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Manifestation de Nouvelle Alliance à Montréal, le 2 juillet 2023. © Facebook, Nouvelle Alliance

 

Ces Québécois qui se rêvent encore libres...

La Nouvelle Alliance est un mouvement qui se revendique comme étant la « principale référence indépendantiste et nationaliste au Québec ». Formée sur le modèle des mouvements nationalistes européens, c’est un travail de longue haleine qui attend cette formation politique pour convaincre de l’utilité d’un nouveau référendum à l’heure où la génération actuelle de Québécois ne semble plus intéressée par l’idée de souveraineté de la Belle Province.

En se rendant en voiture à leur travail le 15 juillet 2023, les habitants de Lennoxville ont eu une drôle de surprise en s’arrêtant à chaque carrefour de cet arrondissement de Sherbrooke. Ils ont constaté que de nombreux autocollants « ARRÊT » avaient été apposés sur les panneaux « STOP » du quartier. De quoi donner du fil à retordre aux employés municipaux qui se sont échinés à les enlever un à un.  Derrière cette opération, qui a suscité l’intérêt des médias canadiens, francophones comme anglophones, les militants de Nouvelle Alliance (NA). Un mouvement politique qui se définit lui-même comme la « principale référence indépendantiste et nationaliste au Québec » et qui se considère comme le bouclier de la langue de Voltaire.

Organisés sur un modèle qui n’est pas sans rappeler celui des royalistes de l’Action française (AF), ces souverainistes suscitent déjà la controverse dans cette partie de l’Amérique du Nord. Selon le Canadian Anti-Hate Network (CAHN), c’est en mars 2022 que la Nouvelle Alliance a été portée sur les fonts baptismaux par le jeune François Gervais. Le mouvement serait une émanation d’un autre plus notoirement connu sous le nom de « Front canadien-français » (FCF), un groupe ultra-nationaliste, radical et traditionaliste catholique radical, ayant des liens avec la Fraternité Saint Pie X. Sur ses différents réseaux sociaux, qui comptent un millier de followers, la Nouvelle Alliance exalte l’idée de patriotisme. « Être patriote, c’est refuser le capitalisme mondialisé, fer de lance implicite du néo-libéralisme. C’est également refuser l’extrême gauche apatride, ne voyant tout qu’au travers du prisme matérialiste, confondant dangereusement l’aliénation bourgeoise au [sicmythe fondateur, la frontière à l’asservissement, les fondements nationaux à un opium domestiquant le peuple », peut-on d’ailleurs lire sur la page officielle Facebook de la NA. 

À grands renforts de photos montrant ses militants arborant des drapeaux québécois et tee-shirts fleurdelysés, la Nouvelle Alliance plaide pour un grand rassemblement des mouvements indépendantistes « dans la mesure où lesdites forces sont dirigées contre le régime fédéral d’Ottawa et ses entreprises d’asservissement de la Nation », afin d’émerger comme un seul bloc uni. En filigrane de ces revendications politiques et entre deux commémorations historiques (comme l’arrivée de Jacques Cartier au Canada il y a 489 ans), la défense de la langue française, indissociable de l’identité francophone québécoise.  « Parler français n’est pas un honneur dû ou acquis. C’est une rébellion face à ce qui nie notre identité, c’est le fruit de la résistance culturelle : ce devoir permanent de chaque Québécois. La patrie se construit d’abord en soi : la langue est la forteresse de l’âme, sans quoi elle ne saurait s’exprimer dans ses traits propres. Faire entendre notre parler français en Amérique, c’est s’acquitter de notre dette envers les ancêtres, c’est renouer avec l’essence de notre peuple. […] Refuser d’adresser la condition québécoise pour ce qu’elle est, soit le combat continuel contre le colonialisme britannique dans toutes les sphères de notre existence populaire, c’est se vautrer dans un confort complice », peut-on lire sur différents post visibles sur leur page Facebook officielle. Des militants qui dénoncent le soutien passif des Québécois au fédéralisme.

La Nouvelle Alliance puise ses idées dans celles de deux défunts leaders nationalistes québécois. Tout comme Charles Maurras pour l’Action française ou Karl Marx pour le Parti communiste, c’est Raymond Barbeau (1930-1992) qui a les faveurs du mouvement. Professeur et écrivain québécois, il a fondé l’Alliance Laurentienne, première organisation à revendiquer l’indépendance du Québec, à la fin des années 1950. Considéré comme trop à droite, favorable au corporatisme, souhaitant la mise en place d’un gouvernement « d’inspiration chrétienne, qui perpétuerait les saines traditions », l’organisation de Barbeau avait fini par être dissoute une décennie plus tard, abandonnée par ses alliés. Il n’est pas le seul car le mouvement affiche ostensiblement une autre admiration pour Lionel Groulx (1878-1967). Prêtre et professeur d’histoire, il a exercé une influence considérable sur la politique au Québec durant presque toute la moitié du XXe siècle. On lui doit même la création de l’actuel drapeau fleurdelysé québécois (« la plus solennelle affirmation du fait français au Canada » expliquera-t-il en 1948). Conférencier et orateur de talent, à son retour de voyage en Europe, il fonde une revue intitulée L’Action française. Le mimétisme avec les royalistes français s’arrêtant à ce titre, ses articles provoquent de virulents débats au Parlement. Véritable penseur de la nation québécoise, Lionel Groulx finira par entrer en conflit avec les jeunes générations qui aspirent à plus d’actions que de discours. « C’est tout naturellement que nous l’érigeons en maître doctrinal, nous inscrivant de ce fait dans la même lignée que beaucoup d’organisations nationalistes et indépendantistes du siècle dernier », affirme la Nouvelle Alliance. 

Durant des années, la politique québécoise a été longtemps dominée par le Parti québécois (PQ) qui prônait l’indépendance de la Belle-Province. Boostés par la visite du général de Gaulle en 1967, qui n’hésite pas à crier « Vive le Québec libre ! » au balcon de la marie de la capitale québécoise (voyage qui se révélera comme une véritable catastrophe diplomatique pour le président français quasiment expulsé du Canada après cette bravade, mais transformé en un succès par la propagande gaulliste et qui perdure encore dans l’inconscient des Français), les péquistes vont réussir à imposer par deux fois un référendum sur la souveraineté du Québec. D’abord en 1980 où le « non » sort largement vainqueur (avec 60% contre 40% de « oui »), puis une nouvelle fois en 1995 où le Québec manque de peu de se séparer du reste du Canada (51% de « non » contre 49% de « oui »). Dans la veine du général de Gaulle, le président Jacques Chirac n’hésitera pas à donner son appui aux indépendantistes lors de diverses déclarations qui susciteront les rires narquois du gouvernement canadien de l’époque. Ce second échec est un choc pour les indépendantistes qui vont avoir du mal à reprendre pied après cette défaite. Aujourd’hui, l’idée ne fait plus recette chez les Québécois qui font fi de leur devise : « Je me souviens »… 

En 2020, un sondage édité par le Journal du Québec a révélé que les Québécois n’étaient plus que 36% à souhaiter l’indépendance de la plus française des provinces du Canada. Pis, 59% ne croient même plus que cette possibilité puisse arriver dans l’avenir. L’âge des votants est même révélateur d’un conflit de générations. Ceux qui ont connu le dernier combat pour l’indépendance, de 40 ans et au-delà, sont le plus enclin à souhaiter un nouveau référendum. Chez la nouvelle génération, le souverainisme intéresse peu. Ils sont à peine 31% entre 18 et 35 ans à se prononcer en faveur de l’indépendance, alors que celle-ci continue de faire fantasmer leurs cousins français qui ne cessent de refaire l’Histoire sur les réseaux sociaux, imaginant à satiété ce qu’aurait pu être le Canada français si celui-ci était resté dans le giron de la monarchie capétienne. Des chiffres qui restent toujours les mêmes aujourd’hui et qui démontrent que l’idée indépendantiste est en net recul au Québec. Même si les jeunes souverainistes tentent de la repenser afin de la rendre plus parlante à une génération plus sensible aux thèmes abordant l’inclusivité, le wokisme, les droits LGBT ou la lutte contre le réchauffement climatique. 

C’est un travail de longue haleine qui attend les militants de la Nouvelle Alliance, qui devront faire leur mue, au-delà de leurs coups d’éclat, afin de percer et de convaincre leur propre génération de l’utilité de leur combat. Face à eux, la puissante machine du CAQ (Coalition avenir Québec) qui préside le Québec depuis 2018 et qui n’entend pas leur faire de la place. Dirigé par le Premier ministre, François Legault, le parti politique réclame seulement que la province obtienne plus de pouvoirs (notamment en matière d’immigration et judiciaire) et conforte son autonomie au sein d’un Canada fédéral, reléguant presque l’idée indépendantiste aux oubliettes de l’histoire canadienne.  

Frederic de Natal

Source : Causeur.fr (12 août 2023)

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