C’ÉTAIT IL Y A 60 ANS. Alors que l’Algérie française vit ses derniers mois d’existence, apparaît en métropole un nouveau titre de la presse nationaliste : La Révolution syndicaliste. Son numéro 1, daté de février 1962, publie en pleine page les 19 points de la charte du Parti national-syndicaliste français (PNSF), avec en exergue : « Pour la patrie. Pour le travail. Pour la justice ».
Un constat tout d’abord. Les nombreux livres consacrés à l’« extrême droite » ne font jamais état du PNSF alors que s’y trouvent mentionnés, voire analysés ou disséqués, les moindres groupuscules ou sous-groupuscules. Et ceci quel que soit le positionnement idéologique des auteurs. Rien dans Les Mouvements d’extrême droite en France depuis 1944 de François Duprat, rien dans La Tentation néo-fasciste en France. 1944-1965 du communisant Joseph Algazy, rien non plus du côté des universitaires avec L’Extrême Droite sous la Ve République de René Chiroux ou Fascisme français - Passé et présent de Pierre Milza. La liste pourrait être allongée. Seul Henry Coston fait exception à la règle en consacrant une courte notice au PNSF dans son Dictionnaire de la politique française (tome I). Voilà qui demeure surprenant car ce parti nationaliste aux traits originaux a eu une existence bien réelle, comme en témoignent ses démêlés tant avec le pouvoir gaulliste qu’avec les communistes et la CGT.
Tout commence le 9 février 1959 avec la création du Mouvement de la jeunesse combattante et syndicaliste. La nouvelle organisation se fait connaître en lançant un appel à « l’union des jeunes Français ». A peine fondé, afin d’élargir son assise, le mouvement se transforme, le 19 juin 1959, en Parti national-syndicaliste français. A la tête du PNSF se trouve un triumvirat composé de Roger Bru, ancien militant de la CGT, délégué fédéral de la Fédération nationale des chauffeurs routiers (FNCR, syndicat représentatif regroupant 50 000 adhérents en 1959), Lucien Boer, journaliste à La Dépêche de Lens, et surtout Liliane Ernout qui occupe le poste de secrétaire général (elle sera aussi directrice de La Révolution syndicaliste).
Jeune, jolie, douée pour l’écriture…
Liliane Ernout, née en 1926, évolue dans un milieu artistique, son père étant directeur d’une galerie de peinture à Montmartre. Jeune, jolie, volontaire, cultivée, douée pour l’écriture – elle publie très tôt un recueil de poèmes –, elle entreprend une carrière de comédienne. De 1949 à 1957 son nom figure au générique d’une dizaine de films, dont Pot-Bouille de Julien Duvivier. Elle se produit également à la RTF et au théâtre ; ainsi dans Namouna de Jacques Deval. Ses qualités d’actrice ne lui font pas oublier son profond amour de la France qu’elle lie à son désir de justice sociale. D’où son engagement à corps perdu dans la politique. Avec les risques que cela comporte.
Ses prises de position en faveur de l’Algérie française lui valent, en février 1960, d’être deux fois appréhendée en toute illégalité, comme le relatent Le Monde et France-Soir. Mais la fin de la présence française en Algérie ne signifie pas la fin du combat politique. Il s’agit toujours de construire l’Etat national-syndicaliste.
Le PNSF voit dans le syndicat « la cellule organique de la société qui réunira tous les travailleurs », avec pour conséquence « la destruction du concept de classes générateur de luttes fratricides. » Le but affiché ? « L’instauration d’un Etat syndicaliste, implacablement anticapitaliste, implacablement antimarxiste » ; un projet politique, donc, qui se fonde sur la famille, la commune, le syndicat.
Le terme de national-syndicalisme marque l’influence de la pensée de José Antonio Primo de Rivera, le fondateur de la Phalange. Mais à vrai dire, si le PNSF regarde vers l’Espagne, ce n’est pas la Phalange officielle, celle qui participe au gouvernement de Franco, qui l’intéresse ; ses sympathies vont vers les oppositionnels des Cercles José-Antonio, apparus vers 1960, qualifiés de « phalangistes de gauche ».
En ce qui concerne les références françaises, La Révolution syndicaliste met en valeur certains noms et épisodes du mouvement ouvrier : la Commune, Louise Michel, la fondation des Bourses du travail, la charte d’Amiens (1895) pour ses déclarations d’indépendance à l’égard des partis, de l’Etat et du jeu parlementaire, Georges Sorel pour ses appels à l’insurrection du peuple… L’actualité sociale de l’année 1960 pour le PNSF ? On relève notamment le soutien de la grève des mineurs de Decazeville, l’opposition aux licenciements chez Renault qui, au même moment, embauche des travailleurs étrangers, la défense de la paysannerie (le leader paysan contestataire Henri Dorgères collabore à La Révolution syndicaliste).
Dans le milieu ouvrier
Les ambitions du PNSF ne se limitent pas au « combat intellectuel ». C’est là une de ses hardiesses : prendre les moyens de pénétrer le milieu ouvrier. Et pour cela ne pas craindre de distribuer des tracts à la porte des entreprises. Des exemples ? En octobre 1961, « tractages » aux usines Renault de Billancourt avec violente réaction de la CGT. Comme le proclame l’un des tracts du PNSF : « N’en déplaise à certains, nous voici de nouveau au rendez-vous. » En septembre 1963, c’est le « syndicat maison » de Simca Nanterre qui s’en prend aux nationaux-syndicalistes. Au cours de la première moitié des années 1960, le PNSF réussit à implanter une cellule au ministère des Finances (implantation dénoncée par le bulletin de la section PCF du 1er arrondissement qui titre : « Des indésirables dans la maison »). Implantation également dans le secteur du bâtiment sur le thème : « Compagnon du bâtiment, tu dois exiger l’application de l’article 20 des conventions collectives » (relatif à l’hygiène et à la sécurité). Aux établissements Nicolas, le PNSF est à la pointe des revendications salariales face à la CGT qui moucharde « les révolutionnaires à la fasciste ». En fin de compte, des résultats intéressants mais trop parcellaires pour que perdure le PNSF.
Lors de l’élection présidentielle de 1965, Liliane Ernout ne soutient pas Tixier-Vignancour mais l’entrepreneur Marcel Barbu, apôtre de la « communauté de travail ». Rivarol lui ouvre ses colonnes. Elle retrouve dans le programme de Barbu des thèmes qui lui sont chers : la création d’une personnalité morale et juridique pour la famille considérée comme la cellule de base de la société, l’instauration d’un référendum d’initiative populaire, une réforme communale faisant du maire le défenseur de ses administrés. Liliane Ernout continuera à écrire dans Rivarol jusqu’à sa mort, en 1977, à 51 ans.
Philippe Vilgier Samedi 5 mars 2022 – Présent