Pourquoi le massacre d’Odessa a-t-il si peu d’écho dans les médias ?
Imaginons que ce qui s’est passé à Odessa, le 2 mai, ait eu lieu à Maïdan, à Kiev. Imaginons que des révoltés ukrainiens cernés par les partisans de l’ancien régime se soient réfugiés dans la maison des syndicats et que cette dernière ait été incendiée par des forces hostiles, sous les yeux d’une police impassible. Imaginons que l’on y ait retrouvé une quarantaine de cadavres calcinés.

Que se serait-il passé ? L’émotion aurait été à son comble dans les capitales occidentales. Les gouvernements auraient crié au meurtre de masse commis par des sbires de Ianoukovitch. Ils y auraient vu la preuve manifeste de mœurs barbares dans une ville si près de l’Union européenne, à quelques heures de vol de Paris. Des intellectuels de renom auraient aussitôt pris l’avion pour Kiev afin de crier leur solidarité. BHL aurait déjà choisi sa chemise blanche spécial média. Des pétitions circuleraient. L’Europe condamnerait. Laurent Fabius invoquerait les valeurs universelles bafouées.

Et là ? Rien, ou presque. Pas de protestations, pas de dénonciations, pas d’admonestations, si ce n’est à l’égard de… Moscou — à croire que ce sont des espions russes déguisés en ukrainiens pro-occidentaux qui ont fait brûler ceux qui ne jurent que par la Russie éternelle. Certains, qui ne reculent devant rien, ne sont pas loin de le suggérer.


Au nom de l’UE, Catherine Ashton a juste demandé une commission d’enquête pour savoir ce qui s’est passé ce jour maudit, comme si chacun l’ignorait. On connaît l’engrenage qui a conduit au face à face entre les séparatistes et les manifestants pro-Kiev. On sait que parmi ces derniers il y avait des activistes d’extrême droite du parti Pravy sektor. Ce sont eux qui ont incendié la Maison des Syndicats avant de regarder griller ceux qui y étaient pris au piège.

Des témoignages en font foi, des photos circulent, aucun doute n’est possible. Mais la presse met l’éteignoir, à l’instar du Monde, journal pour lequel quoi qu’il se passe, la conclusion est toujours la même : « La responsabilité russe est écrasante ».


Qu’elle le soit en grande partie, d’ailleurs, c’est vrai. L’affaire de la Crimée en témoigne. Mais Poutine est-il le seul responsable d’une situation qui risque de tourner à la guerre civile ? Comment effacer la réalité de ce qui s’est passé à Maïdan où tout ne s’est pas résumé à une lutte entre des révoltés épris de justice et des agents stipendiés de l’ancien président ? Pourquoi la télévision française n’a-t-elle pas mené le travail d’investigation de la chaine de télé allemande ARD, selon laquelle nombre des morts de Maïdan avaient été abattus par des balles en provenance de leur propre camp ?

Sans tomber dans le discours de Moscou, qui rejoue le combat antifasciste de la Seconde guerre mondiale, comment ne pas s’inquiéter de la présence au plus haut niveau de représentants d’une extrême droite qui ferait passer Jean-Marie Le Pen pour un animateur de club de vacances ? Comment ne pas s’interroger sur un gouvernement dont la première décision a consisté à s’attaquer au statut du russe comme deuxième langue du pays ? Quand il a fait marche arrière, le mal était fait. C’était trop tard.

Depuis, la situation va de mal en pis. Dans la partie Est, la Russie alimente de toute évidence des éléments séparatistes sur lesquels elle peut jouer. A Kiev, ces derniers sont traités de « terroristes », comme si un révolté de la partie ouest était respectable et que son homologue de l’Est était méprisable. Surenchère contre surenchère. Simplisme contre simplisme. Tous les coups sont permis. Jusqu’où ?

Or, en France, les médias présentent cette situation d’une manière aussi caricaturale que pendant l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. De même qu’à l’époque, il y avait les bons bosniaques et les méchants serbes, cette fois, il y a les bons ukrainiens (pro-européens même quand ils sont ultra-nationalistes) et les méchants ukrainiens (pro-russes et donc aussi détestables que le furent les soviétiques).

C’est le grand retour du manichéisme et du raisonnement binaire. La réalité n’est jamais analysée dans ses contradictions. Nul ne veut voir que l’UE et l’Otan jouent un jeu aussi dangereux que la Russie. A la radio comme à a télévision, l’histoire se résume à un raisonnement simple : l’ennemi public n°1, c’est Poutine.

Moralité : ceux qui se moquent de l’embrigadement médiatique à Moscou feraient mieux de balayer devant leur porte.

 

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