Il est vain de vouloir trouver un sens « caché » ou « métaphysique » à cet art contemporain («AC») qui s’expose dans nos places publiques sans y être invité. En revanche, l'AC interroge en tant que « symptôme ». Mais un symptôme implique alors une pathologie esthétique et sociale. Laquelle ?  

En écrivant cette phrase, sans doute justifiable sur le fond, j’ai volontairement commis trois erreurs. Si elles ne sautent pas aux yeux du lecteur, c’est qu’un travail suffisamment subversif dans la langue a déjà fait son œuvre.

Le but de ce modeste article consiste à montrer pourquoi les termes employés ordinairement sont trompeurs pour parler de l’«AC». Je corrige donc, sans esprit de réaction, mais plutôt de mise au point, les termes suivants : 

1 : l’AC n’est pas contemporain.

2 : l’AC n’est pas un art.

3 : l’AC ne s’ « expose » pas,  mais s’ « impose ».

1- L’erreur la plus commune : « contemporain » appliqué à l’AC est une usurpation sémantique désormais connue de n’importe quel amateur d’art. L’AC ne peut en aucun cas être qualifié de « contemporain », car il est daté. Il ne suit pas une « évolution », une cadena aurea, comme par exemple l’Impressionnisme, mais une rupture. Il y a une différence entre un éboulement de terrain et une saison. Or une rupture n’a pas d’histoire, mais s’identifie à une date, la voici : 1917, Marcel Duchamp expose le bidet R. Mutt. Le terme « contemporain » est donc impropre à désigner ces artefacts exposés dans nos villes, car ces derniers sont en fait la répétition à l’infini d’une rupture sémantique, épistémologique, initiée par Marcel Duchamp. L’ « art contemporain » est un terme usurpé, car il s’agit en réalité d’un courant de l’art exclusif de tous les autres courants. Aude de Kerros parle d’hypervisibilité de l’AC occultant la diversité de la création. La seule contemporanéité qui doit être soulevée avec l’AC, c’est la Première Guerre mondiale. Avec un siècle d’avance sur le « grand reset » de la civilisation dont nous parlons aujourd’hui, Duchamp, génie narcissique, invente le «grand reset» esthétique, préfigurateur de tous les autres.   

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2 - Le deuxième terme est plus difficile à cerner, car polysémique. Il appartient à un champ plus large. Le mot « art » est un mot englobant, peu défini pourtant, associé traditionnellement au beau, lui-même relié au vrai. C'est ce sentiment commun que je prends ici en compte et non le concept décortiqué par les philosophes. Ce sentiment m’autorise à avancer les arguments suivants : sans beauté, élévation et tradition, (voire, le « métier »), il est à mon avis très difficile de parler d’« art ». Lorsque l’art ne parle pas splendidement à l’âme, mais à la réaction émotive, à l’instar du feu rouge, du panneau de sens interdit, je pense en effet que le terme « art » est largement usurpé. Pourquoi donc continuer à employer un mot totalement inapproprié même avec des guillemets ? L’ AC n’est tout simplement pas de l’art  ni de l’ « art ». C'est un slogan ou autre chose.

Lorsque nous employons le mot « miel », nous n’employons pas le mot « sucre ». À moins de considérer que le miel sécrété par les abeilles soit la même chose qu’un carré de sucre de l’industrie sucrière, on ne peut pas dire qu’un de ces « artefacts » soit de l’art. Le squelette de cheval suspendu sur le tombeau de Napoléon n’a rien à voir avec de l’art. Quel mot employer pour le qualifier ? C’est selon. Une « expérience » ? Une provocation ? Un contre-art ? Tout ce que l’on voudra, mais pas un art. 

Une œuvre parle à l’âme ou non ; elle entre en résonance avec votre mémoire profonde ou non ; elle est transfiguratrice ou non ; incandescente ou non, fait rêver ou non. Or le squelette en plastique du tombeau de porphyre (qui lui est de l’art) ne parle pas à l’âme, elle n’est ni incandescente ni onirique. Il s’agit en l'espèce d’une prise d’otage esthétique, mais pas de l’art.

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En l’occurrence, signalons que les nazis ont respecté le tombeau de Napoléon. En 1941, l'Occupant transférait à la France la dépouille de l'Aiglon jusque là inhumé à Vienne. Ce que l’Occupant n'a pas fait, l'AC l'a fait : la profanation d'un lieu identifié à la « grandeur française ». J’ajoute une réflexion personnelle sur l’Histoire : si le retraite de Russie marque la fin de l’aventure française dans le monde, le squelette marque l’enterrement de cette aventure. Il porte en effet l'auto-dénigrement d'une nation, car une nation est aussi faite d’ « un rêve tramé dans l’étoffe des songes » (William Shakespeare) et non d’un squelette en plastique. Le squelette entérine la pire des défaites qui soit : le renoncement à être. À mon sens, le squelette n'est donc pas de l'« art », car sinon il faudra qualifier le viol d’une jeune fille par le terme amour ; il faudra dire : « une fille a été aimée dans le métro par trois personnes qui l'on aimée » au lieu de : « une fille a été violée dans le métro par trois malfrats ». C’est à mon avis exactement le même contre-emploi subversif des mots.

De manière générale, l’AC nous rend « étranger » à nos villes, à nos squares, à nos quartiers : il est l’expression de la non-limite, de la standardisation globalisée. Une sorte de mendicité coûteuse qui s'impose à tous. Un art standardisé qui passe outre le génie national, régional, un art hors sol où les nations sont réduites en provinces et considérées comme des hôtels à citoyens. La France des Bourbons, de Napoléon et même de la République a toujours tramé ses lois et ses principes d’oeuvre d’art. Napoléon envoyait les plans des monuments alors qu’il était sur les champs de bataille. Aujourd’hui, le Young Leader Macron entérine la fin de l’aventure française par la conjonction des lois sociétales et de l’AC. Il est en outre intéressant de constater que parmi les membres des Young Leaders se trouvent un certain nombre de promoteurs de l’AC (Magda Danyz, Chen Yun, etc).   

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L’art est la manifestation d’un manque ontologique. (« L’homme est un être de manque » dit Arnold Gehlen). L’AC est, lui, la validation qu’il n’y a pas d’être. Sans chercher une définition académique de l’art, il me paraît essentiel de souligner que l’art touche parce qu’il contient des éléments de l’ordre cosmique, la feuille de Corinthe de la colonne éponyme, etc. Cela veut dire que la simple vision d’un balcon historié d'un immeuble en marchant dans une rue parle directement à l’âme. L’âme reconnaît ce langage et peut voyager avec tel ou tel élément cosmique vers des ailleurs qui lui sont propres. Sans cette reconnaissance directe et innée de l’âme, il est à mon avis difficile de parler d’art. Comme il est difficile de faire du miel sans pollen. Or, l’AC tourne le dos au cosmos, à l’éternité pour entrer dans l’ordre transparent du nombre et du concept. C’est un logo du vide : il nous dit qu'il n’y a plus d’aventure humaine et historique. L’art suppose la dimension de l’éternité ; l’AC, le temps médiatique. L'art suppose la verticalité de l'image ; l'AC, l’horizontalité du concept. C’est cette « définition » profonde de ce qu’est l’art qui m’autorise à dire que l’AC n’est tout simplement pas.

3 - On ne peut pas non plus parler d’exposition stricto sensu à l’endroit de l’AC, mais bien plutôt d’im-position ou de kidnappage. On n’a pas demandé à croiser dans son champ de vision un squelette en achetant un ticket d’entrée pour les Invalides. Le nounours géant de l’esplanade de Marseille, dit « ours jayet », est du même ordre. Il s’impose à vous comme une affiche publicitaire. Et comme lui, il cherche à vendre. Une publicité de dentifrice vise à vous faire acheter un tube de dentifrice ; un nounours géant vise à vous faire croire à une idéologie. Et je dirais même, plus une « astralité » qu’une idéologie. L‘AC fait selon moi partie de la « Forme-Capital », cette expression lancée par Gérard Glanel pour voir dans le libéralisme autre chose qu' un simple modèle économique. Le libéralisme est aussi une forme qui vous impose une manière unique de penser : un monde où il ne reste que l’individu et l’économie, à l’exclusion de toutes les autres dimensions de la vie. Désigné judicieusement par Christine Surgens par l’acronyme « AC », je propose que les deux lettres désignent aussi « artefact concept » ou «astralité conceptuelle ».

Il y a par ailleurs un moyen très simple de comprendre pourquoi l’AC s’impose et ne s’expose pas. Tout d'abord parce qu' elle reflète une idéologie qui, elle aussi, s'impose dans nos vies, la Forme-Capital. En outre, qui aurait envie de payer une entrée pour voir des poubelles fondues, des squelettes en plastique ? C’est une raison toute simple, mais elle vous montre pourquoi l’AC n’est pas de l’art : les âmes ne sont tout simplement pas attirées par lui.   

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Je précise enfin que je ne dénigre absolument pas toutes les innovations en matière d’art, y compris en matière d’art contemporain. Je peux même dire que la muséographie du Kolumba Museum de Cologne est l’une de celle qui m’a le plus interpellé ces dernières années. Dans la salle du KM, se faisaient face une icône médiévale et une œuvre contemporaine ; j’ai trouvé cette rupture avec la chronologie linéaire très stimulante. C’est un lieu où l’esprit de Mac Luhan souffle. On avait l’impression, en visitant les salles, de voyager dans deux spirales temporelles. La visite s’est poursuivie par les vestiges archéologiques du sous-sol. Le musée, qui est construit sur la base d'une église médiévale bombardée pendant la guerre, montre que l’on peut innover et même révolutionner les schémas de pensée, sans effacer les traces du passé.

L’AC est basé sur le postulat contraire, et quel que soit le nom qu’on lui donne, il n’a donc aucun avenir.

Frédéric Andreu-Véricel

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