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Entre Francis le turbulent garçon des Marolles, le plus vieux quartier populaire de Bruxelles, et Francis l’orateur enthousiaste, député et vice-président du parlement belge, il se déploie plus d'un demi-siècle d'engagement ininterrompu pour la Flandre, pour l'ensemble des Pays-Bas et pour l'Europe. Pas l’Union européenne, mais ce qu’il aimait appeler l’Empire des peuples européens.

J'ai rencontré Francis à cette première époque et au fil des ans je l'ai vu évoluer - et rester le même. Nous étions rarement membres des mêmes associations. Cela a abouti très régulièrement à des discussions animées autour d’une pinte. Pintes, au pluriel, pour être juste !

 

La Flandre est devenue plus pauvre

Parce que la bonne Flandre a un champion en moins, quelqu'un qui prêchait l’engagement et le vivait lui-même. L'engagement d'un Till Ulespiègle, toujours frais et spontané, avec le visage découvert et plus d'humour que ses adversaires ne pouvaient souvent en supporter. Se battant pour ses principes, avec un sourire aux lèvres, tenace, mais jamais aigre ou cassant. Et cela aussi bien en néerlandais qu’en français et d’autres langues encore.

Quant au Conseil municipal de la ville de Gand il fut confronté pour la énième fois aux « heures les plus sombres de notre histoire » et la collaboration de certains nationalistes flamands, il demanda d'abord pourquoi la mairie maintenait un nom de rue et une statue pour Lieven Bauwens (1769-1822). Des points d'interrogation sur de nombreux visages. Eh bien, a rappelé Francis aux conseillers municipaux, Bauwens était un collaborateur de l'occupant sans-culotte français, maire de guerre de Gand, à la fois jacobin et chouchou de Napoléon...

De plus, Francis - lui-même issu d'une famille « blanche comme neige » - s'est émerveillé de la mémoire misérablement courte d'un certain nombre de collègues verts, libéraux et rouges qui auraient mieux fait de se rappeler leur propre passé familial dans la guerre. Après la réunion du conseil, au moins un membre de chaque groupe mentionné est sorti dans les couloirs pour le remercier de ne pas avoir mentionné son nom.

De cette façon, Francis s'est fait des amis ou du moins des adversaires respectueux - en donnant lui-même l'exemple. Cela ressemble à l'école, mais cela a fonctionné. Il a été aidé par sa mémoire phénoménale et son trésor d'anecdotes historiques. Et ses nombreux voyages, littéralement à travers le monde. J'aurais aimé l'entendre parler du Myanmar, où il avait bien sûr été et fouiné, mais ça n'a plus été possible.

Puis il y avait ses histoires irlandaises. Je ne pense pas que la Flandre ait eu un meilleur connaisseur d'Irlande. D'ailleurs, son fils aîné y habite, marié à une Irlandaise : « Le seul pays étranger à qui j'ai voulu céder un enfant »...

Quand en 2010 il ne s’est plus porté candidat pour l’Assemblée nationale, il a tenu un discours remarquable sur « ce qui nous sépare », prônant que ce n’était guère le clivage droite-gauche, mais beaucoup plus l’antagonisme entre le populisme ethno-culturel de Herder, le boulangisme ou encore Barrès d’un côté et l’étatisme, allant des jacobins à Maurras et de Jean Bodin à Marx du côté opposé. Silence sur tous les bancs.

 

La Flandre est devenue plus riche

Francis faisait partie de ces personnes uniques qui quittent le monde en le laissant plus beau qu’elles ne l'ont trouvé. Que cela ait été possible est la pensée éminemment réconfortante que Francis nous laisse.

Chaque mort soulève des questions dont on se demande s'il faut les poser : Ne sommes-nous pas, les vivants, des morts en vacances dans ce monde ? Quoi qu'il en soit, la Flandre est devenue plus riche d’un exemple concret, nous sommes tous devenus plus riche d'un souvenir d’une personnalité unique, dont la chaleur honnête et l'inspiration profonde nous aident tous à continuer à vivre et à nous engager.

Francis a littéralement vécu ce que les dieux, par l'intermédiaire de Walter Flex, l’auteur des Oies sauvages, lui avaient ordonné :

 

Ce que personne n’ose, tu l’oseras,

Ce que personne n’exprime, dis-le,

Ce que personne ne pense, tu l’argueras,

Ce que personne n’ose, fais-le.

 

Si personne ne dit oui, toi tu le diras,

Si personne ne dit non, à toi de nier,

Si tous doutent, confiance tu feras,

Si tous s’emballent, tu seras le dernier.

 

Quand tous acclament, prends ton temps,

Quand tous se moquent, silence salutaire,

Quand tous refusent le partage, soit clément,

Quand tout est sombre, allume la lumière ![1]

 

Écrit spécifiquement pour lui, on dirait.

Nous offrons nos condoléances à sa chère épouse et à ses quatre enfants, avec ce conseil de Francis lui-même: « Chérissez vos souvenirs, ils sont la seule chose que personne ne pourra jamais vous enlever. »

Au revoir Francis, cher ami d'une honnêteté désarmante, au revoir.

Et un grand merci pour tout.

 Luc Pauwels

[1] Traduction de l’allemand par Wido Bourel.

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