Le Tribunal administratif de Marseille a rendu son verdict : l’État français est reconnu responsable de graves manquements dans l’affaire de la mort d’Yvan Colonna, assassiné en prison en mars 2022. La justice a ainsi condamné l’administration pénitentiaire à indemniser les héritiers du militant corse à hauteur de 75 000 euros, reconnaissant un défaut de surveillance et une gestion défaillante des détenus dangereux.
Un assassinat en milieu carcéral sous haute tension
Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’assassinat du préfet Claude Érignac en 1998, Yvan Colonna purgeait sa peine à la maison centrale d’Arles lorsqu’il a été violemment agressé dans la salle de sport de l’établissement. Son agresseur, Franck Elong Abé, un détenu radicalisé et condamné dans une affaire terroriste, s’est acharné sur lui pendant plus de dix minutes, sous l’œil des caméras, sans qu’aucun surveillant n’intervienne à temps.
L’attaque s’est révélée fatale : Colonna est décédé des suites de ses blessures deux semaines plus tard. L’affaire a rapidement provoqué une onde de choc en Corse, relançant les tensions entre militants indépendantistes et l’État français, accusé d’avoir abandonné Colonna à son sort en ne le transférant pas vers un établissement plus sécurisé, notamment en Corse.
Un jugement accablant pour l’administration pénitentiaire
Dans son verdict, le tribunal souligne des dysfonctionnements majeurs dans la gestion carcérale, notamment :
👉 Un défaut de surveillance flagrant : aucun surveillant n’a réagi alors que l’attaque a duré plus de dix minutes.
👉 L’absence de mesures adaptées pour gérer un détenu radicalisé : Elong Abé, classé détenu particulièrement signalé (DPS), aurait dû être placé dans un quartier d’évaluation de la radicalisation (QER), ce qui n’a pas été fait.
👉 Un sentiment d’abandon et de détresse pour Colonna, qui n’a pas pu se défendre ni être secouru à temps.
Pour ces raisons, la justice a estimé que les souffrances endurées par Yvan Colonna avant sa mort justifiaient une indemnisation de ses héritiers.
Une affaire qui embarrasse l’État
Cette condamnation n’est pas le premier règlement financier entre la famille Colonna et l’État. Un accord transactionnel de 200 000 euros avait déjà été conclu en 2022. Cette fois, il ne s’agissait pas seulement de l’indemnisation des proches, mais bien d’une reconnaissance du préjudice subi par Colonna lui-même, marquant une défaite symbolique pour l’administration pénitentiaire.
L’État avait initialement proposé 40 000 euros, mais la famille Colonna, jugeant cette somme dérisoire, avait saisi la justice pour réclamer 200 000 euros. Finalement, le tribunal a tranché en faveur de 75 000 euros, reconnaissant officiellement la négligence de l’administration dans les conditions ayant mené à la mort du prisonnier.
Un contexte explosif en Corse
La disparition d’Yvan Colonna a ravivé une forte colère dans l’île de Beauté, où le ressentiment anti-État reste vivace. L’affaire a été perçue comme un assassinat maquillé en bavure carcérale, certains indépendantistes dénonçant une volonté délibérée de laisser Colonna sans protection face à un détenu dangereux.
De nombreuses manifestations avaient éclaté en 2022, provoquant des émeutes et des affrontements violents entre manifestants et forces de l’ordre. La condamnation de l’État ne suffira probablement pas à calmer les esprits, d’autant plus que le volet pénal de l’affaire est toujours en cours.
Si la responsabilité administrative de l’État est désormais actée, le volet pénal de l’affaire est toujours en suspens. Une enquête pour assassinat terroriste avait été ouverte, mais les motivations réelles de l’agresseur restent floues.
➡️ Qui a laissé Franck Elong Abé, un détenu classé dangereux, avoir accès à la salle de sport et attaquer Yvan Colonna sans entrave ?
➡️ Pourquoi aucun surveillant n’a-t-il intervenu à temps ?
➡️ Y a-t-il eu des négligences volontaires, voire une implication plus large dans cette affaire ?
Ces questions restent sans réponse. L’ouverture d’une enquête parlementaire avait déjà mis en lumière des lacunes béantes dans la gestion des détenus radicalisés, mais sans véritable avancée judiciaire.
Si l’indemnisation de 75 000 euros est une victoire judiciaire, elle ne satisfait pas pleinement les proches du militant nationaliste. L’avocat de la famille, Me Patrice Spinosi, a dénoncé une reconnaissance tardive et partielle des fautes de l’État, tout en laissant entendre que d’autres recours pourraient être envisagés.
Dans tous les cas, cette affaire laisse une tache indélébile sur la gestion carcérale française et ne fait qu’amplifier les tensions entre la Corse et Paris.
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
Source : Breizh-info.com - 19/02/2025