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« Tu fais ce que tu veux, je fais ce que je veux » est une formule de Mao Zedong. Elle illustre parfaitement l’approche stratégique et tactique de la guerre populaire, caractérisée par la souplesse et la mobilité, visant à maximiser les forces tout en évitant les faiblesses, et à conquérir et conserver l’initiative. Nous constatons que cette stratégie réussie dans le passé est également employée et valable dans le pilotage de la réémergence de la Chine.

L’approche stratégique pratiquée par Mao Zedong

La formule « Tu fais ce que tu veux, je fais ce que je veux » est apparue pour la première fois le 22 avril 1947 dans un manuscrit de télégramme de Mao[1]. Elle synthétise sa stratégie : souplesse, mobilité et initiative, inscrites dans une vision dialectique et un projet politique global. Elle vise à compenser les déséquilibres initiaux en renforçant progressivement les forces révolutionnaires tout en exploitant les faiblesses de l’ennemi[2]. Cette stratégie peut être résumée en cinq points :

Souplesse stratégique et tactique
La guerre populaire repose sur une capacité d’adaptation permanente, refusant les cadres rigides dictés par l’ennemi. Les forces révolutionnaires évitent les confrontations directes défavorables, choisissent le terrain et le moment des combats, et se retirent avant de subir des pertes importantes.

Maximisation des forces et évitement des faiblesses
Cette approche asymétrique exploite des avantages, comme la connaissance du terrain, le soutien populaire, et des tactiques de harcèlement et d’attaques-surprises. La mobilité constante et la dispersion des forces permettent d’éviter l’encerclement tout en frappant de manière ciblée.

Conservation et conquête de l’initiative
L’initiative est essentielle pour perturber les plans adverses, créer des dilemmes tactiques, et maintenir une pression constante. Les forces révolutionnaires agissent indépendamment, imposant leurs propres rythmes et conditions au conflit.

Vision dialectique
La guerre est perçue comme un processus évolutif exploitant les contradictions internes de l’ennemi (logistiques, politiques, morales) tout en renforçant progressivement les forces révolutionnaires par la mobilisation populaire et la transformation des rapports de force.

Implications politiques et sociales
Au-delà de l’aspect militaire, la guerre populaire cherche à mobiliser et à transformer les structures sociales, s’enracinant dans les masses pour légitimer son action et surpasser un adversaire perçu comme oppresseur.

 

Le pilotage de la réémergence de la Chine

La réémergence de la Chine s’inscrit dans une continuité stratégique inspirée des principes fondamentaux de la guerre populaire. En combinant souplesse, adaptabilité, initiative et exploitation des asymétries, la Chine navigue avec succès dans un monde en mutation rapide. Ce parallèle souligne que les enseignements stratégiques du passé peuvent transcender leur contexte historique pour influencer des dynamiques contemporaines, démontrant leur validité et leur pertinence à long terme. En examinant les 40 ans de développement de la Chine, nous observons que cette stratégie a été bien utilisée pour piloter la réémergence de la Chine. Le modèle hybride, les initiatives comme la BRI (Belt and Road Initiative), le rôle croissant des BRICS, les avancées dans les véhicules électriques (EVs), les batteries, les panneaux solaires, les développements des missiles DF, ainsi que l’accent mis sur la production de chipsets matures illustrent de manière concrète et éloquente le succès de cette stratégie dans sa mise en œuvre.

La stratégie de la Chine, fondée sur un modèle hybride[3] combinant capitalisme et socialisme à spécificités chinoises, reflète parfaitement la maxime « Tu fais ce que tu veux, je fais ce que je veux ». Ce modèle illustre une remarquable flexibilité stratégique, permettant à la Chine de maximiser ses avantages tout en évitant les contraintes des systèmes imposés par d’autres grandes puissances.

En exploitant les bénéfices du marché libre (innovation, investissements, compétitivité) tout en conservant un contrôle étatique sur les secteurs stratégiques, la Chine a su maintenir stabilité et autonomie, se démarquant du capitalisme occidental et du socialisme soviétique. Son intégration au commerce mondial s’est accompagnée de conditions propres, telles que des politiques de transfert technologique et des restrictions ciblées, tout en investissant dans des industries stratégiques comme les énergies renouvelables, les technologies avancées et les infrastructures.

Cette indépendance stratégique s’étend aussi au domaine politique : le Parti communiste chinois allie autoritarisme et pragmatisme, expérimentant localement des réformes avant de les généraliser. Ce modèle adaptable a permis de répondre aux défis internes (inégalités, urbanisation) et externes (sanctions, guerres commerciales), tout en réalisant des avancées spectaculaires, comme la réduction massive de la pauvreté et une domination dans les secteurs technologiques et énergétiques.

La BRI[4], lancée en 2013 par Xi Jinping, est un projet ambitieux visant à renforcer les infrastructures et les connexions commerciales à travers l’Asie, l’Afrique, l’Europe et au-delà. Ce projet incarne parfaitement la stratégie de flexibilité et d’initiative propre à la guerre populaire de Mao : la BRI est un réseau flexible en fonction des besoins et des réalités locales. La Chine adapte ses investissements et ses projets aux conditions économiques et géopolitiques des pays partenaires, tout en garantissant un contrôle stratégique sur les corridors commerciaux.

À l’image des tactiques de guerre de Mao, la BRI permet à la Chine de développer des infrastructures clés dans des régions stratégiques tout en évitant les confrontations directes. L’objectif est de satisfaire les besoins criants de développement des pays qui ont été négligés depuis des décennies par les pays développés.

La Chine tire profit de ses excédents de production en matière de constructions d’infrastructures et de technologies pour s’imposer comme un acteur clé sur la scène mondiale.

Le groupe des BRICS[5] fusionnable avec celui d’OCS (SCO – Shanghai Cooperation Organisation), est un exemple de coopération stratégique qui permet à la Chine d’accroître son influence tout en maintenant un équilibre dynamique avec ses partenaires aux intérêts parfois divergents. La Chine, par sa capacité à s’adapter et à utiliser les désirs de ses partenaires (accès au marché chinois, coopération économique, aide au développement), a réussi à s’imposer comme un leader tout en maintenant des relations équilibrées. À travers la création d’institutions comme la Nouvelle Banque de Développement (NDB), la Chine gagne en influence tout en poursuivant ses objectifs de transformation géopolitique, en offrant une alternative aux institutions financières dominées par l’Occident (comme la Banque mondiale et le FMI).

La Chine a anticipé la révolution des véhicules électriques et a mis en place des politiques de soutien à l’innovation, à la production et à la consommation de véhicules électriques, en développant à la fois une industrie locale de production et un marché intérieur massif. Le gouvernement chinois soutient ses entreprises dans la recherche et le développement des batteries, des véhicules et des infrastructures de recharge. Cela permet non seulement d’assurer une transition énergétique interne, mais aussi de dominer les chaînes d’approvisionnement mondiales, en exportant des technologies et des véhicules électriques à travers le monde. La Chine utilise sa position de leader dans ce secteur pour négocier des accords économiques et géopolitiques favorables avec d’autres pays, renforçant ainsi son influence.

La Chine est devenue un acteur majeur dans la production de batteries, notamment les batteries lithium-ion utilisées dans les véhicules électriques et les technologies de stockage d’énergie renouvelable.

L’innovation chinoise dans le domaine des batteries repose sur une capacité à évoluer avec les besoins du marché, tout en investissant massivement dans la recherche et le développement pour rester en tête. En concentrant ses efforts sur la fabrication de batteries, la Chine est devenue la référence mondiale dans ce domaine, assurant ainsi son rôle dominant dans la chaîne d’approvisionnement mondiale de l’énergie propre et des véhicules électriques.

La Chine est également un leader dans la production et l’exportation de panneaux solaires, une technologie clé pour la transition énergétique mondiale et la réduction de la dépendance aux énergies fossiles. En investissant massivement dans l’énergie solaire, la Chine a non seulement répondu à ses propres besoins énergétiques mais a aussi trouvé un moyen d’influencer l’agenda énergétique mondial. Elle exporte des panneaux solaires et des technologies à des prix compétitifs, contribuant ainsi à sa domination dans ce secteur. L’approche chinoise a permis de rendre les panneaux solaires plus accessibles à des pays en développement et de renforcer les relations économiques avec ceux-ci. De plus, la Chine a utilisé ces technologies comme levier dans ses négociations diplomatiques.

 

La production industrielle

La priorité donnée par la Chine à la production de chipsets matures[6] (au-delà de 7 nm, comme 28 nm ou 14 nm) illustre parfaitement la stratégie en question. Cette stratégie pragmatique capitalise sur les avantages des technologies disponibles pour contourner les restrictions américaines et répondre aux besoins massifs du marché mondial.

Les chipsets matures sont essentiels dans des secteurs comme l’automobile, les équipements industriels, l’électronique grand public et les énergies renouvelables, où la demande est vaste et les marges stables. En se concentrant sur ces technologies, la Chine s’assure une part significative de marchés émergents en Asie, Afrique et Amérique latine, tout en se positionnant comme un fournisseur crédible pour des pays comme la Corée du Sud, malgré les tensions géopolitiques.

Ce choix stratégique limite la dépendance aux équipements de lithographie avancée et réduit les coûts tout en accélérant les retours sur investissement. Il permet à la Chine de construire une base industrielle robuste, créant des emplois et générant des revenus qui soutiennent son autonomie technologique et son influence économique mondiale.

En parallèle, la maîtrise des chipsets matures sert de tremplin pour des technologies plus avancées, tout en répondant à des besoins critiques, comme ceux liés à l’intelligence artificielle et à l’informatique quantique, qui peuvent fonctionner avec ces puces.

Cette approche résiliente et orientée vers le long terme, en phase avec la stratégie de « circulation duale », consolide la souveraineté technologique de la Chine et renforce sa position dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Plutôt que de s’engager dans une course coûteuse aux technologies de pointe, la Chine optimise ses ressources et s’impose comme un acteur clé des semi-conducteurs globaux.

La stratégie chinoise de prioriser le développement des missiles supersoniques Dongfeng (DF) plutôt que d’investir massivement et immédiatement dans les porte-avions est un autre cas de parfaitement l’application moderne de la philosophie de Mao.

En misant sur les missiles DF, moins coûteux et capables de neutraliser les porte-avions à longue distance, la Chine adopte une approche asymétrique qui maximise ses avantages immédiats tout en évitant une confrontation directe avec la supériorité navale américaine. Ces missiles, conçus pour empêcher les forces adverses d’accéder aux zones stratégiques (A2/AD), permettent de dissuader efficacement toute intervention dans des régions sensibles comme Taïwan ou la mer de Chine méridionale.

Cette stratégie offre un retour sur investissement rapide et libère des ressources pour des priorités à long terme, comme le développement technologique et la montée en puissance progressive de sa flotte de porte-avions. En parallèle, les avancées technologiques des missiles hypersoniques anticipent les vulnérabilités croissantes des porte-avions face à des armes modernes.

Fidèle aux principes de cette stratégie, cette approche pragmatique et flexible transforme les contraintes en opportunités, offrant à la Chine un levier stratégique immédiat tout en préparant une domination navale future. Ce choix équilibré entre innovation technologique et patience stratégique renforce la capacité de la Chine à sécuriser ses intérêts régionaux et à projeter son influence mondiale.

 

Une démonstration dissuasive dans le Pacifique ouest

Gardant le silence vis-à-vis des annonces tonitruantes de Donald Trump concernant des régions comme le Groenland, le Canada et le Panama, la Chine porte son regard ailleurs, organisant discrètement mais fermement une démonstration de ses capacités militaires avancées, soulignant sa préparation à un éventuel conflit dans le Pacifique ouest. Cette stratégie vise à dissuader, par anticipation, toute initiative par une prise de décision sur la base des informations erronées ou insuffisantes, et à affirmer la détermination chinoise à défendre ses intérêts stratégiques. Examinons en détails ceux qui ont été exhibés.

DF-31AG[7] : Missile balistique intercontinental mobile, avec une portée de plus de 11 000 km, renforce la dissuasion nucléaire chinoise de longue portée. Premier chasseur de sixième génération J-36[8] : doté de technologies furtives et hypersoniques, il vise à rivaliser avec les F-22 et F-35 américains, contestant leur suprématie aérienne. Kongjing 3000 (AWACS)[9] : cet avion de surveillance avancé améliore la coordination militaire et la détection des menaces, consolidant le contrôle aérien et maritime. Drone JiuTian[10] : Capable de missions autonomes et furtives et de déployer des essaims de drones, il représente une approche économique et technologique pour maximiser la puissance offensive. La Chine lance le « Sichuan », le premier navire d’assaut amphibie du type 076[11] doté d’une catapulte électromagnétique et affichant un déplacement en pleine charge de plus de 40 000 tonnes.

Ces systèmes visent à dissuader toute intervention dans les zones comme Taïwan ou la mer de Chine méridionale. Les récents exercices militaires des États-Unis et leurs déploiements de porte-avions dans le Pacifique ouest ont renforcé les tensions. En réponse, la Chine utilise ces démonstrations pour garder l’initiative en affichant sa capacité à répondre à une éventuelle escalade.

Alex Wang

Alex Wang : Titulaire de deux doctorats (philosophie et ingénierie) et familier des domaines clés de la NTIC, Alex Wang est ancien cadre dirigeant d’une entreprise high tech du CAC 40. Il est également un observateur attentif des évolutions géopolitiques et écologiques.

Notes :

[1] (Le 22 avril 1947, un télégramme en provenance de la Commission militaire centrale est arrivé sur le bureau de Nié Rong Zhen, commandant et commissaire politique du district militaire de Jin-Cha-Ji. Ce télégramme avait été rédigé par Mao Zedong : « Après l’achèvement de la campagne de Zheng-Tai, il ne faut absolument pas se laisser troubler par les mouvements de l’ennemi. Il convient de choisir les parties faibles de l’ennemi pour les anéantir de manière proactive. La cible précise pourra être décidée à ce moment-là. C’est-à-dire : frapper d’abord les faibles, puis les forts. Tu fais ce que tu fais, et moi je fais ce que je fais (chacun suit sa stratégie). Cela correspond à une politique de combat entièrement basée sur l’initiative. »)

[2] Mao Tsé-toung : la guerre révolutionnaire, le monde en 10|18, 1962.

[3] Alex Wang« Apprendre des expériences étrangères » #3 : Le modèle hybride chinois, Contrepoints, 14 août 2024.

[4] Alex Wang, Belt & Road Initiative (BRI) : le bilan d’étape et son avenir, Conflits19 octobre 2023.

[5] Alex Wang, Les BRICS sont sur une route longue et sinueuse vers un monde multipolaire, Conflits, 7 septembre 2023.

[6] Alex Wang, La guerre des semi-conducteurs sino-américaine : la messe est-elle dite Conflits, 17 août 2022.

[7] https://armyrecognition.com/news/army-news/army-news-2024/chinese-df-31ag-intercontinental-ballistic-missile-launched-from-hainan-island

[8] https://en.wikipedia.org/wiki/Chengdu_J-36

[9] https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=Kongjing+3000+%28AWACS%29+

[10] https://www.aerocontact.com/actualite-aeronautique-spatiale/91487-la-chine-presente-le-jiutian-un-drone-de-combat-a-longue-portee-capable-de-deployer-des-essaims-de-drones

[11] https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=076*

 

Source : La Revue Conflits

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