Le site historique de Port Hudson, Louisiane, propose six miles de chemins de randonnée où l’on peut suivre le tragique déroulement d’un des épisodes de la guerre entre les Etats : le plus long siège de l’histoire américaine. Ces six miles, je les ai parcourus. A pied. Dans la moiteur d’un été louisianais.
Nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire : contrôler le fleuve Mississippi était une priorité pour les protagonistes du conflit. Pour le Nord, contrôler le fleuve, c’est couper en deux la Confédération. Pour le Sud, c’est assurer le flot des marchandises et des matériels nécessaires à la poursuite de la guerre.
Quand la Nouvelle-Orléans tombe aux mains des Yankees, en avril 1862, les positions sudistes sont fragilisées. Les Confédérés ont, certes, « fortifié » le Mississippi à Vicksburg (Etat du Mississippi), mais ils doivent impérativement installer une autre série de batteries à l’embouchure de la Red River.
La Red River est la principale voie d’approvisionnement courant du Texas au cœur des territoires sudistes. Les rives du Mississippi, près de la petite ville de Port Hudson, conviennent parfaitement à l’implantation de batteries de canons. Ce sont les premières en « altitude » depuis Baton Rouge et elles permettent de surplomber un large coude du fleuve. Un obstacle précieux pour empêcher la progression des vaisseaux de guerre nordistes.
Le 5 août 1862, démoralisés par la chute de la Nouvelle-Orléans quatre mois auparavant, les Sudistes ont perdu le contrôle de Baton Rouge. Le 15 août, ils se retranchent à Port Hudson et installent rapidement des batteries le long des rives. Dans les semaines qui suivent, ils érigent une tranchée longue de quatre miles et demi pour protéger lesdites batteries.
Le siège de Port Hudson commence le 23 mai 1863. Face à 6800 Confédérés sous le commandement du général Franklin Gardner (New-Yorkais de naissance, il a choisi le Sud), les Yankees alignent plus de 30 000 hommes commandés par le général Nathaniel P.Banks.
Du 27 mai – à l’aurore – jusqu’au 14 juin, les Nordistes multiplient les assauts le long de la tranchée qui protègent Port Hudson. Ces charges répétées, et souvent mal préparées, comptent parmi les plus sanglantes de la guerre dite de sécession.
Dans Port Hudson assiégé, on manque de tout. Quasiment plus de munitions, plus de vivres, de rares médicaments. Les assiégés en seront réduits à manger les chevaux, les mulets et même les rats…
Quand le général Gardner apprend la chute de Vicksburg, le « Gibraltar de la Confédération », il comprend qu’il n’a aucune chance d’être secouru. Les termes de la reddition sont signés le 9 juillet 1862. Après quarante-huit jours de siège – et des milliers de morts – l’armée nordiste entre dans une ville exsangue.
Au cours des assauts contre Port Hudson, les Nordistes, jusque-là rétifs à le faire, ont fait monter en ligne deux régiments de Noirs. Après la reddition, la ville deviendra un centre de recrutement de Colored Soldiers et le restera jusqu’en 1866. Pendant le siège, les Yankees ont changé plusieurs fois de stratégie. Leurs charges se brisant systématiquement contre les défenses sudistes, le général William Dwight, soucieux de ménager la vie de ses soldats non colored, enverra ainsi au casse-pipe le 1st Louisiana Native Guard et le 3rd Regiment Louisiana Native Guard qu’il n’utilisait jusque-là qu’à des travaux de terrassement. Ils seront repoussés trois fois, au prix de lourdes pertes. Au cours du premier assaut, le capitaine André Cailloux, un Noir libre de la Nouvelle-Orléans, tombera à la tête de ses hommes.
Au cours des affrontements, les généraux nordistes Neal S.Dow et Thomas W. Sherman seront gravement blessés. Le général Edward P.Chapin sera tué. Lors du second assaut, le général Halbert E. Paine, commandant de la division, pris sous le feu nourri des « Rebelles », s’en tirera avec une jambe en moins.
Les Sudistes ont été submergés par le nombre. Malgré la solidité de leurs tranchées comme en témoigne l’un de leurs officiers : « Sur environ les trois quarts d’un mile depuis le fleuve, la ligne traverse une série de crêtes, de plateaux et de petits ravins, tirant avantage des élévations à certains endroits et accentuant la déclivité vers d’autres. Sur le mile et quart suivant, elle traverse les champs de Gibbon et Slaughter où une plaine semble s’être formée à seule fin de servir de champ de bataille. Un autre quart de mile conduit à des ravins profonds et irréguliers et trois autres quarts de mile mènent à travers champs et collines à une gorge profonde, au cœur de laquelle coule la Sandy Creek. »
Les combats de Port Hudson auront démontré, à ceux qui n’en étaient pas encore convaincus, l’importance de l’artillerie dans le déroulement d’un siège. C’est la puissante artillerie terrestre nordiste qui a bloqué tout ravitaillement éventuel – et vital – de la place assiégée. Et la toute aussi puissante artillerie de l’US Navy qui a matraqué sans répit les positions sudistes.
Avec la chute de Port Hudson, les Yankees contrôlent tout le Mississippi. Les communications entre les Etats de l’Ouest et les Etats de l’Est de la Confédération sont désormais coupées. Mais à quel prix… Les Nordistes ont perdu près de 10 000 hommes (tués, blessés, malades). Mais ils disposent d’un « vivier » que n’ont pas les Sudistes pour qui chaque homme qui tombe n’est pas remplacé. Plus de 6500 d’entre eux, capturés à Port Hudson, seront déportés vers les camps de la mort dans le nord.
La fortune de guerre a tourné pour les Sudistes qui, jusque-là, prenaient l’initiative le long du Mississippi nonobstant leur faiblesse numérique. Une « faiblesse » qu’ils avaient su retourner en organisant une audacieuse guérilla qui contraignait les Nordistes à se concentrer sur la défense de leurs camps, de leurs dépôts et de leurs lignes de ravitaillement.
Après la chute de Vicksburg, une habitante de la ville, regardant les larmes aux yeux les soldats bleus parader dans les rues, avait écrit : « Quel contraste présentaient ces hommes robustes et bien nourris, si splendidement équipés et vêtus, avec (…) les hommes gris épuisés que l’on avait avec tant d’aveuglement précipités contre cette incarnation de la puissance moderne. » A Port Hudson, c’était pire : les hommes gris n’étaient pas seulement épuisés, ils avaient un genou à terre… Ils n’avaient pas tant été défaits par les armes que par la famine.
Vicksburg et Port Hudson occupés, Grant aurait voulu partir en campagne contre Mobile. Lincoln et ses conseillers militaires choisissent plutôt de porter l’effort de guerre au Texas. La première tentative se solda par un échec cuisant, en septembre 1863, à la Sabine Pass où une poignée de Sudistes balaieront des troupes yankees de débarquement. Le général Banks sera plus heureux en occupant Brownsville à la frontière mexicaine. Ce qui donnera à réfléchir – son protégé, le courageux Maximilien étant sur le trône du Mexique – à Napoléon III dont le cœur penchait pour les Confédérés.
L’ennemi était désormais au cœur d’un des joyaux de la Confédération, la Louisiane. Et le Texas était menacé à son tour. Dans Sud (Plon, 1932), Pierre de Lanux écrit : « Le Sud résista, comme l’armée de George Washington avait résisté au temps de l’hivernage à Valley forge, lorsque 2000 étaient incapables de service pour cause de nudité. Mais cette fois, nul allié ne vint d’au-delà des mers. »
En 1974, le champ de bataille de Port Hudson fut inscrit au patrimoine historique national par le Département américain de l’Intérieur, rejoignant ainsi un groupe de territoires désignés comme « majeurs » dans l’histoire américaine. Le site historique (1) accueille chaque année des milliers de visiteurs et organise des reconstitutions spectaculaires des épisodes du siège. On y trouve aussi des magasins qui, loin d’être des pièges à touristes, permettent de prendre la mesure de cette guerre « moderne ».
Alain Sanders
(1) Port Hudson State Historic Site, 756 West-Plains-Port Hudson Road, Zachary, LA 70791, USA.