COMMUNAUTARISMES

Certains refusent l'évidence et nient le caractère ethnique des émeutes urbaines de l'automne 2005. Aveuglement volontaire dont les motivations sont pour le moins ambiguës. D'autres, comme Finkielkraut, ont changé leur fusil d'épaule, devant les faits, et rallié la défense de leur communauté (Finkielkraut a redécouvert qu'être juif implique des solidarités). Car les communautés et les communautarismes sont une réalité incontournable – il faut s'appeler Daniel Lindenberg (auteur de Rappel à l'ordre) et être, comme lui et beaucoup d'autres, muré dans une idéologie ringarde pour le nier, obstinément et stupidement.

"Ilan Halimi : une mobilisation communautaire". Par ce titre de première page, Le Monde (28 février) résumait la manifestation organisée à Paris le 26 février pour dénoncer le meurtre d'Ilan Halimi, jeune Juif enlevé et assassiné par une bande de voyous dirigée par un Franco-Ivoirien ( c'est le terme pour désigner un individu qui est Ivoirien par le droit du sang, "Français" par le droit du sol, en vigueur dans notre République si accueillante à "toute la misère du monde", comme a dit un jour Michel Rocard). Les organisateurs de la manifestation avaient déclaré vouloir une démonstration multiculturelle. "Cependant", précise Le Monde, "le cortège a rassemblé essentiellement des membres de la communauté juive, comme l'a reconnu Roger Cukierman, président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France)". Et un symbole très parlant confirmait cela : "De temps à autre un grand drapeau israélien était brandi au-dessus de la foule, soulevant des acclamations".

Faut-il s'en étonner ? Une bonne partie de la communauté juive a voulu polariser l'indignation de l'opinion sur le fait que la victime était issue de ses rangs (de mauvais esprits ont fait remarquer que le meurtre d'un autre homme, travaillant chez PSA, enlevé lui aussi pour de l'argent, n'avait pas suscité pareille indignation. Il est vrai que l'intéressé était Breton).

En fait, cette affaire révèle que la référence communautariste prend une place croissante au sein de la société française et s'affirme, aussi bien que chez les Juifs, chez les Maghrébins et les Blacks (y compris bien entendu les Antillais, Guyanais et autres populations d'origine africaine).

Décrié par certains, de l'extrême-gauche à l'extrême-droite, au nom d'une "intégration républicaine" ou d'une "unité nationale" évidemment factices, le communautarisme est désormais une réalité qu'il faut prendre en compte, que cela plaise ou non. D'autant que cela peut faire un beau tremplin électoral… Un qui l'a bien compris, c'est Sarkozy, puisqu'il "a pris en compte l'emprise croissante du fait communautaire dans la société française" (Le Monde, 8 mars 2006). Il multiplie les gestes de reconnaissance en légitimité à l'égard des divers communautarismes, même s'il a semblé ces derniers temps privilégier la communauté juive (dont, il le rappelle volontiers, son grand-père maternel est issu). Mais, s'il a fait une intervention remarquée au dîner du CRIF, où tout le gratin politicien était présent, le 20 février, trois jours auparavant il avait convié à déjeuner, place Beauvau, une vingtaine de Beurs jugés exemplaires par leur réussite économique mais invités es-qualité, en raison de leur appartenance communautaire. Dans son état-major de l'UMP – qui est, déjà, un état-major de campagne présidentielle –Sarkozy a confié à Abderrahmane Dahmane, président du Conseil des démocrates musulmans de France (un bidule bidon, fait sur mesure), le secrétariat national de l'UMP chargé des relations avec les associations des Français issus de l'immigration. Ce connaisseur explique que Sarkozy doit, pour se mettre bien avec les divers communautarismes, se livrer à "une politique de jongleur, d'équilibriste". Exercice délicat. Mais Sarkozy, qui a souhaité publiquement la nomination de préfets musulmans, annonçait la couleur – si j'ose dire – dès 2004 dans son livre La République, les religions, l'espérance (Cerf) : "En vérité, et c'est bien là tout le problème, la France est devenue multiculturelle, multiethnique, multireligieuse... et on ne le lui a pas dit".

Il est appuyé, dans cette analyse, par l'inénarrable Roselyne Bachelot, bombardée secrétaire générale de l'UMP : "La nostalgie du creuset républicain n'est en aucun cas opérationnelle, le phénomène communautaire est inévitable dans une société globalisée". Même son de cloche avec Manuel Aeschlimann, "conseiller pour l'opinion publique" auprès de Sarkozy et qui, en tant que député-maire d'Asnières, la troisième ville des Hauts-de-Seine, a créé un "Conseil des communautés" car, explique-t-il, il a recensé "une cinquantaine de nationalités et d'ethnies diverses" dans sa bonne ville.

C'est ce qu'en termes d'intello le sociologue Michel Wieviorka appelle l'émergence d'un "modèle post-républicain". Il constate : "Sarkozy est l'homme politique qui a le mieux compris qu'on était entré dans une nouvelle configuration. Et il s'y installe".

Sarkozy veut donc surfer sur une "période de tensions intercommunautaires" – tensions que reconnaît, pour s'en lamenter, Jean-Baptiste de Montvalon dans Le Monde. Mais, ajoute-t-il, "le président de l'UMP aura du mal à « tenir », jusqu'en 2007, les multiples bouts d'une chaîne qui se tend". Ainsi, Patrick Rozes, président du CRAN (Conseil représentatif des organisations noires) déclarant craindre une "instrumentalisation" du communautarisme, ne fait que revendiquer, pour lui et les siens, une part convenable du gâteau. Car le communautarisme, il connaît...

D'ailleurs, il pourrait bien y avoir un candidat noir à la présidentielle de 2007. Dieudonné, Christiane Taubira sont sur les rangs. Et pourquoi pas un candidat beur ? Quant aux législatives, les divers partis vont devoir colorer leurs investitures... Sachant que l'heure de vérité ce sera les municipales, l'hypothèse de villes prises par des listes d'immigrés n'étant pas du tout impensable, pour des raisons démographiques.

Et les Gaulois, dans tout cela ? Nous les avons souvent appelés à prendre conscience de la réalité communautariste, à l'assumer et même à la revendiquer pour eux-mêmes. Serons-nous entendus ? Question cruciale car elle conditionne la survie de notre identité.

Je me suis toujours refusé à me bercer d'illusions. La vérité, c'est que la masse des Gaulois est anesthésiée et, troupeau guidé par la mangeoire, n'a pas envie de se bouger. C'est trop fatigant. Trop risqué.

Mais peu importe la masse. Comme toujours depuis le début de l'Histoire, tout dépendra d'une minorité. Si cette minorité existe, faite de femmes et d'hommes n'acceptant pas la soumission, décidés à résister, à se battre, tout est possible. C'est la petite lumière dans la nuit. C'est notre raison d'être. Haut les cœurs !

P. VIAL

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