs de votre gouvernement et du délitement partiel de l’UE (Brexit, augmentation des tensions et désaccords entre les membres…) ?
C’est une question très importante. Selon moi, après la crise sanitaire, le peuple serbe s’est posé la question de savoir qui était l’Union européenne pour lui faire peur, et a augmenté les désillusions de notre peuple concernant l’UE. Je peux voir à travers les sondages, qu’avant la crise du Coronavirus, que le peuple était majoritairement favorable à l’adhésion à l’UE. Mais après la crise sanitaire, durant laquelle nous n’avons pas eu de vaccins, le peuple a été déçu. Nous avons pu voir l’attitude de l’UE concernant la Serbie, car nous étions exclus de l’aide venant d’elle. Notre gouvernement selon moi à fait le bon choix et pris la bonne décision de s’adresser à la Russie et à la Chine, c’est-à-dire à d’autres producteurs de vaccins : il nous fallait trouver une solution. C’est une grande erreur de l’Europe, car nous pouvions sentir une arrogance envers le peuple et l’État serbes qui ne sont pas membres de l’Union. Maintenant, après la révolution démocratique en 2000, la majorité des peuples était contre l’adhésion à l’UE. Mais les désillusions de la crise sanitaire et les pressions subies depuis le début de la guerre en Ukraine ont inversé la tendance.
Malgré sa neutralité militaire et leurs antécédents (notamment en 1999), comment la Serbie perçoit-elle l’OTAN ? Penserait-elle y entrer comme y pensent la Finlande ou encore la Suède depuis quelques mois ?
Pour notre peuple cette question est claire. Premièrement, nous avons été bombardés 73 jours et après, l’OTAN a pratiquement créé le faux état du Kosovo. La majorité du peuple serbe est contre cette organisation. Je vous donne les derniers sondages, plus de 83% sont contre l’adhésion à l’OTAN. La position est claire, ce n’est pas possible dans un avenir imaginaire de changer la position du peuple serbe. Notre position est très forte et très claire : nous voulons être neutres militairement. J’ai écouté beaucoup de politiciens américains qui ont provoqué l’agression, ils disent que c’était une grande erreur parce que militairement parlant, ils avaient perdu la Serbie.
De la même manière, les pays baltes se sentent également menacés, peut-être même davantage à cause de leur proximité avec la Biélorussie, pensez-vous que ces craintes soient justifiées ?
Je ne peux avoir de conclusion claire et précise aujourd’hui, mais peux dire que je peux comprendre et ressentir la peur. Mais parfois, ils me paraissent être simplement utiles dans les mains des États-Unis, pour créer une atmosphère hostile à la Russie. Il y a une division en Europe faite par les politiciens américains : l’Europe vieille et l’Europe nouvelle. Cette dernière a pour but de faire un corridor entre l’Europe vieille, en premier lieu l’Allemagne et la France, et la Russie. Et ces pays qui font partie du corridor sont pratiquement tous sous le contrôle des Américains, d’une manière ou d’une autre, et nous sentons que leurs paroles sont plus agressives que celles des pays de la vieille Europe. Il y a un problème avec ce clivage, alors que l’Europe devrait être unie et forte. Il serait plus facile et plus acceptable pour la Serbie d’intégrer une Europe forte, unie, que ce soit économiquement, militairement ou politiquement, mais en ce moment nous voyons une forte présence des États-Unis qui créent une atmosphère de clivage, avec pratiquement le but de diviser et d’affaiblir l’Europe.
Concernant les négociations avec le Kosovo, un accord de libre circulation a récemment été conclu quelques semaines après des tensions à la frontière début août, comment voyez-vous l’évolution de la question du Kosovo dans les prochaines années ? Et toujours pour lier cela à l’actualité, le conflit russo-ukrainien a-t-il changé certaines choses dans ces négociations, même si la situation n’est pas comparable ?
Absolument ! Puisqu’il y a, depuis le début de guerre en Ukraine, une augmentation des pressions, de l’activité des puissances occidentales envers la Serbie, pour qu’elle résolve rapidement la question du Kosovo. Parce qu’avant la guerre, la Russie défendait la position de la Serbie auprès du conseil de sécurité de l’ONU. En ce moment elle est en dehors de la politique européenne. Et maintenant certains, l’Allemagne en tête avec les États-Unis, pensent que le principal pilier de la Serbie n’est plus et qu’elle est seule, sans son allié le plus important. Les États-Unis – et l’Allemagne – veulent imposer leur présence dans toute la région des Balkans et expulser l’influence russe qu’il pourrait y avoir. Selon l’ONU, la question du Kosovo était le dernier conflit qui n’était pas résolu, et considère donc qu’il faut faire pression sur la Serbie pour reconnaître l’indépendance du Kosovo. Nous pouvons voir deux ou trois initiatives : la visite du chancelier allemand Scholz en juin à Belgrade, durant laquelle il a ouvertement dit que l’UE attendait de la Serbie qu’elle reconnaisse l’indépendance du Kosovo si elle voulait un jour être membre de l’Union. Deux mois après sa visite, fin août début septembre, nous avons reçu des papiers, un à-propos commun de Scholz et Macron, pratiquement un plan, en deux étapes, du chemin vers un accord final entre la Serbie et l’Union européenne. La première est que la Serbie doit accepter l’existence du Kosovo comme état indépendant, sans pour l’instant l’obligation de le reconnaître et de résoudre toutes les questions techniques qu’impliquerait un tel processus. Finalement, à la dernière étape pour adhérer à l’UE, la Serbie devra reconnaître l’indépendance du Kosovo. C’est écrit ouvertement. Derrière toutes ces initiatives européennes se trouvent les États-Unis, et leurs initiatives communes visent à faire pression, à effectuer un chantage à la Serbie. Parce que dans ce même papier rédigé par Macron et Scholz, il y a de plus la menace de sanctions économiques si la Serbie ne reconnait pas l’indépendance du Kosovo, et diplomatique avec une potentielle interdiction des visas pour les Serbes. Ce sont des menaces directes. La situation est donc pour nous très compliquée, car à cela s’ajoutent et se mêlent nos positions face aux sanctions contre la Russie qu’ils veulent faire évoluer. Nous sommes l’exemple en ce moment qu’un pays peut exister en menant sa politique seul et indépendamment des autres, ne suivant exclusivement que ses intérêts.
Pour revenir à votre question sur l’évolution de la question du Kosovo, je ne peux répondre précisément, mais je peux seulement vous dire que le peuple serbe est absolument contre la reconnaissance du Kosovo (80% du peuple), mais avec tout ce que cela implique vis-à-vis de l’Union européenne. Ce n’est pas acceptable pour nous, et je pense qu’il est impossible et surtout inacceptable qu’un gouvernement reste au pouvoir, alors qu’il va contre la volonté de son peuple. Nous demandons une certaine compréhension envers un pays qui aujourd’hui est seul, qui fut le seul à être bombardé et sous sanctions, qui aujourd’hui est le seul à être menacé de sanctions pour avoir été contre les sanctions envers la Russie, seul pays qui nous a soutenu lorsque nous-mêmes étions sous sanctions, ce n’est pas moral. Il n’y a pas de liberté.
Source : Site de la revue Conflits