Après s’être élevés avec raison contre la procédure inique des parrainages qui filtre les candidats à l’élection présidentielle française, Frédéric Rouvillois et Christophe Boutin ont sorti à la fin de ce printemps un ouvrage favorable à La proportionnelle. Ou comment rendre la parole au peuple (Éditions de la Nouvelle Librairie, coll. « Le petit livre noir », 2022, 216 p., 15,90 €).
Or, quelques semaines plus tard, le surprenant résultat des législatives des 12 et 19 juin infirmait leur vibrant réquisitoire. La nouvelle Assemblée nationale reflète pour une fois une véritable diversité politique et sociologique (des agents d’entretien, des chauffeurs-livreurs, un ancien vendeur de drogue, etc.). On compte ainsi au Palais-Bourbon dix groupes : Renaissance ex-La République en marche (172 sièges), le RN (89 sièges), La France insoumise (75), Les Républicains (62), Démocrates, MoDem et indépendants (48), Socialistes et apparentés (31), Horizons (30), Écologistes (23), Gauche démocrate et républicaine (22 dont les douze députés communistes), et Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (16). Seuls neuf députés parmi lesquels Emmanuelle Ménard et Nicolas Dupont-Aignan appartiennent aux non-inscrits.
En cas de scrutin proportionnel, la répartition aurait été différente. Dans Présent du 17 juin 2022, Louis Marceau estime dans « La proportionnelle, trop belle pour être vraie » que la majorité présidentielle Ensemble aurait gagné 149 élus, la NUPES 148, le RN 108 et Reconquête ! d’Éric Zemmour 25 ! On peut supposer que cette répartition s’inspire du mode de scrutin des législatives de 1986, les seuls au scrutin de liste départementale proportionnel à un seul tour, à la plus forte moyenne et avec le seuil d’élimination à 5 %. Cette année-là, l’alliance RPR – UDF – divers droite avait remporté 286 sièges sur 491. Redevenu Premier ministre, Jacques Chirac s’empressa de rétablir le scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Son ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, redécoupa les circonscriptions qui passèrent à 577 afin de prendre en compte les nouvelles données démographiques. Elles se maintiendront jusqu’à leur révision en 2010. Un record de longévité !
Sur le continent européen, hormis la République française, seuls le Royaume-Uni et le Bélarus pratiquent le scrutin majoritaire uninominal. Si la Belgique, la Suisse et la Grèce utilisent la proportionnelle, l’Allemagne et l’Italie appliquent des systèmes électoraux plus ou moins complexes. Les États-Unis et le Canada usent du scrutin majoritaire. Contrairement aux idées reçues, ce mode d’élection n’entraîne pas toujours une majorité absolue. Dans l’histoire récente, rappelons que la Chambre des Communes du Royaume-Uni a connu des majorités relatives en 2010 et en 2017. Idem pour son homologue au Canada en 2019 et en 2021. La spécificité hexagonale repose sur les deux tours qui ont aussi cours en Louisiane et en Géorgie, États des États-Unis. L’emploi des deux tours permettait aux débuts de la IIIe République de réunir les électeurs autour d’un ensemble bourgeois républicain modéré consolidateur. Cette disposition a longtemps fonctionné aux dépens d’abord du Parti communiste (dix députés en 1958 pour 3 882 204 voix), puis ensuite du FN de 1988 à 2017 (entre un, deux ou huit députés).
Il est intéressant de relever que deux gaullistes, Michel Debré et Philippe Séguin, réclamaient le scrutin majoritaire uninominal à un seul tour. Appliqué le 12 juin dernier, la coalition présidentielle Ensemble aurait eu 203 députés, la NUPES 194, le RN 111, Les Républicains 42, 9 divers droite, 9 divers gauche et 7 régionalistes – autonomistes – indépendantistes. De cette configuration, on peut supposer que la négociation des compromis aurait été plus âpre encore.
En fait, ni la proportionnelle, ni le scrutin majoritaire uninominal tel qu’il existe sont des scrutins satisfaisants. Certes, « d’une façon générale, écrit Alexandre Soljénitsyne dans Comment réaménager notre Russie ? Réflexions dans la mesure de nos forces (Fayard, 1990), il faut bien dire que tout scrutin, quel qu’en soit le mode, n’est pas une recherche de la vérité (p. 78) ». La proportionnelle a le grand défaut de mettre au centre du jeu les partis politiques, de les bureaucratiser et de favoriser les coteries internes. Quant au scrutin majoritaire, son principal inconvénient concerne le tracé des circonscriptions toujours susceptibles de favoriser le candidat du pouvoir. La superficie joue aussi un rôle dans la campagne. Par exemple, la 3e de la Drôme est surnommée la « Pampa », car elle s’étend sur dix-huit cantons. En revanche, la 2e de ce même département, appelée le « Chili », longe du Nord au Sud la vallée du Rhône sur six cantons. À Paris, la 7e englobe le IVe arrondissement et des portions des XIe et XIIe.
Le scrutin majoritaire à un seul tour ne peut s’épanouir que dans une circonscription naturelle nommée le département surtout si le législateur introduit le « vote unique non transférable ». Sous ce jargon spécialisé, il faut comprendre que sont déclarés élus au soir du premier et seul tour les candidats qui obtiennent le plus grand nombre de suffrages. Par exemple, le département du Nord comprend 21 sièges. Seraient élus députés les 21 candidats qui récolteraient le plus grand nombre de suffrages exprimés en leur faveur. Ce mode de scrutin a été employé au Japon et sert encore en Corée du Sud, à Taïwan, en Jordanie ou à Porto Rico. Dans les départements très peuplés, il importe qu’il y ait au moins le double de candidatures prévues. Avec un pareil mode de scrutin, les partis perdent une grande part de leur influence. En effet, présenter autant de candidats qu’il y a de sièges à pourvoir risque de provoquer un éparpillement des bulletins et une défaite générale; en présenter trop peu risque de concentrer sur un seul candidat des votes qui auraient permis d’en élire deux, trois ou quatre autres. Ce système électoral encourage les candidatures indépendantes non-partisanes et les ententes partisanes préalables.
Dans un cadre démocratique vicié par la médiocratie et les sondages, le scrutin majoritaire uninominal à un tour au vote unique non transférable dans la circonscription départementale constituerait une indéniable avancée non partitocratique. Ne s’agirait-il pas du mode des élections le plus approprié à la sensibilité des « Gaulois réfractaires » ?
Salutations flibustières !
GF-T
« Vigie d’un monde en ébullition », n° 46, mise en ligne le 11 octobre 2022 sur Radio Méridien Zéro.
Le lien audio est : https://radiomz.org/vigie-dun-monde-en-ebullition-46-contre-la-proportionnelle-tout-contre/