ckn1

 

Chacun connaît Libération, le quotidien financé – tour à tour – par Édouard de Rothschild, puis par l’homme d’affaires Bruno Ledoux, puis par Patrick Drahi de SFR, enfin par le Tchèque Daniel Křetínský. Le quotidien dispose d’un service de « vérification » appelé CheckNews. Nous posons une question simple : ce service est-il un auxiliaire de police ? Pour y répondre, nous étudierons un long article du quotidien, sur un bizarre « canal d’extrême droite » FR DETER.

Avouons-le de suite, nous ignorions tout du fil FR DETER sur Telegram avant l’article de CheckNews sur Libération le 6 avril 2023. Il existe une foultitude de fils divers et variés sur les réseaux sociaux et celui-ci comme les autres devait comporter son lot de foldingues, de mythomanes, de justiciers en chambre et de pseudo terreurs actifs sur internet. Le fil a été fermé, ce n’est pas son contenu qui nous intéresse, mais la manière dont CheckNews a suivi et traité l’affaire.

 

Présentation du fil

Pour Libération, le fil est « d’extrême-droite, prônant l’ultra-violence et relayant l’idéologie nazie ». Remarquons que pour le quotidien de Messieurs Drahi et Křetínský, le ministre de l’Intérieur Gérard Darmanin est présenté comme proche de l’extrême-droite et ultra-violent et que tout groupe à la droite de la branche centriste de LR est suspect de sympathies pro nazi, on est bien peu de choses.

Les captures d’écran présentées reprennent des échanges informels et insignifiants d’étudiants du mouvement La Cocarde, sans signe nazi ou autre.

 

Libé se met en cinq pour dénoncer avec minutie

La suite est plus intéressante, car l’article vise à identifier des utilisateurs du fil, puis à les dénoncer à leur employeur (ou leur école) en vue d’un avertissement ou d’une mise à pied ou même d’un licenciement ou d’une exclusion. Prenons quelques exemples, les lignes en italiques sont des citations de l’article.

 

Et d’un

« Guillaume A., présent dans le sous-groupe «FR DETER» du Var, se présente comme membre d’une équipe de «police secours nuit» et indique qu’il opère au sein de «patrouilles anti-violences urbaines». Un peu plus loin : « Une source policière sur place indique «essayer de démêler la situation», tout en précisant qu’il «semblerait que ce soit un policier adjoint». Encore plus loin, « La préfecture du Var, sollicitée, renvoie vers l’Intérieur. De nouveau interrogé à ce sujet, l’entourage de Darmanin indique cette fois qu’une enquête est en cours et ne veut faire aucun commentaire ». Enfin, « le parquet de Paris confirme que le «signalement est en cours d’analyse au pôle national de la lutte en ligne». Nous ignorons tout de Guillaume A, mais nous constatons que Check News a contacté pour le dénoncer tour-à-tour :

  1. Une source policière
  2. La préfecture du Var
  3. Le Ministère de l’Intérieur, au moins deux fois (« de nouveau interrogé »).
  4. Le Parquet de Paris

Si après cela Guillaume A. « signalé » ne se retrouve pas ou bien au cachot, ou bien licencié ou a minima au tribunal, c’est qu’il n’y a pas de justice pour les dénonciateurs.

 

Et de deux

Prenons un second exemple, dans le monde du rugby, citation « CheckNews a également relevé la présence d’un mineur évoluant dans la section associative d’un club de Top 14. Le club nous explique s’être entretenu avec le jeune garçon et sa famille. Pour sa défense, ce dernier explique avoir atterri contre son gré dans le canal Telegram, en recherchant via TikTok des renseignements sur l’armée et le moyen de rejoindre l’équipe de rugby de la Marine ».

Nous ne savons pas quelle grave menace représentait ce jeune homme. Nous constatons en toute candeur que Check News a contacté son club de rugby pour le « mettre en garde ». On peut supposer que le désir du garçon de rejoindre l’équipe de rugby de la marine ne sera pas vraiment favorisé par la dénonciation. Merci qui ?

 

Et de trois

Mais poursuivons nos citations « Parmi les jeunes, beaucoup affichent leurs ambitions de devenir militaire ou du moins leur passion pour ce domaine. Dans les canaux, certains arborent des photos de soldats qui ne sont pas les leurs, d’autres ont simplement fait des stages, à l’image de l’un d’eux qui affiche fièrement sa «préparation Militaire Terre» de cinq jours. Un autre se dit être actuellement élève en lycée militaire, dont la devise est visible sur sa photo de profil. Contactée, la direction de l’établissement n’a pas donné suite ». Relisez lentement la dernière phrase : contactée, la direction de l’établissement n’a pas donné suite… Ce qui veut dire :

1 Check News a recherché l’établissement, son téléphone ou son mail ou son adresse.

2 Check News a dénoncé l’élève par téléphone, par mail ou par courrier ou par les trois.

Malheureusement « la direction de l’établissement n’a pas donné suite » ; la police doit affronter parfois certains échecs.

 

Et de quatre

Poursuivons encore avec un autre exemple « Autre cas frappant, un policier municipal, qui avait affiché son prénom, sa ville et sa fonction sur le sous-groupe Telegram du Val‑d’Oise. Il a été suspendu par son employeur suite aux révélations. Contactée par CheckNews, la mairie de Franconville, en Ile-de-France, a indiqué que la décision avait été prise dès le lundi 3 avril, «après avoir pris connaissance de cette information». L’information  transmise par Check News bien entendu, mission accomplie pour Libération, pourrait-on dire…

 

Et de cinq

Terminons par un exemple de chasse à l’homme dans le monde étudiant : « Quid des initiateurs du canal ? CheckNews n’a, pour l’heure, pas pu identifier le principal gérant du canal. Chaque sous-groupe départemental était géré par une poignée d’administrateurs. L’un d’eux, étudiant en école de commerce, fait actuellement l’objet d’une procédure disciplinaire de la part de son établissement, qui indique à CheckNews prendre «le sujet très au sérieux ».

Pour que le sujet soit pris « très au sérieux », un journaliste de CheckNews a dû prendre contact avec l’école de commerce pour lui « signaler » qu’un vilain petit canard se trouvait parmi ses élèves. Un conseil de discipline extraordinaire s’est réuni avec des sanctions pouvant aller « jusqu’à son exclusion ». On n’est pas plus clair. Nous pourrions trouver d’autres exemples du même style dans l’article et avec la même méthode :

  1. Identification du contrevenant
  2. Signalement aux autorités concernées pour mesures à prendre
  3. Suivi pour application de la sanction

Fermons le ban, la démonstration est faite, CheckNews est une institution policière. Pourquoi pas ? Il faut aussi de la police dans une société. Mais dans ce cas il ne faut pas se prétendre journaliste, il faut rendre sa carte de presse, mettre un joli uniforme avec une casquette et assumer son rôle de flic de la pensée, joli métier qui a de l’avenir dit-on…

(Première diffusion le 28 avril 2023)

Source : Observatoire du journalisme (Ojim)

FaLang translation system by Faboba
 e
 
 
3 fonctions