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Les éditions Reconquista Press nous proposent la réédition d'un livre paru sous la plume de Blandine Ollivier, arrière-petite-fille du grand compositeur Franz Liszt, aux éditions Gallimard en 1934. Son titre: Jeunesse fasciste.

Le Popolo d'Italia en fit l'éloge suivant: « C'est un livre complet, qui épuise le sujet. Tout ce que la Révolution fasciste a accompli y est exposé avec un diligent souci de documentation. » S'agit-il d'une hagiographie ? Par moments c'est certainement le cas, mais l'auteur a une vraie démarche de journaliste, et décrit, raconte, interprète avec, certes, des sentiments d'admiration et de sympathie, tout en exprimant certaines réserves sur le caractère et la « tonalité » de l'éducation fasciste des jeunes. La conclusion de cet ouvrage est troublante et, nous le verrons plus loin, pose de vraies questions quant à ce que serait devenu le fascisme s'il avait « réussi ».

 

Mussolini, le Chef

Voici comment Blandine Ollivier décrit le Duce: « La voix est sourde, grave, les paroles sont concises. » Elle découvre « cette rude figure d'ouvrier obstiné dont on comprend dès l'abord qu'il prétendra conformer l'univers à sa volonté et non pas plier sa volonté à l'univers. La beauté sévère du regard chargé de force et de tristesse, les yeux étrangement ronds, la bouche âpre, la mâchoire brutale, la matérialité méditative du front, le masque tourmenté au sourire apaisé s'enfoncent dans l'ombre. Il y a, dans l'atmosphère, de l'âpreté, de la violence: c'est ici le lieu d'un terrible effort; l'être le plus vainqueur au monde y réside. Un homme sculpte une race, la hausse jusqu'à la plus intense exaltation. » Cette jeunesse, écrit l'auteur, est « drue, saine, dynamique ». « Chemisettes blanches, jupes courtes et noires, cheveux noirs et courts, élancées sous le béret sombre, des "Petites italiennes" défilent au pas cadencé ». Un chant éclate: « Giovinezza ». « Ces enfants, ce ciel sont beaux matériellement, crûment, brutalement », écrit la journaliste, émerveillée par Rome où « les cyprès romantiques du Palatin dessinent leur géométrie mystique sur le sol rose cuivré; l'odeur sucrée, trouble des jasmins et des tubéreuses flotte dans l'air léger. Les cloches sonnent: l'harmonie chrétienne entre dans le décor païen, l'antithèse se résout en accord dans cette Rome où le Christ lui-même devient romain ». Le guide de Blandine Ollivier commente avec passion les grands travaux entrepris par le Duce: Dans les seuls Marais pontins, 25.000 hectares ont été assainis, 140 kilomètres de routes ou de voies ferrées tracés, 11 villages et la ville neuve de Litteria édifiés. Une activité de pionniers: on défriche, on draine, on sème, on laboure. Partout, dit le guide, règne l'enthousiasme et le dépassement de soi. Le fasciste, déclare Mussolini, « méprise la vie commode, les tièdes et les sceptiques sont mis au rancart, la troisième Rome est une création héroïque de l'esprit ».

 

Priorité à la natalité

Le fascisme n'a certes pas encore réussi à éradiquer la misère, mais s'y attelle avec détermination. Il y a encore à Rome la « Garbatella », un quartier mal famé, dont « les ruelles populaires sont épaisses comme un minestrone, encombrées d'une foule matinale d'ouvriers, de marchands ambulants, de terrassiers et de clochards ». On y a construit une cité refuge pour les chômeurs, les sans-abri et les besogneux, et aussi une maternité et un hôpital pour enfants, un outil forgé par Mussolini pour la défense de la race en 1925. Car il faut gagner la bataille de la natalité, sujet primordial. Les enfants de filles-mères y sont accueillis. On les appelle les « fils de la Madone ». Pour le fascisme, « la vie, le plus haut don de Dieu aux hommes, doit être exaltée, respectée et ennoblie.  Elle ne peut être supprimée impunément ». L'instigation et l'aide au suicide, les délits qui touchent à la suppression de la vie humaine: manoeuvres préventives, avortement, infanticide, sont sévèrement punis. La première tâche de la femme reste l'enfantement. La formule du fascisme: « Massimo di natalita, minimo de mortalita ». Mais l'auteur reconnaît que, malgré tous les moyens de propagande employés, les résultats dans ce domaine ne correspondent pas aux espoirs. Les villes ne suivent pas l'exemple des campagnes. L'égoïsme des milieux bourgeois, comme le pense Mussolini? L'explication est peut-être courte.

 

L'éducation fasciste

L'éducation joue un rôle primordial dans l'Italie fasciste car, « la solidité du Régime dépend des enfants d'aujourd'hui qui seront les hommes de demain ». Le Duce a voulu, pour la nouvelle Italie, un « type d'homme fort, résolu, tenace, discipliné, parlant peu, attaché et dévoué passionnément à la chose publique ». L'éducation prend dès lors, l'allure d'une croisade. Le régime renie le matérialisme. Cette base spirituelle, sous l'égide de la romanité, est ce que le fascisme possède de plus original. La romanité, explique son guide à Blandine Ollivier, "c'est la résistance humaine à un monde inhumain. Or, la vieille lutte de Rome et de Carthage dure encore; les marchands puniques s'efforcent toujours d'établir une identité entre l'argent et la valeur de la vie. Le fascisme est « la lutte au nom des valeurs idéales contre les valeurs mercantiles »: « sens religieux et liturgique de la vie, aspiration au grand, au monumental, au solide, au durable; culte de l'enfance, de la famille et de la terre ». Blandine Ollivier conclut par cette belle formule: « C'est dans ce sens que le fascisme est la quatrième guerre punique ». Le maître d'école se doit d'être «  un artiste, un créateur d'âme ». Pas question de montrer le fascisme sous l'aspect de briseur de grève. C'est la grève,cette fête mouvementée, dit curieusement (et sans doute fort pertinemment) le guide de l'auteur, qui est sympathique à l'enfant, et non pas celui qui ramène l'ordre.

 

Le fascisme est révolution. Les enfants veulent des héros

« Nous lui montrons Mussolini révolutionnaire. Le fascisme est révolution et qui dit éducation fasciste, dit éducation révolutionnaire », c'est à dire goût du risque, oubli de soi au profit des autres, désir de fonder un ordre meilleur ». L'enfant, poursuit-il, aime spontanément la révolution parce qu'elle est mythe, poésie, légende, désir du paradis. Elle est le monde enchanté des contes de fée. Les enfants demandent un héros, ils veulent plus qu'un Roi, et nous leur donnons une Révolution et un Chef. La visite d'une école fait dire à l'auteur (avec amusement?) : « le Régime aime avec passion les planchers et les meubles bien cirés ». De belles cartes de géographie « offrent les océans et les terres lointaines au vagabondage des rêves enfantins ». Les enfants sont décrits « bien en chair, petits paysans rudes et trapus », le maître « militant et rural, sorte de paysan au grand cœur » qui expose « le nouvel évangile fasciste ». D'abord la "nativité", ce 29 juillet 1883 où Mussolini naquit, « un jour de grand soleil », où « le grain était mûr et les cigales stridaient (une faute, les cigales 'chantent') dans les intervalles de silence que laissaient les cloches ». L'auteur, dit-elle, « assiste à la création d'un mythe », avec l' « atmosphère naïve et tendre des récits bibliques ». Pas un mot de l'activité socialiste du Duce, ni de sa vie hasardeuse. Ce sera pour plus tard, quand ils passeront de la légende à une réalité plus orthodoxe.

 

Le contenu de l'enseignement scolaire

L'enseignement scolaire dure jusqu'à la quatorzième année. Curieusement, la Religion vient en tête des programmes élémentaires, suivi de l’Enseignement artistique. La religion que d'autres régimes combattent ou ignorent, le fascisme trouve plus adroit de l'annexer et de la diriger. L'auteur a cette formule: « le fascisme gardera les vivants, l'Eglise recueillera les morts. La religion sera fasciste ou elle ne sera pas ». Notons que les parents, s'ils le désirent, peuvent faire exempter leurs enfants de l'enseignement religieux. Mais le fait est rare. Les méthodes d'enseignement dérivent du modèle Montessori (très efficace, pédagogie fondée sur les lois naturelles et les besoins de l’enfant, encourageant sa créativité et son autonomie. Il existe aujourd'hui de nombreuses écoles Montessori en France, qu'il ne faut pas confondre avec les écoles Steiner.) L'enseignement de la langue italienne occupe, entre autres sujets, dont l'arithmétique, bien sûr une place importante, mais on a aussi accordé une place de choix à l'étude du folklore et du dialecte. L'histoire insiste sur la Grande Guerre et les souvenirs de la grandeur romaine dont l'enseignement est « cependant exempt, au contraire de certains pays (on se demande lesquels...), de toute tendance purement agressive et chauvine ». Les filles ont droit à l'enseignement des travaux féminins, couture, broderie, soins du ménage, cuisine, hygiène infantile, « qui doivent apporter le calme et l'apaisement aux périodes troublées de l'adolescence ». Pas sûr que les féministes contemporaines apprécieraient totalement le sujet...

 

Les organisations de jeunesse

A l'âge de six ans, les enfants sont pris en main par des organisations officielles, et d'abord par les Ballilas pour les garçons et les Piccole Italiane (petites italiennes) pour les filles, jusqu'à l'âge de quatorze ans. Ils seront Avangardisti ou Giovane Italiane (Jeunes italiennes) de quatorze à dix-huit ans, et Jeunes fascistes jusqu'à leur service militaire. Les unités de Ballilas et d'Avanguardistes sont encadrées militairement. Il s'agit de « tremper à la romaine l'âme de la jeunesse » et « le corps sera la porte dérobée de l'âme ». Les Ballilas de douze à quatorze ans sont astreints au maniement du mousqueton. Ils ont droit à des armes de modèle réduit. Tout fonctionne « pour de vrai », de la poudre aux balles qui portent à 50 mètres ! L'objectif des organisations féminines est évidemment différent. Il s'agit de « préparer dignement à la vie la future mère de famille, en faire une parfaite maîtresse du foyer, dans l'affirmation d'un esprit profondément fasciste », en aidant « l'élan de la jeune fille vers le charme et la beauté ». Le but final de cette oeuvre éducative est de créer une femme italienne, « fasciste et  croyante, forte et sereine, digne et sensible ». Vaste programme, aurait dit De Gaulle ! Reconnaissons que certaines pages hagiographiques prêtent quelque peu à sourire. Ainsi la description de l'infirmerie de l'Académie féminine sportive où règne « tout un luxe clinique, où l'on se mire en passant dans les nickels ». Une seule malade l'habite. « Cette jeune ascète du Fascisme s'est foulé le pied », raconte l'auteur. A ses côtés, une rose trop lourde trempe dans un verre devant une photo: celle du Chef. Blandine Ollivier l'interroge: « Je guérirai plus vite sous son regard », lui dit-elle. Mais après tout, pourquoi pas. Les rois de France soignaient bien les écrouelles en les touchant...

 

Croisières, voyages à l'étranger

Blandine Ollivier raconte aussi les croisières, les voyages à l'étranger organisés par les organisations de jeunesse fasciste. En Allemagne, notamment, où elles sont accueillies par le Führer en personne. On lit dans le livre cette description curieuse qui ne respire pas vraiment l'enthousiasme: « Dans Berlin, longs défilés brou de noix, sous les tilleuls vert sale, d'Hitler-Mädchen aux grands pieds, aux joues honnêtes sans poudre et sans fards; parades aryennes et blondes; cortèges de petits Prussiens binoclés sous un ciel lui-même menaçant ». Conclusion de l'auteur: « Ces promenades collectives et surveillées confirment le jeune italien dans un sentiment violent et confortable de sa propre supériorité, lui inculpant une fierté de peuple élu ». Rien que ça... Sept ans plus tard, quand l'armée allemande devra se précipiter à la rescousse de Mussolini, qui s'était aventuré à envahir la Grèce, de façon parfaitement inconséquente, le ton aura bien changé...

 

Et si le fascisme avait « réussi » ?

La conclusion du livre est vraiment curieuse et pose de vraies questions. Le fascisme a échoué, mais qu'en eût-il été s'il avait réussi ? A l'époque où Blandine Ollivier écrivait ce livre, la réussite était une quasi-certitude. Elle ose cependant cette réflexion: « Un jour viendra pourtant où l'oeuvre sera terminée ; à supposer même qu'elle n'ait pas été entravée plus tôt par les circonstances adverses ». On connaît la suite, avec la décision catastrophique de Mussolini, d'entraîner l'Italie dans la guerre aux côtés d'Hitler. Mais comment aurait évolué l'Italie fasciste si elle avait réussi ? L'auteur évoque un curieux paradoxe auquel risquait d'aboutir le Régime. Une nouvelle catégorie de chômeurs, les « chômeurs de l'exaltation et du mysticisme », ne menaçait-t-elle pas d'apparaître ? Entraînés à vivre au-dessus d'eux-mêmes (en surrégime pourrait-on dire) et d'avance insurgés contre la monotonie des labeurs quotidiens, ne vont-ils pas un jour, héros déclassés, se tourner vers d'autres dieux ? Ne risquent-ils pas de se « réfugier dans un culte exclusif du moi, dans un 'barrésisme' stérile, séduisant passe-temps d'intellectuels en mal de raffinement, mais dangereux poison pour un peuple intoxiqué de grands désirs ? »  Conclusion de Blandine Ollivier: « L'éducation fasciste porterait ainsi, dans l'excès même de ses vertus, son propre danger... »

Robert Spieler - RIVAROL

« Jeunesse fasciste » de Blandine Ollivier, 154 pages, 13 euros, Editions Reconquista Press,  (www.reconquistapress.com).

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