David Goodhart, journaliste et essayiste britannique, est une figure intellectuelle influente, connue pour ses analyses des tensions sociales, de l’immigration et de l’identité nationale dans un monde globalisé. Fondateur de la revue Prospect et ancien directeur du think tank Demos, Goodhart explore dans ses écrits les fractures entre élites cosmopolites et populations enracinées, ainsi que les déséquilibres dans la valorisation des compétences. Cet article examine ses principales publications, idées et arguments, offrant une synthèse claire et accessible de son œuvre.
Les principales publications de David Goodhart
Dans un essai publié en 2004 dans Prospect, Goodhart pose une question provocante : une diversité accrue, notamment liée à l’immigration, menace-t-elle la solidarité sociale ? Il argue que dans des sociétés homogènes, les citoyens partagent un sentiment de « parenté » qui facilite la redistribution via l’État-providence. À l’inverse, dans des sociétés très diversifiées, ce sentiment s’érode, les individus étant moins enclins à financer des services publics pour des groupes perçus comme éloignés. Cet essai, qui cite un sondage YouGov de 2011 révélant que 62 % des Britanniques trouvent parfois leur pays « étranger », a suscité un vif débat. Critiqué par certains, comme Trevor Phillips, pour flirter avec des idées xénophobes, Goodhart se défend en plaidant pour un équilibre : ralentir l’immigration et renforcer l’intégration pour préserver la cohésion sociale.
Dans The British Dream : Successes and Failures of Post-war Immigration (Atlantic Books), Goodhart analyse l’impact de l’immigration au Royaume-Uni depuis 1945. Il reconnaît ses bénéfices économiques et culturels, mais souligne ses défis : une immigration rapide et mal gérée érode la solidarité nationale et alimente le ressentiment des populations locales. Critiquant la gauche britannique pour son aveuglement sur ces questions, il plaide pour une réduction des flux migratoires et une intégration plus robuste, comme l’exigence de la maîtrise de la langue. Ce livre a consolidé sa réputation de penseur critique des politiques migratoires libérales, bien que certains l’aient jugé alarmiste.
Publié par C. Hurst & Co. et traduit en français sous le titre Les Deux Clans : La nouvelle fracture mondiale (Les Arènes, 2019), The Road to Somewhere est l’œuvre la plus influente de Goodhart. Il y introduit une distinction clé entre les Anywheres (20-25 % de la population), des élites éduquées, mobiles et cosmopolites, et les Somewheres (environ 50 %), enracinés dans leurs communautés, attachés aux traditions et moins à l’aise avec la mondialisation. Cette fracture explique, selon lui, la montée du populisme, comme le Brexit ou l’élection de Boris Johnson en 2019, perçus comme une révolte des Somewheres contre la domination des Anywheres. Goodhart propose un « populisme décent » : ralentir l’immigration, valoriser l’identité nationale et investir dans les régions périphériques. Ce cadre, comparé aux travaux de Christophe Guilluy sur la « France périphérique », a marqué les débats sur le populisme en Europe et aux États-Unis.
Dans Head, Hand, Heart: The Struggle for Dignity and Status in the 21st Century (Allen Lane, traduit sous La Tête, la Main et le Cœur, Les Arènes, 2020), Goodhart critique la survalorisation des compétences académiques (« la Tête ») au détriment des métiers manuels (« la Main ») et du soin (« le Cœur »). Il argue que la « classe cognitive », issue de l’enseignement supérieur, impose ses valeurs, marginalisant les travailleurs manuels et les soignants, dont les métiers sont essentiels mais sous-valorisés. La démocratisation de l’enseignement supérieur, selon lui, a produit trop de diplômés pour des emplois peu qualifiés, tandis que les formations techniques sont négligées. Goodhart appelle à revaloriser les métiers de la Main et du Cœur, en leur accordant plus de dignité et de statut, et à repenser la méritocratie pour inclure diverses formes d’intelligence. Ce livre a été salué pour sa critique des inégalités, bien que certains lui reprochent des généralisations.
Les idées et arguments centraux
Goodhart soutient que l’immigration massive fragilise la confiance mutuelle nécessaire à un État-providence généreux. S’appuyant sur des données empiriques, il note que les sociétés diversifiées peinent à maintenir un sentiment d’obligation collective. Il ne rejette pas la diversité, mais prône un rythme migratoire plus lent et des politiques d’intégration, comme l’apprentissage de la langue ou la priorité aux citoyens pour certains emplois. Ses détracteurs l’accusent de légitimer des discours anti-immigration, mais il se positionne comme un libéral cherchant à préserver la cohésion sociale.
La distinction entre Anywheres et Somewheres est au cœur de son analyse du populisme. Les Anywheres, bénéficiant de la mondialisation, dominent la culture et la politique, tandis que les Somewheres subissent la désindustrialisation et la perte d’identité. Le Brexit et d’autres mouvements populistes expriment, selon Goodhart, un besoin de reconnaissance des Somewheres. Il propose de réconcilier ces groupes par des politiques valorisant l’enracinement local et l’identité nationale, tout en évitant un nationalisme extrême
Goodhart dénonce la domination de la « classe cognitive », qui marginalise les métiers manuels et du soin. Il critique l’obsession pour les diplômes universitaires, qui dévalorise les compétences pratiques et alimente les inégalités. Sa solution : revaloriser les métiers de la Main et du Cœur, par exemple en renforçant les formations techniques et en accordant plus de prestige social aux soignants et artisans.
Goodhart voit dans le populisme une quête légitime de stabilité et d’identité. Il défend un « populisme décent », combinant nationalisme modéré et libéralisme, pour répondre aux frustrations des Somewheres sans sombrer dans l’extrémisme. Ses propositions incluent la protection des communautés locales, la préservation des paysages et une meilleure représentation politique des classes populaires.
Les travaux de Goodhart offrent un cadre analytique puissant pour comprendre les fractures sociales et la montée du populisme. Sa distinction entre Anywheres et Somewheres éclaire des phénomènes comme le Brexit, l’élection de Trump ou la popularité du Rassemblement National en France. Ses analyses, étayées par des données et des observations sociologiques, séduisent par leur clarté et leur nuance. Cependant, ses idées suscitent des critiques : sa vision binaire (Anywheres vs Somewheres) simplifie parfois la complexité des identités, et ses positions sur l’immigration sont accusées par certains de légitimer des discours xénophobes. De plus, son concept de « populisme décent » reste ambigu, manquant parfois de contours clairs.
En 2025, les idées de Goodhart restent d’actualité. Des discussions sur les réseaux sociaux citent ses travaux pour analyser les tensions liées à l’immigration ou les fractures entre élites et classes populaires. Par exemple, un post récent paraphrase Goodhart, notant que « les bénéfices de l’immigration sont privatisés, mais ses coûts sont nationalisés ». Ses concepts, notamment comparés à ceux de Christophe Guilluy, continuent d’alimenter les débats sur le populisme et les inégalités en Europe et au-delà.
Conclusion
David Goodhart est un penseur qui éclaire les défis de la mondialisation, de l’immigration et des inégalités. À travers Too Diverse ? The British Dream, The Road to Somewhere et Head, Hand, Heart, il analyse les tensions entre diversité et solidarité, élites cosmopolites et populations enracinées, ainsi que la survalorisation des compétences cognitives. Ses solutions – contrôler l’immigration, valoriser l’identité locale et revaloriser les métiers manuels et du soin – visent à réconcilier des sociétés fracturées. Malgré les controverses, son œuvre offre des clés essentielles pour comprendre les dynamiques sociales et politiques du XXIe siècle, faisant de lui une voix incontournable dans le débat public.