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Mygales frites au Cambodge

 

La récente autorisation de la Commission européenne à la commercialisation de trois espèces d’insectes comme aliment pour les Humains, nous a poussés à nous interroger : pourquoi les cultures d’Europe occidentale, et les nations qui en découlent, sont-elles les seules à avoir renoncé à cette ressource alimentaire ?

Craquantes mygales frites au Cambodge, sandwichs de chenilles dodues au Burkina Faso, friandises de cafards thaïlandais… combien de mets de choix, combien de délices selon leurs dégustateurs nous passent-ils à côté à cause de nos préjugés ! Thermites, sauterelles,  criquets, vers, à l’état de larve ou adultes, crus ou cuisinés, il y en a pour tous les goûts. Et surtout, on en consomme partout… excepté en Europe (1). L’arrivée du grillon domestique, du ver à farine et du criquet migrateur dans nos plats a soulevé une vague de protestation (localisée, évidement, c’est pas comme si le citoyen moyen était au courant !), et tous les sondages montrent le rejet des Européens d’une nourriture à base d’insectes. La Commission Européenne a donc décidé que leur introduction se fera graduellement – disons même insidieusement – à travers leur réduction à poudre et à farine.

Les réactions instinctives qu’ils suscitent, même involontaires, telles que le dégoût ou le frisson de répulsion, sont à rechercher dans notre expérience évolutive.

Historiquement, il est vrai que de par le lointain passé, certains d’entre eux ont été consommés par nos aïeux : anciens Grecs et Romains voyaient dans les cigales et le cossus un entremet très recherché, Aristote en raffolait ! Dans les périodes de disette, il est aussi très probable que les nécessiteux se soient reportés sur cette ressource alimentaire faute de mieux. Et dans certaines régions, des plats traditionnels en comptent encore, comme le fameux fromage corse aux asticots.

Le rapport à l’entomophagie en Europe peut ainsi être résumé à une consommation marginale, locale, parfois lié au contexte économique et qui s’est perdu dans le temps. Faisant, en outre, souvent partie de ces mœurs considérées étranges, qui allaient définir l’autre, le barbare : pour l’historien grec Hérodote la tribu des nomades d’Asie centrale des Budins (ancêtres des Kirghiz) sont « les seules personnes qui mangent les parasites ». Il relate aussi avec étonnement, que les Nasamons, des Berbères de Libye « chassent les sauterelles, qui après être séchées au soleil sont réduites en poudre et mangées mélangées au lait. » Mais c’est encore Diodore de Sicile qui en fera un marqueur identitaire lorsqu’il appelle les habitants de l’Éthiopie les « mangeurs de sauterelles », les décrivant de petite taille et de faible constitution. Et de s’interroger : « les Acridophages finissent misérablement leur vie par la décomposition de leur corps ; et on ne saurait dire si c’est à la nourriture dont ils usent, ou à l’intempérie de l’air qu’ils respirent qu’on doit attribuer cette étrange maladie ».

Très tôt, à partir même du Néolithique et de sa révolution agricole, les insectes seront pour nos ancêtres indissociablement liés à la maladie et à la mort, porteurs de virus, microbes ou parasites. L’exosquelette des insectes contient de la chitine, que l’être humain ne digère pas. Manger des vers serait indirectement et symboliquement synonyme de cannibalisme, puisque ces derniers se nourrissent de nos cadavres (2). Enfin, certaines espèces s’étant révélées nuisibles, voire mortelles pour l’homme (comme les larves de l’Hyphantriacunea), par reflexe anthropologique, on pourrait les avoir tous mis dans le même panier. C’est un peu faire court, vous me direz, étant donné qu’ils sont la plus grande biodiversité d’espèces animale de la planète ! L’interdit obéirait donc à un préjugé, ce dernier étant un héritage, une transmission de codes, une mise en garde généralisante ayant à faire à une expérience passée.

Depuis des siècles que les Européens ne se nourrissent plus que d’aliments encadrés par la pratique de l’agriculture, faire des insectes une ressource alimentaire apparaît comme une involution, un retour en arrière, comme l’explique l’entomologiste Richard Vane-Wright « le fait même que l’habitude de manger des insectes appartienne principalement au stade évolutif des chasseurs-cueilleurs peut être un facteur important dans la psychologie du rejet par les peuples occidentaux; nous pourrions catégoriser l’entomophage comme primitif ».

Car si tous les êtres humains ont le même besoin de se nourrir, la façon de manger, le rapport à la cuisine est propre à chaque civilisation. Manger comporte une signification symbolique, raison pour laquelle les aliments ne peuvent être réduits à leur seul apport nutritif ou à leur coût de production.

Et l’entomologiste anglais de conclure : « les habitudes alimentaires ne sont pas conditionnées par les tables nutritionnelles, compte-calories ou les régimes équilibrés. Ce que nous mangeons est conditionné par la religion, la tradition, la mode, en un mot, la culture. »

Audrey D’Aguanno

Notes:

(1) Que les insectes n’entrent pas dans la diète des différentes populations de l’Union est confirmé par l’EFSA, l’autorité européenne sanitaire. Sa réglementation Novel Food interdit tout aliment n’ayant pas été consommé de façon significative avant mai 1997. Malgré les recherches effectuées, son verdict est clair : il n’y a pas de consommation d’insectes significative en Union Européenne avant cette date.

(2) L’argument est invoqué dans le Coran pour interdire leur consommation. Mais les criquets sont retenus halal, et certaines écoles coraniques professent que les insectes ne pouvant pas être égorgés pour être vidés de leur sang, ils sont par conséquent eux aussi autorisés. Dans la Bible et le Lévitique, seules les sauterelles sont comestibles.

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