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La violence n'est pas le fait d'une dérive intégriste de l'islam.

Elle est constitutive de l'histoire musulmane. Le Coran justifie tout à la fois le djihad et la réduction des non-musulmans à un statut inférieur.

Il existe, à propos de l'histoire de l'islam, une étrange controverse. Pour les uns, l'édification et le maintien de la puissance musulmane furent régis par un esprit de tolérance inconnu à la même époque en Occident. Pour les autres, la religion de Mahomet s'imposa par le fer, pliant par la force tout ce qui lui résistait. Les tenants des deux camps présentent leurs arguments. Mieux, ils les étaient de preuves historiques qui se veulent irréfutables. A la naissance de Mahomet, en 570, et de l'actuel Maroc à Babylone, les chrétiens, souvent mêlés à des communautés juives, constituaient la majorité de la population de l'Orient et de l'Afrique du Nord.

 

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Le prophète naquit dans une tribu païenne de La Mecque. En 622, afin d'échapper aux mauvais traitements de ses concitoyens, il se réfugia à Yathrib (actuelle Médine), ville à forte population hébraïque. Il tenta bien de convertir cette dernière à l'islam mais, comme elle demeurait fidèle à sa foi, les relations se tendirent entre elle et la jeune communauté musulmane. A l'occasion de la mauvaise plaisanterie d'un orfèvre juif dont une néophyte islamique fut la victime, Mahomet ouvrit les hostilités, le djihad, contre «les sectateurs de Moïse». Vainqueur, il imposa aux survivants de quitter leur cité dans les trois jours et partagea leurs biens avec les autres musulmans. Cette violence, banale en ces temps, préfigure en fait le comportement de l'islam à l'égard des autres religions. Après la phase, plus ou moins longue, de séduction, vient la soumission par la force. En même temps, cet événement nous éclaire sur le mécanisme du djihad, opération militaire sanctifiée par Allah mais dont les codes, distribution du butin ou traitement des prisonniers, remontent en fait aux traditions des nomades arabes de l'époque. C'est en s'appuyant sur ces principes que Mahomet, puis son successeur, Abou Bakr, exterminèrent les chrétiens et les juifs d'Arabie. Au XXe siècle ne subsiste qu'une communauté juive au Yémen qui devra acheter aux autorités du lieu l'autorisation d'émigrer vers Israël. C'est toujours au nom du djihad que les tribus arabes s'emparèrent de l'empire sassanide, d'une partie des territoires de Byzance, dont la Palestine, de l'Afrique du Nord, puis de la Sicile et de l'Espagne à partir de 711. Ibn Khaldoun, célèbre historien musulman du XIXe siècle, écrivit qu'Idriss Ier, «étant arrivé au Maghreb, fit disparaître de ce pays jusqu'aux dernières traces des religions chrétienne, juive et païenne». Au XIXe siècle, Ibn al-Athir, un écrivain de la même confession, rapportait qu'Abou Yezid, en 944, envoya une colonne militaire contre Sousse «qui fut emportée l’épée à la main: les hommes furent massacrés, les femmes réduites en captivité et la ville incendiée. Les envahisseurs fendaient les parties génitales des femmes, les éventraient, si bien que l’ifrîqiyya (Tunisie) ne présenta plus ni un champ cultivé ni un toit debout...»

Quant à l'Espagne qui, selon certains, se serait soumise de plein gré à l'islam, le même auteur dit : «En 231 (septembre 845), une armée musulmane pénétra en Galice sur le territoire des infidèles, où elle pilla et massacra tout. Elle s’avança jusqu'à la ville de Léon... Les habitants, effrayés, s’enfuirent... de sorte que les musulmans y pillèrent à leur gré, puis ruinèrent ce qui restait. » Le Coran justifiait cette avancée fulgurante. On y lit au verset 29 de la sourate IX: «Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu ni au jour dernier et ne s'interdisent pas ce que Dieu et son envoyé ont prohibé. (Combattez) également ceux parmi les gens du Livre (juifs et chrétiens) qui ne professent pas la religion de la vérité, à moins qu'ils ne versent la capitation directement et en toute humilité. » (Traduction de Si Hamza Boubakeur, ancien recteur de la mosquée de Paris).

Ibn Khaldoun se montrait plus explicite encore : «Dans l'islamisme, écrivait-il, la guerre contre les infidèles (ici essentiellement les chrétiens) est d'obligation divine, parce que cette religion (l'islam) s'adresse à tous les hommes et qu'ils doivent l'embrasser de bon gré ou de force... Nous ne jugeons pas convenable de salir nos pages en rapportant leurs opinions impies... Nous n'avons pas à discuter ou à raisonner là-dessus avec eux; nous n'avons qu'à leur donner le choix de l'islamisme, de la capitation ou de la mort.»

Nomades guerriers des régions désertiques, les Arabes ne savaient ni cultiver la terre ni administrer les immenses empires dont ils prirent le contrôle. Ils durent faire appel à l'expérience des peuples conquis et, donc, laisser la vie sauve à certains d'entre eux. Inspiré par les propos et les comportements de Mahomet au cours des siècles, les califes et les oulémas (docteurs de la loi) mirent sur pied une juridiction propre à définir le cadre social des non-musulmans, essentiellement chrétiens, juifs et mazdéens. C'est ce qu'on appelle le statut de dhimmi. La fonction économique du dhimmi apparaît clairement dans les écrits d'al-Damanhuri, théologien du XVIIIe siècle, quand il glose longuement sur la manière de saluer un non-musulman: «La déférence envers l'infidèle est manque de foi. Celui qui salue un dhimmi avec déférence est coupable d'infidélité... On peut (lui) dire "que Dieu vous donne longue vie, grande richesse et beaucoup d'enfants" parce que cela implique le paiement de nombreuses taxes de capitation. »

 

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En résumé, le dhimmi devait payer deux impôts spéciaux, la jizya (la capitation) et le kharaj (la taxe foncière), dont les montants dépendaient du bon vouloir du souverain. En outre, il lui fallait se soumettre à nombre de mesures discriminatoires, souvent vexatoires.

Al Maghili, théologien maghrébin du XVIe siècle, affirmait : « Le jour de la perception (de la jizya) on rassemblera les dhimmis... les auxiliaires de la loi se tiendront au-dessus d'eux en prenant une attitude menaçante... En payant, le dhimmi recevra un soufflet et sera repoussé de telle façon qu'il estimera avoir échappé à l’épée grâce à cette avanie... car la force appartient à Dieu, à son Apôtre et aux Croyants. »

Entre autres règles qui gouvernaient la vie du dhimmi, on remarquera l'interdiction de monter à cheval ou de s'habiller comme un musulman, parfois l'obligation de porter un signe distinctif. Mais aussi l'interdiction de construire une maison plus haute que celles des Mahométans ou de «froisser les oreilles musulmanes » en faisant sonner les cloches des églises.

Plus grave, le dhimmi ne pouvait pas témoigner à l'égal d'un musulman dans un procès ce qui, dans la pratique, l'empêchait de faire valoir son droit et l'abandonnait souvent au despotisme ambiant. Ajoutons que, outre les milliers d'églises détruites par la guerre ou converties en mosquées, les chrétiens n'avaient pas la liberté d'en construire de nouvelles. La plupart des peuples orientaux conquis par les Arabes parlaient des langues différentes de celle des vainqueurs. Elles disparurent le plus souvent sous la pression dominatrice de ces derniers pour ne survivre, parfois, que dans les pratiques cultuelles : tel fut le cas, par exemple, de l'araméen, idiome du Christ, et du copte.

Certes, à la même époque, en Europe, il est vrai que l'usage allait de la liquidation pure et simple des hérétiques, comme pour les Albigeois au XIIIe siècle, à la protection ambiguë et versatile du roi, dans le cas des juifs. Nombre d'auteurs occidentaux en ont déduit que la société musulmane d'alors se caractérisait par une plus grande tolérance que celle de nos ancêtres. Les faits démentent pourtant leur vision. Car, en réalité, jamais les califes ne parvinrent à exercer un véritable contrôle sur leur empire et des commentaires récents ont, à juste titre, parlé de «l'anarchie musulmane». Outre les pressions fiscales du prince, les dhimmis subissaient donc l'insécurité engendrée par une population nomade, arabe, puis kurde et enfin turco-mongole, qui, interprétant le Coran à sa manière, en exagérait la rigueur dans le but de s'emparer des biens des non-musulmans. A plusieurs reprises, pour des raisons économiques, les califes tentèrent d'y mettre bon ordre. Bar Hebraeus, évêque d'Alep au XIIIe siècle, rapporte qu'en 1285, à la suite des exactions commises contre les dhimmis par une bande de brigands, « le sultan Massoud et les chevaliers qui se trouvaient dans la ville (de Mossoul) montèrent en selle et chevauchèrent hors de la ville pour engager (les brigands) dans la bataille. Mais quand ils virent combien était grand leur nombre, et qu'eux-mêmes n'avaient pas de forces égales aux leurs, ils tournèrent le dos et rentrèrent dans la ville».

Très rapidement on assista à une collusion des Turcs, originaires de Sibérie et des plateaux de Mongolie, avec les princes musulmans, puisque, dès le VIIIe siècle, ces derniers embauchèrent des mercenaires de cette ethnie. Sans doute la promesse du butin et la rudesse de leurs mœurs nomades unissaient-elles les intérêts de ces deux peuples. En tout cas, à partir du Xe siècle, les conversions des Turcs à l'islam se multiplièrent. Brusquement, le monde musulman s'enrichissait d'une force nouvelle et repartait à l'assaut de nouveaux pays : l'Inde, pour commencer, puis le sud de la Russie, et surtout, l'empire de Byzance qui, depuis longtemps, tentait les guerriers musulmans. Constantinople tomba en 1453, sous Mehmed II. Puis les Turcs pénétrèrent en Europe, s'emparant de la Grèce, de l'actuelle Yougoslavies, de la Hongrie, pour s'arrêter devant Vienne en 1529.

 

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A partir de cette date, on peut parler des prémisses du déclin de l'empire musulman passé aux mains des Turcs. Sans doute parce que l'Occident montait en puissance mais aussi parce que le monde islamique tirait sa richesse des biens qu'il pillait chez l'ennemi et des dhimmis qu'il soumettait au servage de fait. En même temps qu'il voyait ses frontières fixées, son expansion bloquée, il réduisait ses ressources intérieures en islamisant les populations dhimmies, par la contrainte militaire ou sociale.

Sous le règne des Ottomans, les méthodes de la domination musulmane ne changent pas beaucoup. Si des innovations apparurent, ce fut sous la forme d'une plus grande sophistication des moyens de soumission des non-musulmans. Ainsi naquit le devshirme, pratique qui consistait à prélever régulièrement, sous forme de tribut, un cinquième des enfants chrétiens des pays conquis. Convertis par la contrainte à l'islam, les garçons âgés de quatorze à vingt ans constituaient l'essentiel des troupes de janissaires. Les Grecs, les Serbes, les Bulgares, les Arméniens et les Albanais composèrent, par ce biais, l'essentiel de ces unités d'élite. Quand on sait que, dans le même temps, les sultans installaient des colons musulmans sur les terres de ces peuples, on comprend mieux l'animosité que les Grecs nourrissent à l'égard des Turcs ou l'ostracisme que les Bulgares manifestent à l'encontre de leur minorité turcophone. Le prélèvement de la capitation ou le procédé du devshirme s'accomplissaient cependant parfois avec la collaboration des notables chrétiens et en particulier de la hiérarchie religieuse. Certes contraints à cette fonction par les circonstances, beaucoup de nobles et de prélats se sont pourtant enrichis de cette manière, quand ils ne se convertirent pas à l'islam pour protéger leurs biens. Ils tiraient nombre d'avantages de cette collaboration. Comme par exemple le patriarcat de Constantinople qui, en obtenant l'administration de tous les orthodoxes de l'empire ottoman, augmenta d'autant les prébendes qu'il percevait sur les différents impôts.

Un peu plus tard, le sultan abolit les Eglises nationales slaves catholiques, privilégiant ainsi les orthodoxes. La Sublime Porte ravivait à son profit l'animosité entre les deux Eglises sœurs. Ce qui expliquera, en 1975, le ralliement de certains orthodoxes libanais au camp musulman, contre les maronites dépendant de Rome. Ou la haine, entretenue jusqu'à aujourd'hui par d'autres conflits, entre les Croates catholiques et les Serbes orthodoxes dans la défunte Yougoslavie. L'existence des chrétiens nantis a souvent occulté la réalité, donnant à penser aux Occidentaux que, somme toute, le statut de dhimmi n'avait rien de terrible. Cette perception fut cultivée par les puissances européennes, singulièrement la France et la Grande-Bretagne qui, jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale, soutinrent l'empire turc par crainte de voir la Russie se renforcer en s'emparant des provinces ottomanes. L'affaiblissement évident de l'empire ottoman annonçait sa fin prochaine quand son alliance avec l'Allemagne sonna son glas, en 1918, lors de la victoire des alliés. De peuples dominateurs, les musulmans passaient au rang de peuples soumis, non seulement à la force, mais aussi à des techniques nouvelles qui surgissaient d'Occident. Réveil brutal pour une partie de l'humanité qui se croyait appelée par Dieu pour imposer sa loi au monde.

Aujourd'hui, c'est à la résurgence de cet esprit que nous assistons, indirectement, sous la forme de l'arabisme militant, et directement, dans l'expression islamiste révolutionnaire.

Alain Chevalérias

Sources : Le Spectacle du Monde – Décembre 1993.

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