Barzhaz Breizh, ou l’Histoire poétique de la Bretagne.

 

 

Théodore Hersart de la Villemarqué naquit en 1815 à  Quimperlé, et passa sa jeunesse au manoir familial du Plessis-Nizon, chez des parents bretonnants. Dès l’âge de 10 ans, il fut pensionnaire d’abord à St Anne d’Auray, puis à Guérande. Il passa le baccalauréat à Rennes, puis s’inscrivit à Paris à l’école des Chartes. Là, il rencontra les chantres du mouvement breton : Le Gonidec qui lui permet d’améliorer sa pratique du breton, et de l’écrire, Brizeux, Lezeleuc, E. Souvestre.

Or, cette période est particulièrement faste pour la redécouverte de l’identité européenne. C’est en effet au début du XIX° siècle que Schlegel et Bopp, après Sir Willam Jones établissent les rapports étroits qui relient le sanskrit aux autres langues de l’Inde et de l’Europe. La prétendue origine biblique des langues du monde, et partant, de l’Europe, perd ses derniers défenseurs : il est désormais établi que l’indo-européen est la langue mère des idiomes des habitants de notre continent.

Les mouvements national et romantique participent à la renaissance des langues minoritaires -et c’est déjà une œuvre visant à leur sauvegarde, car la Révolution industrielle et l’exode rural qu’elle provoque, constituent une menace pour la diversité culturelle.

Les frères Grimm publient les célèbres contes et légendes historiques, après avoir aidé Arnim et Brentano à collecter des chants populaires allemands. Le norvégien est sauvé par I. Isen et J.Moe, le Danois Gruntvig publie les Sagas scandinaves ; en Ecosse, W. Scott publie Ballads of the Scottish Border, Elias Lönnrot en Finlande le fameux Kalevala.

C’est dans cet effort de sauvegarde et de renaissance de la culture populaire qu’il faut situer l’œuvre de La Villemarqué.

Il est l’un des collecteurs des traditions orales et des poèmes chantés. Son action visait déjà à la renaissance de la tradition celtique, puisqu’il participa à la première rencontre breto-galloise, l’Eisteddfod d’Abergavenny. C’est au retour de ce voyage, en 1839, qu’il publia le Barzhaz Breizh. L’œuvre comprend 54 poèmes ; cependant, des éditions ultérieures augmentées parurent, comprenant musique et traduction française.

Per Denez, dans son introduction, fait justice des critiques infondées portées sur le sérieux de la collecte, ou sur les compétences linguistiques réelles de T. Hersart de la Villemarqué. Il concède juste que ce dernier « a bien sûr idéalisé les paysans bretons qu’il couvre de toutes les vertus », mais il ajoute aussitôt avec justesse « comme il nous les peint, je les préfère aux « animaux à face humaine » qu’y voyait Camille Desmoulins. » et de conclure : « La Villemarqué a rendu fierté et espoir à toute une génération. Il a inscrit à nouveau le nom de la Bretagne sur la carte de l’Europe ».

Le recueil s’ouvre sur le « dialogue pédagogique entre un Druide et un enfant. Il contient une sorte de récapitulation, en douze questions et douze réponses, des doctrines druidisiques sur le destin, la cosmogonie, la géographie, la chronologie, l’astronomie, la magie, la médecine, la métempsychose ». ( ...) « les mères, sans le comprendre, continuent d’enseigner à leurs enfants, qui ne l’entendant pas davantage, le chant mystérieux et sacré qu’enseignaient les druides à leurs ancêtres. »

En effet, le premier chant intitulé Le Druide et l’enfant nous plonge dans une nuit immémoriale, celle de l’Europe païenne. Jugez plutôt sur le contenu du début, - et encore le texte proposé ici est-il en français :

« Le druide : Tout beau, bel enfant du druide ; réponds-moi ; tout beau que veux-tu que je chante ?

L’enfant : Chante-moi la série du nombre un, jusqu’à ce que je l’apprenne aujourd’hui.

Le druide : pas de série pour le nombre un : la Nécessité unique, le Trépas, père de la douleur ; rien avant, rien de plus. Tout beau bel enfant du Druide ; réponds-moi ; que veux-tu que je te chante ?

L’enfant : Chante-moi la série du nombre deux, jusqu’à ce que je l’apprenne aujourd’hui. »

Et le chant se poursuit jusqu’au nombre douze, chaque réponse étant, pour le lecteur profane, plus déroutante que la précédente. Vous pourrez, amis lecteurs, l’apprendre en entier, tout  comme le disait la paysanne de Nizon auprès de la quelle la première collection fut effectuée par La Villemarqué, et qui le chantait à son fils « pour lui former la mémoire ».

Le chevalier Lez-Breiz, de son vrai nom Morvan, vicomte de Léon, fut, comme champion de la Bretagne indépendante,  l’adversaire du roi franc Louis le débonnaire, qui triompha finalement du héros breton.
A la manière de la chanson de Rolland, on chantait au XIX° siècle dans les campagnes bretonnes la Geste du vaillant Lez-Breiz.

L’un des chants du poème épique attire l’attention, celui consacré au « More du Roi ». Il semble que les rois francs aient eu des combattants mercenaires, de lointaine origine, que les Bretons ne prisaient guère : « Cher seigneur, vous ne savez donc pas ? C’est avec les charmes du démon qu’il combat. »

Peu impressionné par cette mise en garde, le champion breton affronte bientôt le mercenaire du Roi franc. « le Breton trouvant le joint, enfonça son épée dans le cœur du géant. Le More du roi tomba ; et sa tête rebondit sur le sol. Leiz-Breiz, voyant cela, lui mit le pied sur le ventre ; et en retirant son épée, il coupa la tête du géant More. Et quand il eut coupé la tête du More, il l’attacha au pommeau de sa selle. Il l’attacha au pommeau de sa selle par la barbe qui était toute grise et tressée. Mais voyant son épée ensanglantée, il la jeta bien loin de lui : - Moi porter une épée souillée dans le sang du More du roi ! - Puis il monta sur son cheval rapide, et il sortit, son jeune écuyer à sa suite ; Et quand il arriva chez lui, il détacha la tête du More ; et il l’attacha à sa porte, afin que les Bretons la vissent. Hideux spectacle ! Avec sa peau noire et ses dents blanches, elle effrayait ceux qui passaient ; Ceux qui passaient et qui regardaient sa bouche ouverte qui bâillait. Or, les guerriers disaient : - Le seigneur Lez-Breiz, voilà un homme !- ».

D’autres chants vantent les combats des Bretons indépendants, « Le Tribut de Noménoë », qui lutta contre les mêmes Francs au IX°siècle, « Alain le Renard » qui protégea la Bretagne des invasions normandes, la mort du jeune « Silvestik » qui participa à la conquête de l’Angleterre dans les troupes de Guillaume en 1066, la participation du seigneur de Goulenn à la croisade,  ce qui lui vaut l’infidélité de son épouse.

« Les trois Moines rouges » nous content l’histoire des Templiers à la fin du XIII° siècle.

La guerre de cent ans sert de cadre à « la bataille des Trente », ainsi qu’à « La filleule de Du Guesclin » et « au vassal de Du Guesclin ».

L’union de la Bretagne à la France provoque des insurrections. Ainsi, comme nous l’explique La Villemarqué, « la cause de l’insurrection fut la détermination prise par la noblesse française des ville de Cornouaille de substituer, à l’égard des colons de ses domaines, la loi féodale de France au régime véritablement libéral de la coutume du pays. » Dans « les jeunes hommes de Plouyé », on lit : « maudits soient, par-dessus tout, les nobles hommes des cités qui oppriment le laboureur ; Ces gentilshommes nouveaux, ces aventuriers français, nés au coin d’un chant de genêts ; Lequels ne sont pas plus Bretons que n’est colombe la vipère éclose au nid de la colombe. » …. De la légitimité, en quelque sorte, de voir un peuple revendiquer sa terre !

Hersart de la Villemarqué nous chante également les combats des Bretons contre la république naissante. Les Bretons, suivant les voies de l’honneur et de la fidélité, « voulurent défendre la royauté dans sa faiblesse, sans rien lui demander, sans rien recevoir d’elle. Leurs frères des montagnes du Pays de Galles et de l’Ecosse, eux aussi victimes d’une monarchie toute puissante qui s’incorpora les peuples libres de l’Angleterre, n’avaient pas servi autrement les Stuarts malheureux. » Hersart ajoute : « La tyrannie révolutionnaire ne les trouva pas plus disposés à courber la tête que ne les avaient trouvés la tyrannie des rois ». Le cinquante-troisième texte collecté intitulé « Les Bleus » compte les ravages opérés par la république terroriste : « Ils ont ravagé les belles vallées de la Basse-Bretagne, jadis si grasses et vertes ! Tellement qu’on n’y entend plus la voix ni de l’homme ni des troupeaux. » Et la suite du chant est une incitation à la résistance, qui sonne à nos oreilles comme considérablement actuelle : « - Ne pleurez pas, ma mère ; ne pleurez pas mon père : je ne vous quitterai pas ; je resterai pour vous défendre, pour défendre la Basse-Bretagne. Il est bien douloureux d’être opprimé, mais d’être opprimé n’est pas honteux ; il n’y a de honte qu’à se soumettre à des brigands comme des lâches et des coupables. S’il faut combattre, je combattrai ; je combattrai pour le pays, s’il faut mourir, je mourrai ; libre et joyeux à la fois, »

Tandis que les Bleus –ainsi nommait-on en Vendée et Bretagne les soldats de la république- occupent le pays après l’avoir en grande partie détruit, les derniers habitants se dressent à nouveau contre l’envahisseur. Dans le chant cinquante-quatre intitulé « Les Chouans », c’est tout un peuple qui lutte pour l’honneur et la fidélité : « Julien aux cheveux roux disait à sa vieille mère, un matin : - Je m’en vais, moi, rejoindre Tinténiac [général des Chouans], car il me plaît d’aller. – Tes deux frères m’ont abandonnée, et toi tu m’abandonnes aussi ! Mais, s’il te plaît d’aller, va t’en à la garde de Dieu ! »

Le Barzhaz Breizh, c’est aussi des chants de fêtes et d’amour, des légendes populaires et des chants religieux. Nous terminerons notre court aperçu par un chant émouvant qui compte la mort des jeunes filles au printemps : « Les fleurs de mai ». C’est le rossignol qui chante : « heureuses les jeunes personnes qui meurent au printemps ! Heureuses les jeunes personnes que l’on couvre de fleurs. » Hersart précise en note que « les Bretons Gallois du midi ont conservé, comme ceux de quelques cantons de la Basse-Bretagne, l’usage de semer de fleurs le lit des jeunes filles qui meurent dans le mois de mai ; cet usage doit donc remonter au cercueil des vierges celtiques ». Nous préférons y voir quant à nous une coutume éminemment païenne, liée à la renaissance des saisons et au cycle de la vie [cf. Fêtes païennes des quatre saisons].

On l’aura compris, tout honnête homme, tout Européen de bon sang doit posséder dans sa bibliothèque le Barzhaz Breizh, et en lire de longs passages à ses enfants, en français, si ce n’est en breton, le mieux étant encore de les chanter pour en rendre « l’infinie délicatesse, caractère même de la race ». Vous aurez là un contrepoison à la laideur du temps, une ouverture sur le rêve, et un miroir de l’Europe des peuples. Délivré des sortilèges de la modernité, vous vous muerez en passeur de tradition, en régénérateur du cycle infini de la vie. Hersart de la Villemarqué dit sa confiance et son message est pour nous comme un encouragement à ne pas abandonner : « Aujourd’hui, quand je détourne mes regards vers cette poétique terre de Bretagne qui reste la même alors que tout change autour d’elle, ne puis-je répéter avec les Bretons d’autrefois : Non ! le roi Arthur n’est pas mort ! ».

Celtes, Latins ou Grecs, Germains ou Slaves, Basques et Finnois, vous trouverez là le repos du cœur. Ecoutez ! Hersart nous l’enseigne dans sa préface : « On sent battre là le cœur d’une noble race ».

Robert DRAGAN.

 

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