Et pourtant le matin des paysans

 

La crise du COVID a montré comme jamais de ce qu’il restait de notre indépendance et de nos souverainetés, c’est-à-dire plus grand-chose, en matière politique, juridique, économique, financière, industrielle. Mais il est un domaine encore plus vital ou désormais la France est menacée : la souveraineté alimentaire qu’elle doit encore, mais pour combien de temps, à ses 380000 dernières exploitations agricoles? Une question angoissante dont la classe politique dans sa globalité ne semble pas comprendre l’enjeu, qu’on en juge par l’absence totale de débats sur ce sujet durant la dernière Présidentielle.

 

LA FIN D’UN MONDE

La fin de la paysannerie en Europe et en France, c’est une page de 9000 ans qui se referme dans l’histoire de l’humanité, depuis qu’au néolithique nos peuples se sont sédentarisés, fixés autour des aires de pâturage de leurs troupeaux et de leurs champs nouvellement défrichés, labourés et emblavés. Un enracinement sur une terre, ou reposent aussi nos morts à qui nous rendons un culte, qui a donné naissance à une véritable civilisation - celle de la vigne et du blé – et à notre patrie qui dans la magnifique définition qu’en donna Maurice Barrès n’est autre que « la terre et les morts. »  

N’oublions jamais, bien qu’urbains pour l’immense majorité d’entre nous, que nous sommes tous des petits fils de paysans. Ceux qui ont lu Vincenot, Michelet, Roupnel, Braudel…savent de ce dont je parle.

C’est cette tragédie moderne qui se déroule sous nos yeux dans une totale indifférence  que nous conte dans ce petit ouvrage salutaire le professeur Jean-Claude Martinez, qui fut durant plus de vingt ans député français au Parlement européen et membre de la commission agricole. Et de nous rappeler que la question alimentaire est la question probablement la plus importante de toute en politique, tout bonnement, on ne l’oublie que trop, car elle répond à un besoin vital comme celui de boire (qui soulève aussi la question de l’accès futur à l’eau potable), se vêtir, se déplacer. Un problème qu’avaient bien vu en leur temps aussi des hommes aussi différents que le géopoliticien autrichien le général Jordis Von Lohausen – relire l’indispensable Les empires et la puissance – et le dictateur communiste Mao Tsé Toung lorsqu’il affirmait « la supériorité des villages sur la ville. » De même, la survie du monde paysan ne participe-t-il pas aussi d’un conflit multimillénaire entre deux visions du monde, celle de l’enracinement contre le nomadisme ? L’homme de la terre contre l’homme du vent et des marchés dématérialisés. Un génocide qui s’accomplit dans le silence de nos campagnes qui n’ont pas droit elles aux dizaines de milliards versés puis engloutis pour rien dans les funestes politiques de la ville pour acheter la paix des banlieues de l’immigration.

 

TRISTE ETAT DES LIEUX

380000 exploitations agricoles en 2022 (1,6 millions en 1970), 60000 seulement en 2042 si nous continuons à glisser sur la pente fatale. Un point de non-retour atteint d’abord en matière de démographie agricole c’est-à-dire la population de paysans nécessaires pour que la désertification des terres soit enrayée. De 1980 à l’an 2000 en France, quatre fermes ont disparu toutes les heures soit 30000 par an ! La plupart non pas par faillite mais par non-reprise de l’exploitation par les enfants dont beaucoup ont vu leurs parents travailler sans relâche 7 jours sur 7 pour tirer à peine un revenu supérieur à un RSA…Sans compter l’absence de perspective de pouvoir fonder un jour une famille puisqu’il n y’a quasiment plus de femmes susceptibles de s’installer avec un homme au sein d’une exploitation agricole. Je me souviens un jour d’une conférence d’Alexis Arette, ancien président de la Fédération Française de l’Agriculture et qui avait eu cette réflexion qui résumait toute la question : « Aujourd’hui un paysan ne peut plus avoir de femme, juste une maitresse. »

Paradoxalement, alors que le nombre de paysans se réduit comme peau de chagrin, Jean-Claude Martinez évoque à contrario ce qu’il surnomme « la prolifération d’algues bureaucratiques et technocratiques » c’est-à-dire de comités et d’organismes coiffés par de hauts fonctionnaires chargés d’encadrer administrativement les derniers damnés de la terre.

 

L’EXPLOSION DES PRIX AGRICOLES

Alors que les paysans n’en voient pas eux-mêmes les bénéfices, les prix des denrées agricoles explosent sous l’effet de plusieurs phénomènes :

- La spéculation sur les produits que l’on joue en bourse. 65% des contrats sur le maïs sont entre les mains des spéculateurs, 68% pour le soja (qui nourrit les troupeaux européens), jusqu’à 80% pour le blé. Même Goldman Sachs s’est créé un fond agricole !

 - La demande planétaire quand l’offre proposée ne peut plus suivre. Et pour cause. L’arrivée sur le marché mondial de nouvelles classes sociales « aisées », notamment en Chine, qui ne se contentent plus comme autrefois d’un simple bol de riz quotidien est une des clés du problème.

- L’explosion démographique (nous serons bientôt 9 milliards de consommateurs qu’il faudra nourrir avec des terres arables de moins en moins nombreuses et accessibles). N’oublions jamais que l’urbanisation rogne en permanence dans le monde entier les terres agricoles disponibles, des possibilités hydriques en moindre quantité, la multiplication des incidents climatiques qui risquent de multiplier les tensions géopolitiques. Dans ce contexte, qui peut croire que l’on peut se passer de paysans sur notre sol, que nous avons la garantie éternelle d’être nourrie par les farmers américains ou les grands latifondiers brésiliens ?

- L’appropriation des terres à l’étranger par des pays tiers, à l’exemple de la Chine qui a acquis 10 millions d’hectares au sein de 30 pays différents, voire des conglomérats comme la multinationale coréenne Daewoo qui a acheté 2,9 millions d’hectares en Russie. Autrement dit, des pays qui sont souvent eux-mêmes « affamés » - notamment en Afrique – qui vendent leurs propres terres qui pourraient les faire manger !

- Au niveau de l’UE, si la fameuse Politique Agricole Commune a assuré des revenus à peu près équilibrés à nos agriculteurs jusqu’en 1992 et permettait la constitution de stocks de denrées, à partir du moment où la Commission de Bruxelles a décidé d’intégrer les productions agricoles sur les marchés mondiaux, mettant directement en concurrence nos agriculteurs avec ceux du monde entier, ce fut le coup de bistouri final. Quand cette même Commission n’a pas hésité à pratiquer le malthusianisme des produits agricoles en empêchant les paysans de produire en leur imposant des quotas afin de faire de la place aux productions venues d’ailleurs…La faucille ou le Mac Do ?

 

QUELS REMEDES ?

Pour le professeur Martinez, l’agriculteur doit être une priorité nationale absolue afin d’assurer :

- Notre sécurité alimentaire. Nos troupeaux en Europe sont majoritairement nourris par des tourteaux de soja produits aux USA et au Brésil. Si un jour par rétorsion les tourteaux de soja ne nous arrivaient plus, il faudrait abattre quasiment tous nos troupeaux, d’autant que depuis un accord commercial signé à Marrakech en 1994, nous nous sommes interdit d’en produire plus de 5 millions d’hectares sur le sol européen ! De même, bien que nous disposions d’un empire maritime de 11 millions de km2, nous importons chaque année pour près de 4 milliards d’euros de poissons…En globalité, c’est plus de 20% de notre alimentation que nous importons aujourd’hui.

Et tous ces bobos de Paris se rendent-ils compte que si la région Ile de France connaissait subitement des problèmes d’approvisionnement, elle ne pourrait tenir que…4 jours !

- Notre sécurité écologique. Depuis les accords de l’Uruguay round il y a 30 ans (accords du GATT aujourd’hui appelé OMC) qui a vu la fin de la PAC et la fluctuation des prix agricoles par la mise en concurrence de nos produits sur les marchés mondiaux, les agriculteurs disparaissent peu à peu de nos paysages qui ne sont plus entretenus. La France n’est plus un immense jardin cultivé et entretenu.

Pour redonner vie à ce secteur, Martinez propose de suspendre la dette paysanne quand elle est insoutenable, d’exonérer temporairement (5 ans) les exploitations de charges fiscales et sociales, par un Plan Massif d’Investissement rural afin d’y réinstaller école – poste – hôpitaux – voies ferrées, susciter un emprunt citoyen de financement afin d’aider de jeunes agriculteurs à s’installer ( moins de 4000 en 2021…) car parler de localisme, de circuits courts, de bio est certes bien gentil, mais s’il n y a pas ou plus suffisamment d’agriculteurs pour produire, on reste dans l’idéologie, les vœux pieux , l’écologisme de bazar, ce que l’ancien député appelle l’agriculture Walt Disney, pour bobos des villes et technocrates qui ne connaissent absolument rien de la réalité des campagnes et des cycles de production, qui accumulent naïvement des successions de clichés bucoliques mais hors sol.

Cependant, là où l’affaire se complique, c’est l’absolu nécessité de renégocier une nouvelle PAC protectrice à Bruxelles, au cœur même du sanctuaire de tous les lobbies libre-échangistes et mondialistes. C’est de ce ventre nauséabond d’où est sorti l’accord secret de Blair House en novembre 1992 ( un Munich agricole), signé par 3 commissaires européens au bénéfice exclusif des Etats-Unis, nous imposant la réduction de nos exportations agricoles, l’ouverture des marchés et l’obligation d’acheter 5% de notre nourriture à l’étranger quand bien même nous sommes auto-suffisants. Qui dans la classe politique française a les tripes pour croiser le fer avec à la finance internationale, anonyme et vagabonde ? Et si la seule solution n’était pas tout bonnement le Frexit (Martinez n’en parle pas).

De même, comme il existe une exception sur les produits culturels, le Professeur demande la sanctuarisation des productions agricoles et la mise en place d’un protectionnisme intelligent.

L’agriculture, comme l’identité, le social, la géopolitique doit être au cœur de nos préoccupations (elle est d’ailleurs au carrefour de toutes ces thématiques).

Notre sang doit se souvenir d’où il vient et où il veut aller.

 

EDITIONS GODEFROY DE BOUILLON, 15 euros.

 

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