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L'influence réelle du manichéisme et du zoroastrisme sur les hérésies européennes demeure un sujet mystérieux. Dans son Histoire des Cathares (1999), Michel Roquebert, l'un des plus grands spécialistes français de la culture occitane et plus particulièrement de l'hérésie cathare, n'évoque même pas l'influence orientale (sur les 500 pages que compte son ouvrage). Pour lui, les Cathares sont chrétiens, et leur doctrine doit donc se comprendre comme telle. Pourtant, nombreux sont les articles universitaires et les thèses qui mettent en avant, et sans ombrage, d'évidentes similitudes entre les hérésies européennes et le manichéisme. Ainsi, dans Mani et la tradition manichéenne (1974), François Decret, historien spécialiste de l'Afrique du nord ancienne, consacre tout un chapitre de son petit opus à l'influence médiévale européenne du manichéisme.

Relier avec certitude le manichéisme aux hérésies n'est pas tâche facile, car les vestiges sur lesquels on peut travailler sont rares. Une fois par siècle, il se peut qu'un berger retrouve des parchemins dans une grotte, mais cela change peu la donne. Par exemple, s'il fallait réunir ce que nous possédons aujourd'hui des écrits manichéens, ce recueil ne contiendrait pas plus de quelques dizaines de pages d'un livre de poche... Quant à l'Avesta, le livre sacré des zoroastriens, il ne représente en nombre de mots qu'une infime partie de la Bible, du Coran, du Rig-Veda ou du Canon pali. S'il ne reste de l'enseignement de Mani que quelques parchemins en très mauvais état, et du Zoroastre qu'une poignée de gathas authentiques, comment espérer qu'il en soit autrement avec le catharisme et le bogomilisme ?

Les livres des hérétiques furent brûlés par les hommes du pape, ceux des disciples de Zarathoustra brûlèrent de même, dans des bûchers dressés par ceux qui se réclamaient de Mohammed. Que nous reste-il donc de ces courants religieux dissidents ? Des légendes, des clichés et beaucoup de fantasmes. Le catharisme est d'ailleurs un néologisme récent, utilisé surtout dans le milieu du tourisme occitan.

Ce qui est certain, c'est que les hérétiques, quelle que soit la secte à laquelle ils appartenaient, reconnaissaient le Christ comme unique sauveur. Ils ne mentionnent pas le nom de Mani et ceux qui écrivirent sur eux, ne mentionnèrent le Perse que rarement. Pas plus que Mani, Zarathoustra n'est pas non plus cité dans les doctrines hérétiques.

Cela n'est cependant pas révélateur, car le moine bulgare Bogomile (v. 950) n'est pas non plus reconnu par les hérétiques occitans, or ce dernier est unanimement reconnu comme étant l'influence majeure du catharisme occitan. En somme, ce n'est pas parce qu'une source d'inspiration n'est pas explicitement nommée, qu'elle n'est pas effectivement présente.

Les hérésies apparurent d'abord en Europe orientale au 10e siècle, puis elles se déplacèrent en quelques décennies vers les Balkans et enfin le sud de la France. Les hérésies ne sont donc pas des résurgences du paganisme celto-germain, mais bien des sectes indépendantes, s'inspirant les unes des autres, et dont l'origine commune se trouve en Anatolie, donc en Grande Perse. Les influences des deux prophètes perses apparaissent donc comme évidentes lorsque l'on se penche sur le contenu des doctrines dissidentes européennes. Mani lui-même était un disciple du Christ, même si l’ensemble de sa doctrine s'inspirait largement des préceptes enseignés par Zarathoustra.

Pour résumer en quelques points ces possibles influences perses, intéressons-nous à un texte contemporain des croisades contre les Albigeois. Le moine Pierre de Vaulx-Cernay (1212 - 1248), alors en fonction dans le nord de la France, avait rejoint son oncle près d'Orange, afin de faire la chronique des investigations puis des combats contre les hérétiques. Son Histoire de l'hérésie des Albigeois, dont nous utilisons la traduction par F. Guizot, est donc un témoignage direct inestimable. Or, que dit Pierre de Vaulx-Cernay ?

« Premièrement, il faut savoir que ces hérétiques établissaient deux créateurs, l'un des choses invisibles, qu'ils appelaient le Dieu bénin, l'autre des visibles, qu'ils appelaient le Dieu malin, attribuant au premier le Nouveau-Testament, et l'Ancien au second ; lequel Ancien-Testament ils rejetaient en son entier, hormis certains textes transportés de celui-ci dans le Nouveau, et que, par révérence pour ce dernier, ils trouvaient bon d'admettre. L'auteur de l'Ancien-Testament, ils le traitaient de menteur, pour autant qu'il est dit en la Genèse : « en quelque jour que vous mangiez de l'arbre de la science du bien et du mal, vous mourrez de mort » et, ainsi qu'ils disaient, pour ce qu'en ayant mangé ils ne moururent pas [...]. Ce même auteur, ils l'appelaient aussi meurtrier, tant pour ce qu'il a brûlé les habitants de Sodome et Gomorrhe, et effacé le monde sous les eaux diluviennes, que pour avoir submergé Pharaon et les Égyptiens dans les flots de la mer. »

Le catharisme est donc un dualisme, plus proche dans son essence du zoroastrisme et du manichéisme que du judaïsme ou du christianisme. Pour les deux premières doctrines, le mal possède un empire, composé de la Terre et de la matérialité des créations célestes. Ahriman, « l'Esprit malin » possède aussi un réel pouvoir. S'il ne peut pas créer (seul le peut Ahura-Mazda), il peut en revanche corrompre. De fait, à chaque création d'amour et de joie, correspond une souffrance, un vice ou un mensonge.

Le diable est tout autre dans les doctrines abrahamiques : il est un ange déchu, il vit en enfer dans l'humiliation. Son pouvoir, sans le concours des hommes, est très limité, même circonscrit au domaine infernal.

En somme, si toutes ces religions ne considèrent qu'un seul créateur, nommé Ahura-Mazda ou Yahvé, les religions perses lui attribuent un double maléfique, doté d'un pouvoir qui s'exprime indépendamment du concours qu'il reçoit des hommes, de leurs vices et de leurs faiblesses.

Malgré des termes vagues et des hésitations, le témoignage de Pierre de Vaulx-Cernay correspond parfaitement à la doctrine classique du mazdéisme :

« Il se trouvait d'autres hérétiques qui reconnaissaient un seul créateur ; mais ils allaient de là à soutenir qu'il a eu deux enfants, l'un Christ et diable l'autre. »

Le couple Christ-Diable est une version christianisée du couple Ahura-Mazda / Ahriman, qui sont les deux fils de Zurvan. Zurvan est le dieu primordial. Passive incarnation du temps, il n'est pas le créateur de la vie et de l'Univers, mais seulement de titans et de deux fils divins : Ahriman, le premier né, vilain, malsain, et Ahura-Mazda, lumineux, solaire, créateur de tout ce qui existe. Si Zurvan rejettera son premier fils dans les domaines les plus bas de l'existence, il fit du second le roi de l'Univers, le dieu-Ciel.

Par ailleurs, on sait que le manichéisme prônait l'abstinence alimentaire. Cette pratique, n'est ni juive ni zoroastrienne. Il existe bien sûr une tradition du jeûne dans les religions du Livre, mais elle n'est pas comparable avec la ferveur végétarienne du jaïnisme, de l'hindouisme, du bouddhisme, ainsi que de l’orphisme et du pythagorisme en Europe.

« Pour ce qui est du bon Christ, selon leur dire, il ne mangea jamais, ni ne but, ni se reput de véritable chair, et ne fut jamais en ce monde. »

C'est pour les hérétiques « commettre péché mortel » que de manger « chair, œufs ou fromage. »

Le refus de manger ce qui avait été tué ou exploité incitait le clergé cathare à suivre un strict régime alimentaire. Celui-ci n'était donc pas inspiré par un refus strict de la vie elle-même, ou de ses plaisirs. C'est peut-être ce qui semblait le plus paradoxal pour les catholiques : les Cathares considéraient la terre et la chair comme appartenant au diable, mais ne considéraient pas la sexualité et le plaisir comme des péchés :

« Je ne crois pas devoir taire qu'aussi certains hérétiques prétendaient que nul ne pouvait pécher depuis l'ombilic et plus bas. »

L'Avesta comporte d'ailleurs des messages de Zarathoustra encourageant les hommes à vivre et à jouir, à la seule condition que ces pratiques appartiennent au domaine de « la pensée juste, de l'acte juste et de la parole juste » (notons que ces mêmes termes se retrouvent à l'identique dans le jaïnisme ou bouddhisme).

En outre, le manichéisme était organisé selon une division stricte de la communauté des croyants. De la même manière que dans le jaïnisme, il existait un clergé qui vivait dans la privation et avait pour principale occupation le voyage, le prêche et l'évangélisation, et des « laïcs », qui avaient bien moins de règles à suivre. Pierre de Vaulx-Cernay témoigne que la société religieuse cathare ne fonctionnait pas différemment :

« Il faut savoir en outre que certains entre les hérétiques étaient dits parfaits ou bons, et d'autres croyants. Les parfaits portaient vêtements noirs, se disaient faussement observateurs de chasteté, détestaient l'usage des viandes, œufs et fromage, et affectaient de paraître ne pas mentir, tandis qu'ils mentaient tout d'une suite et de toutes leurs forces en discourant de Dieu. Ils disaient encore qu'il n'était raison aucune pour laquelle ils dussent jurer. Étaient appelés croyants ceux qui, vivant dans le siècle, et bien qu'ils ne cherchassent à imiter les parfaits, espéraient, ce néanmoins, qu'ils seraient sauvés en la foi de ceux-ci. »

Enfin, on retrouve chez Vaulx-Cernay des coutumes perses, telles que la polygamie ou l'inceste :

« Ils disaient qu'on ne pèche davantage en dormant avec sa mère ou sa sœur qu'avec toute autre femme quelconque. »

De telles coutumes remontent au temps de Zarathoustra, alors que les princes, sous certaines conditions, pouvaient épouser leur sœur. Depuis la plus haute antiquité, un tel inceste était parfois pratiqué, parfois interdit. On en trouve aussi la trace dans l'Ancien Testament, dans les Codes mésopotamiens, tout comme dans les chroniques des pharaons et de l'Empire romain.

Grégoire de Visme

Source : www.arya-dharma.com

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