Pierre-Antoine Cousteau, que tout le monde nommait « PAC », frère du commandant Cousteau, était un journaliste réputé et redouté, l'un des plus influents hommes de presse de l'Occupation, faisant preuve d'une verve inouïe, notamment dans Je Suis Partout, aux côtés de Lucien Rebatet et de Robert Brasillach. Comme tous les hommes bien nés, il fut évidemment condamné à mort à la Libération. Il affronta, raconte Alexandre Bouclay, l'auteur de la belle préface, ses juges avec une droiture et un courage salué par la passionaria rouge de l'Epuration, Madeleine Jacob, qui dira de lui: « C'est un drôle, dans tous les sens du terme ». Sa peine fut commuée en prison à vie par Vincent Auriol en 1947 et il fut libéré en 1953. Toujours insolent, il avait commenté: « Cette décision est typique du manque de sérieux démocratique ». Jamais il ne fera preuve de résipiscence, continuant à faire preuve de son mauvais esprit, de ses sarcasmes, maniant l'humour noir, l'ironie et le second degré dans Rivarol jusqu’à sa mort le 17 décembre 1958, à Paris. On doit à Jean-Pierre Cousteau, fils de PAC, la parution de ce livre « Portrait et entrevues », aux éditions Via Romana après celle de son formidable journal de prison, « Intra muros ». Un grand merci. La conclusion de la préface de Pierre-Alexandre Bouclay: « Qui ouvrira un livre de Pierre-Antoine Cousteau y trouvera un fatras de choses parfaitement désuètes comme la rectitude, le courage, le refus du relativisme, la fidélité à la parole donnée, le sens de l'honneur. Il n'y a plus de place pour un homme comme cela dans notre monde ».
PAC nous propose une centaine de « portraits », de Léon Blum à Adolf Hitler, en passant par Churchill, Louis-Ferdinand Céline, De Gaulle, Pierre Laval, Charles Maurras, mais aussi Sartre, Maurice Thorez, Jacques Duclos, André Malraux ou Staline. Pas toujours très tendre...
Jean Bassompierre
Parmi ces « Portraits », PAC évoque l'admirable Jean Bassompierre, héros de 39/40, chef milicien, membre du PPF, combattant sur le Front de l'Est dans la division Charlemagne, qui, le 20 avril 1948,tombait sous les balles françaises au fort de Montrouge. Cousteau dit de lui dans Rivarol: « Tous ceux qui connaissent Bassompierre -j'avais cet honneur et j'ai eu le privilège de l'apercevoir, de lui parler une dernière fois au quartier de la mort de Fresnes- en conservent un souvenir ébloui. Il n'était pas de meilleur camarade, de garçon plus loyal, plus franc, plus gai. Il était le type même de ces Français qui manquent aujourd'hui si tragiquement à la France ».
Louis-Ferdinand Céline
Louis-Ferdinand Céline a droit, quant à lui, à un massacre en règle, toujours dans Rivarol. L'auteur de Bagatelles pour un massacre et de L'Ecole des cadavres avait été interviewé dans L'Express. Commentaire de PAC: « Moi tout bête, en voyant l'auteur de Bagatelles s'ébrouer chez Madame Giroud, j'avais trouvé ça laid. Et trouvé laid également qu'il proclamât: « Moi antisémite ? Jamais ! ». Et trouvé encore plus laid qu'il livrât à la risée des nouveaux messieurs les pauvres diables traqués de Siegmaringen ». Il poursuit: « Le Canard enchaîné démontrait que Robespierre n'avait jamais tué personne. Pourquoi dans ces conditions, Céline n'aurait-il jamais été un ami des juifs ? » PAC ironise: « Résistant, je l'ai toujours été et plus que quiconque. Dès l'âge de six ans - 28 ans avant le 18 juin ! - je possédais déjà une panoplie de cuirassiers qui démontre assez clairement le ferme propos que j'avais alors de reprendre l'Alsace et la Lorraine ». Il poursuit, se moquant de Céline: « Je souhaitais passionnément, on s'en doute, la victoire de De Gaulle et de Staline. Les textes signés de mon nom avaient l'air de dire le contraire. Mais l'air seulement. En réalité, je me contraignais, pour tromper l'ennemi, à tenir des propos tellement outranciers, tellement absurdes, tellement extravagants qu'aucun patriotes ne pouvait les prendre au sérieux, pas plus qu'il ne pouvait prendre au sérieux Bagatelles pour un massacre (...) Il va de soi que je n'ai jamais cru un seul mot de ce que j'ai signé pendant les années noires ».
De Gaulle
De Gaulle a évidemment aussi droit aux sarcasmes de PAC. Il venait de faire paraître ses Mémoires, « fignolées comme une auto-apologie » dont « le tirage demeure très inférieur à celui de Bonjour tristesse (de Françoise Sagan) ou de « Pas de ris de veau pour les otaries ». Le grand homme, dit PAC, mérite une récompense, à la hauteur de sa grandeur. Les palmes académiques ? « Un peu mince », dit-il. La médaille des douanes et la médaille des contributions indirectes ? Bof... La médaille des épidémies ? A la rigueur. La médaille des services de la voirie ? Voilà qui semble un peu plus adéquat. Et puis, PAC a une idée géniale. Après tout « De Gaulle a fait ce qu'aucun chef d'Etat français n'avait osé faire avant lui: laisser gentiment trucider 100 000 Français, embastillant arbitrairement près d'un million ». Grâce à De Gaulle, « l'industrie des prisons » connut une spectaculaire expansion, battant « tous les records nationaux et internationaux ». Conclusion de PAC (Rivarol, 22 novembre 1954): « L'équité commande de lui décerner sans tarder le seul ordre pour lequel ses états de service le qualifient sans discussion possible. Et même de l'en nommer Grand Chancelier. Il serait beau que De Gaulle n'ait à la boutonnière qu'une seule décoration: la médaille pénitentiaire »...
Adolf Hitler
Quant à Adolf Hitler, PAC ne lui pardonne décidément pas d'avoir perdu la guerre. Il écrit dans une lettre à sa femme, en mai 1947: « Ce n'est pas l'auteur de Mein Kampf qui a perdu la guerre. C'est l'homme qui avait oublié Mein Kampf. Oublié qu'il ne fallait pas attaquer l'Angleterre de front. Oublié que pour voir les mains libres à l'Est, la France devait être vraiment mise hors d'état de le gêner. Oublier qu'il ne fallait pas combattre sur deux fronts. Oublier qu'un accord même provisoire avec le bolchevisme est une malédiction ». Légèrement énervé par les insuffisances du Führer, PAC conclut la lettre par: « Je n'écrirai pas de Mein Kampf. D'abord parce que Mein Kampf est un livre ennuyeux aussi dépourvu d'humour et de clarté que les pastorales évangéliques de M. Claudel » (ce qui est vrai).
Pierre Laval
Pierre Laval, chef du gouvernement de Vichy, fusillé le 15 octobre 1945, fut l'objet d'une véritable haine de la part des collaborationnistes frénétiques tels Cousteau et Rebatet. PAC écrit ces mots d'une violence inouïe dans sa « Profession de foi » adressée le 16 janvier 1946 à son avocat: « Laval était le type même du politicien pour lequel les gens de Je suis partout ne pouvaient avoir que du mépris. Gangster de la politique, combinard, maquignon, acoquiné avec les personnages les plus tarés de l'ancien régime, instaurant à Vichy les méthodes les plus déshonorantes de l'affairisme politique, écartant du pouvoir systématiquement tous les hommes purs, honnêtes et droits, ne s'entourant que de louches fripouilles et d'imbéciles en profitant de sa situation pour s'enrichir formidablement, il nous inspirait une véritable horreur physique. Laval symbolisait tous les échecs de Vichy et la ruine de nos illusions ». A l'audience de son procès, le 20 novembre 1946, PAC dira de Laval: « Il me paraissait vraiment monstrueux », le traitant de « personnage abominablement taré ». Quelques années plus tard, en 1949, PAC changera de ton à l'égard de Pierre Laval. Il reconnaitra que « Pierre Laval fut d'assez loin le plus grand homme d'Etat de son temps ». Estimant cependant que « Laval avait tout raté, jusqu'à son suicide », il écrira: « (Laval) n'arrivait pas à concevoir que le monde était plongé dans une guerre de religions et que lorsqu'il y a guerre de religions, il faut être d'une religion ou disparaître. Son sens des réalités lui cachait cette réalité-là. Il en est mort ».
Charles Maurras
PAC se montre sans pitié avec Charles Maurras qui, à son procès, la vérité historique oblige de le dire, avait tenu des propos particulièrement indignes, « dénonçant aux voyous de la cour de justice de Lyon, les "traîtres" et les "vendus" de Je suis partout, alors que Robert Brasillach (fusillé le 6 février 1945) attendait, les chaînes aux pieds, qu'on statuât sur son sort ». Et PAC de poursuivre cruellement: « Maurras est donc bien un dénonciateur, un pourvoyeur de peloton d'exécution. Il s'est mis spontanément, sans aucune nécessité de défense personnelle, au service des tondeurs de femmes de la justice fifi » ( référence aux FFI, une des composantes de la Résistance connue pour ses exactions). Pour conclure, PAC ridiculise Maurras et son obsession anti-allemande, le traitant de « vieux singe prussophage ». Maurras écrit en effet dans L' Etang de Berre, livre que PAC a découvert à Claivaux où il était embastillé: « On commence à savoir ce que fut cette bonne Bastille, hôpital pour les demi-fous qui fut prise et détruite par une bande de malfaiteurs et d'étrangers la plupart allemands ». Allemands ? « Ah ces Boches ! Voilà bien de leurs coups », ironise PAC qui, furieux, écrit: « Il n'est pas douteux que Maurras et les gens de sa clique nous jugent avec beaucoup de sévérité que nos ennemis avérés qui, eux, savent bien que nous ne sommes pas des coupables, que nous sommes tout au plus des adversaires encombrants. Pour Maurras, nous, nous sommes vraiment des traîtres. Mais cela n'empêche pas ce tambourinaire pointilleux de rester en prison. Et s'il pouvait n'en sortir qu'après nous, ça serait encore plus drôle ». Sévère, mais juste ?
Jean-Paul Sartre
Le philosophe de l'existentialisme, Jean-Paul Sartre, celui qui expliquait dans ses « Réflexions sur la question juive » que « le juif n'existe pas car n'est juif que celui que les autres désignent comme tel », a droit, lui aussi, à un dézingage en règle. Chez lui, écrit PAC, « on se heurte à tant de malhonnêteté intellectuelle, à une malhonnêteté si proprement incroyable et dont il n'est guère d'exemples aussi grossiers dans l'histoire des fraudes de l'esprit. On ne discute pas avec un tricheur. On le gifle ». PAC poursuit: « L'homme est ignoble, aussi ignoble moralement qu'il l'est physiquement, sans honneur, sans courage et sans vergogne ». Et de rappeler l'Occupation. Où était Sartre ? Mais pardi, aux Deux Magots, fameux restaurant du Boulevard Saint-Germain, qu'il fréquentait assidûment, tandis que ses pièces de théâtre, Les Mouches et Huis clos étaient jouées devant des parterres d'officiers allemands. Cousteau rappelle que Sartre avait, durant l'Occupation, une entière liberté de vaquer à ses occupations, d'écrire et de publier. Sa conclusion: « Cet homme était totalement méprisable ».
Staline
Le livre reproduit un article passionnant de Pierre-Antoine Cousteau, paru le 11 mars 1938 dans Je suis partout, consacré aux procès de Moscou. PAC écrit: « Staline ne se contente pas de massacrer les compagnons de Lénine, il les fait parler. Rien ne manque aux "aveux spontanés". Tous les crimes imaginables sont soigneusement énumérés par les inculpés. Et aussi les plus inimaginables, comme par exemple celui qui aurait consisté à mettre des clous et du verre pilé dans le beurre destiné aux Moscovites. » Dans cet article, PAC rappelle ce que les inculpés ont dit devant le tribunal. Citons quelques exemples: Boukharine (président de la IIIème Internationale): « Depuis 1918, je travaille à la restauration du capitalisme. Je suis responsable de tous les crimes, même ceux que j'ignore »; Boulanov (chef de section de la Guépéou): « Iagoda m'a conseillé de faire prendre froid à Gorki »; Charangovitch (secrétaire du PC de Russie blanche): « Depuis 1921, je suis un espion polonais. J'ai inoculé des bacilles aux animaux et détruit le cheptel »; Grinko (ministre des finances): « Je suis un espion allemand et un espion polonais. J'ai dévalué le rouble pour ruiner la puissance financière de l'URSS »; Rakowsky (ambassadeur à Londres et à Paris: « Je suis un espion anglais depuis 1924 et un espion japonais depuis 1934. Je suis un traître à la patrie ». Evoquant « un ensemble tellement ahurissant, tellement plein de loufoquerie », PAC conclut cet article avec ces mots: « Il y a vingt ans que l'on tue en Russie. Il y a vingt ans que des fous sanguinaires poursuivent une expérience sauvage et accumulent les cadavres par millions », sans que ceux que PAC nomme « les crétins solennels de la démocratie » ne s' en indignent.
« Portraits et entrevues », de Pierre-Antoine Cousteau, 410 pages, 29 euros, éditions Via Romana, 29 rue de Versailles, 78150 Le Chesnay