Les frères James – comme de très nombreux autres outlaws célèbres : William C. Quantrill, George Todd ou William F. Anderson, par exemple – n'étaient pas des hors-la-loi ordinaires mais de véritables guérilleros sudistes qui, après la défaite du Sud, ont continué à se battre contre l'occupant yankee.
Voici donc, ladies and gentlemen, la véritable histoire de Jesse James, guérillero sudiste.
Le 28 décembre 1841, le révérend S. James (né le 17 juillet 1818) à Georgetown, Kentucky, épouse Zerelda Coles, née le 29 janvier 1825. Trois enfants naîtront de cette union : Alexandre Franklin dit « Frank », le 10 janvier 1843 ; Jesse Woodon, le 5 septembre 1847 ; Susie, le 25 novembre 1849.
Bien que pasteur et homme de grande piété, le révérend James fut saisi par la fièvre de l'or et partit vers la Californie. Peu de temps après son arrivée, il décéda de fièvres qui n’avaient rien, elles, d’aurifères. Restée seule avec trois enfants, Zerelda se remarie en 1852 avec un certain Simms, fermier de son état. Ce n'est pas le bon choix. En 1855, elle se sépare du fermier et se remarie avec un très brave homme, le docteur Reuben Samuel.
Chaque dimanche, la famille, toujours installée près de Kansas City, Missouri, se rend à l'église et Jesse, s’il se fait déjà remarquer, c'est par sa belle voix dans le chœur paroissial.
Mais les temps sont à la guerre. Et les Missouriens sudistes ne sont pas disposés à se laisser faire par leurs voisins du Kansas qui mangent dans la main des Nordistes.
Quand la guerre de sécession éclate, en 1861, Frank James a 18 ans. Sans hésiter une seconde, il se présente au général Sterling Price qui l'enrôle dans les Missouri State Guards. Aux côtés de ses camarades confédérés, Frank James participe à la bataille de Wilson's Creek remportée par les Sudistes. Ce fait d'armes – et l'on imagine que, de retour à la maison, Frank ne se priva pas d'épiloguer sur la ratatouille infligée aux Bloody Yankees – lui vaudra d'être jeté en prison par les Nordistes. A peine libéré – sur intervention de sa mère – Frank rejoint les guérilleros sudistes de Quantrill qui, en 1863, attaquent et occupent quelques heures la ville nordiste de Lawrence.
Pendant que Frank est au front, les Nordistes font une incursion chez les James. Au cours de ces représailles, le docteur Reuben Samuel sera à moitié lynché et Jesse (il a alors 16 ans) tabassé. Zerelda Samuel-James est jetée en prison…
A peine remis de ses blessures, Jesse rejoint les guérilleros sudistes de William F. Anderson, dit « Bloody Bill ». Un homme qui n'a qu'un respect très modéré pour tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à un Yankee…
Lors d'une embuscade tendue aux Nordistes par Bloody Bill – 200 soldats unionistes seront tués dans l'action –, Jesse abattra le major Johnson qui commandait l'unité yankee.
En avril 1865, le Sud, saigné à blanc, capitule. Dans tout le Dixieland, c'est l'horreur et l'humiliation quotidiennes. Avec son groupe de guérilleros, Jesse a reçu l'ordre de se rendre aux troupes nordistes qui doivent les désarmer. La rage au cœur, Jesse et ses camarades galopent vers Lexington pour se rendre aux vainqueurs. En cours de route, les Sudistes sont attaqués par des cavaliers nordistes qui n'ont, manifestement, qu'une seule consigne : tuer. Gravement blessé, Jesse réussira à s’échapper et à regagner la ferme de ses parents. Pour Zerelda Samuel-James, il est urgent de mettre quelques miles entre la famille James et les Nordistes en s'exilant au Nebraska. Un exil qui n'est pas du goût de Jesse :
– On ne va pas laisser le Missouri aux Yankees ! Rentrons.
Les Samuel-James regagnent la ferme familiale. Pris à la gorge par leurs nouveaux maîtres et leurs hommes de main, tenus par des banquiers sans âme, les fermiers missouriens sont au bord du désespoir. Pas Frank James :
– Ils nous pillent. Il n'y a qu'à aller prendre l'argent là où il se trouve : dans leurs banques.
Le 13 février 1866 – la date est historique – une bande de Sudistes attaque la banque de Liberty (Missouri). Butin : 62 000 dollars. Parmi les assaillants qui ont poussé au moment de l'attaque le fameux Rebel Yell (le cri des rebelles), Frank James, bien sûr. Vite rejoint par Jesse qui participe, le 30 octobre 1866, à l'attaque de la banque de Lexington.
Les mois et les années se suivent et les exploits de la bande des frères James se multiplient : le 2 mars 1867, la banque de Savannah (Missouri) ; le 23 mai 1867, la banque de Richmond (Missouri) ; le 20 mai 1868, celle de Russelville (Kentucky) ; le 7 décembre 1869, celle de Gallatin (Missouri). Et puis Corydon, Iowa (3 juin 1871) ; Columbia, Kentucky (29 avril 1872) ; Kansas City (26 septembre 1872) ; Sainte-Geneviève, Missouri (26 mai 1873) ; Adair, Iowa (21 juillet 1873) ; Hot Springs, Arkansas (15 janvier 1874)...
Mais les frères James – qui redistribuent une partie de leurs butins aux fermiers les plus pauvres – ne s'intéressent pas aux seules banques. Entre le 21 juillet 1873 et le 7 septembre 1881, ils vont s'occuper sérieusement du Chicago, Rock Island and Pacific Railroad , de l'Iron Mountains Little Rock Expess , du Chicago and Alton Railroad , etc.
Le gang James comprend désormais sept personnes : Frank et Jesse James, Jim et Cole Younger, Bob Moore, Comanche Tony et Clell Miller.
La classe politique s’est vite intéressée aux frères James. La césure se faisant d'ailleurs entre ex-Confédérés et ex-Unionistes. Pour les premiers, les frères James sont des héros de la cause sudiste, des Robin des Bois « qui volent les riches pour donner aux pauvres », comme le dira, plus tard, la ballade consacrée à Jesse.
Bientôt, les hommes de la Pinkerton National Agency – dont la devise est « We never sleep » (« Nous ne dormons jamais ») – sont chargés de traquer le gang.
Créateur et directeur des services secrets des Nordistes pendant la guerre de Sécession, homme de main des banquiers de l'Ouest, Allan Pinkerton ne lésine pas sur les méthodes employées.
Une nuit de janvier 1873, les détectives de la Pinkerton encerclent la ferme Samuel-James. Ils savent que Jesse et Frank ne s'y trouvent pas. Mais leur mission est précise : terroriser la famille James. Ne prenant aucun risque, les hommes de Pinkerton lancent une bombe incendiaire qui explose dans le corps principal de l'habitation. Le docteur Samuel et Zerelda Samuel-James sont grièvement blessés. Le petit Archie Samuel-James, 8 ans, demi-frère de Frank et de Jesse est tué…
En 1876, à Northfield (Minnesota), la chance tourne pour les Sudistes. Arrivés par des pistes différentes, huit cavaliers arrivent, le 7 septembre, dans la petite ville endormie. Bientôt, trois hommes pénètrent dans la First National Bank. Mais un citoyen les a vus. Il donne l'alerte. Et c'est le piège : dans la rue, Bill Chadwell est abattu. Puis c'est le tour de Clell Miller. Bob Moore, blessé au bras, continue de résister. Mais il faut décrocher : Cole Younger et son frère Jim, Frank et Jesse, Charlie Pitts réussissent à s'échapper sous un feu d'enfer.
Un millier d'hommes leur donneront la chasse. Les trois frères Younger seront capturés. Charlie Pitts sera abattu. Une fois de plus, les frères James sont passés entre les mailles du filet.
Cette fois, le vent du boulet est passé trop près. En 1877, à bord de deux chariots bâchés, la famille Samuel-James émigre vers le Tennessee. Jesse, qui se fait désormais appeler Tom Howard, tente de se reconvertir dans l'élevage du bétail. Après quelques voyages au Nouveau-Mexique – où il rencontrera notamment, en 1879, William R. Bonney, dit Billy the Kid (1859-1881) – Jesse revient s'installer chez son frère Frank, connu désormais sous le nom de Mr Woodson.
Comme les temps sont durs, les frères James reconstituent une petite bande. Mais les temps ont également changé : les populations ne soutiennent plus ces outlaws dont les motivations politiques appartiennent désormais au passé.
Jesse le comprend. Le 9 novembre 1881, il s'installe avec sa famille au 1318, La Fayette Street à Saint-Joseph. Parmi les familiers de la maison James, Charlie Ford, recruté pour l'attaque du train de Winston (15 juillet 1881), et son frère Robert, dit Bob.
Ce que Jesse et Charlie Ford ne savent pas, c'est que Bob, qui rêve de devenir célèbre, s'est fait nommer secrètement détective par le chef de la police de Kansas City. Et qu’il vise la récompense de 10 000 dollars promise à qui capturera, mort ou vif, Jesse James.
Le 3 avril 1882, la femme de Jesse s'affaire dans la cuisine. Jesse traîne dans la maison. Au mur, un tableau semble mal accroché. Jesse tire une chaise pour monter dessus et le remettre en place. Craignant que, de la rue, on l'aperçoive sanglé de ses deux revolvers (un Smith et Wesson et un Colt), le rebelle dégrafe son ceinturon et le dépose sur un lit. C'est ainsi qu'il est surpris par Charlie et Bob. Mais c'est Bob qui fera le sale boulot. S'approchant de Jesse qui lui tourne le dos, il lui tire une balle en pleine tête. Presque à bout portant.
Les jours suivants, les journaux titrèrent : « Jesse Juda's » (Le Judas de Jesse), « Jesse James Bites the Dust » (Jesse James mord la poussière), « Jesse by Jehovah » (Jesse près de Jehovah).
Sur sa tombe, sa mère fit graver l'épitaphe suivante :
« En souvenir aimant de mon fils bien-aimé, Jesse James, mort le 3 avril 1882, âgé de 34 ans, 6 mois, 28 jours. Tué par un traître et un couard dont le nom n'est pas digne de figurer ici. »
Une légende venait de mourir. Un homme qui, jusqu'au bout, justifia son action en disant : « Ils [les Yankees] nous y ont obligés. Mes victimes étaient des Northerners [des Nordistes] ».(1)
LA BALLADE DE JESSE JAMES
Jesse James était un gars, qui tua plus d'un homme,
Et c’est lui qui pilla le train de Glendale.
Il volait les riches pour donner aux pauvres,
Sa main était sûre, son cœur d'or, sa tête froide.
C’était un samedi soir au clair de lune
Quand ils arrêtèrent le train de Glendale,
L’agent à genoux remit les clefs des coffres
A ces hors-la-loi, Frank et Jesse James.
Personne ne voulait croire à la mort de Jesse
On se demanda comment il avait pu se laisser prendre.
Robert Ford, on le sut, lui tira dans le dos,
Pendant que, sur le mur, Jesse accrochait un tableau.
Ô, Jesse était un chic type, c'était l'ami des pauvres,
Il n’aurait jamais volé une mère ou un enfant ;
Il volait les riches pour donner aux pauvres,
C'est pour ça qu'on l'a descendu lâchement !
Alain Sanders
Note :
(1) Frank James se rendit aux autorités le 5 octobre 1882. Jugé, il fut acquitté le 21 août 1883. Reconverti comme… vendeur dans un magasin de chaussures, il est mort le 18 février 1915.