© Mohammed Zaanoun / Activestills
Octobre 2023 - Les destructions dans la bande de Gaza défient l'imagination. Assuré d'une impunité totale grâce au soutien des gouvernements occidentaux, l'état sioniste, terroriste, raciste et colonialiste, mène une campagne de bombardements dévastatrice sur une population désarmée, dans le but évident de provoquer une nouvelle Nakba
Tout indique qu'Israël envisage à nouveau très sérieusement une opération massive de nettoyage ethnique, menée à la vitesse de l'éclair et avec l'aide des États-Unis.
Alors que les forces israéliennes commençaient à effectuer des incursions terrestres limitées dans le nord de la bande de Gaza au cours du week-end, des informations ont abondé selon lesquelles Israël préparait des plans visant à expulser une grande partie ou la totalité de la population de l'enclave assiégée vers le territoire égyptien voisin du Sinaï.
Ces craintes ont été en partie alimentées par un rapport publié la semaine dernière par le média israélien Calcalist, faisant état d'une fuite d'un projet de politique du ministère du renseignement décrivant précisément un tel plan de nettoyage ethnique pour Gaza.
D'autres inquiétudes ont été soulevées par un rapport du Financial Times de lundi, selon lequel le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, aurait fait pression sur l'Union européenne pour qu'elle accepte l'idée d'expulser les Palestiniens de la bande de Gaza vers le Sinaï sous couvert de la guerre.
Certains membres de l'UE, dont la République tchèque et l'Autriche, se seraient montrés réceptifs et auraient lancé l'idée lors d'une réunion des États membres la semaine dernière. Un diplomate européen anonyme a déclaré au FT : « Le moment est venu d'accroître la pression sur les Égyptiens pour qu'ils acceptent. »
Selon le document du ministère israélien du renseignement qui a fait l'objet d'une fuite, après leur expulsion, les 2,3 millions de Palestiniens de Gaza seraient d'abord logés dans des cités de tentes, avant que des communautés permanentes puissent être construites dans le nord de la péninsule.
Une « zone stérile » militaire, large de plusieurs kilomètres, empêcherait tout retour à Gaza. À plus long terme, Israël encouragerait d'autres États - en particulier le Canada, des pays européens comme la Grèce et l'Espagne, et des pays d'Afrique du Nord - à absorber la population palestinienne du Sinaï.
Selon le ministère, l'expulsion des Palestiniens de Gaza vers le Sinaï serait « susceptible de produire des résultats stratégiques positifs et durables ».
Pour les Palestiniens, en revanche, il s'agit d'un écho traumatisant de l'expulsion massive par Israël des Palestiniens de leur patrie lors de la création d'Israël en 1948 - ce que les Palestiniens appellent leur Nakba, ou Catastrophe.
Un plan de nettoyage ethnique
Le document qui a fait l'objet d'une fuite a rapidement été considéré comme spéculatif. Mais, en fait, Israël a un tel plan de nettoyage ethnique pour Gaza sérieusement à l'étude, approuvé par les États-Unis, depuis au moins 2007. C'était peu après la victoire du Hamas aux élections palestiniennes et sa prise de contrôle du territoire.
Après une série d'efforts diplomatiques secrets et infructueux au cours des 16 dernières années pour amener l'Égypte à accepter ce soi-disant « plan de paix » - connu officiellement sous le nom de « plan pour la Grande bande de Gaza » - Israël pourrait être tenté d'exploiter le moment présent pour mettre en œuvre par la force une version encore beaucoup plus cruelle de ce plan.
Cela expliquerait certainement l'actuelle campagne de bombardements d'Israël à Gaza - que les responsables comparent positivement à l'horrible bombardement de civils dans la ville allemande de Dresde pendant la Seconde Guerre mondiale - ainsi que l'ordre donné par Israël à un million de Palestiniens d'obéïr à une opération de nettoyage ethnique, du nord vers le sud de Gaza.
Dimanche, Israël a bombardé des bâtiments tout autour de l'hôpital al-Quds, dans le nord de la bande de Gaza, remplissant les salles de nuages de poussière toxique.
Les administrateurs ont été avertis à plusieurs reprises que l'hôpital devait être évacué immédiatement. Le personnel a déclaré que c'était impossible parce que trop de patients étaient trop malades pour être déplacés.
La concentration des Palestiniens dans le sud de Gaza - où ils sont également bombardés et privés d'électricité, de nourriture, d'eau et de moyens de communication, les hôpitaux et les centres d'aide étant incapables de fonctionner - a créé une catastrophe humanitaire sans précédent.
La pression monte de jour en jour sur le dictateur égyptien Abdel Fattah el-Sisi, pour qu'il ouvre le point de passage de Rafah pour des raisons humanitaires et laisse les Palestiniens affluer dans le Sinaï.
L'attaque du Hamas contre les communautés israéliennes voisines de Gaza, le 7 octobre, pourrait avoir fourni précisément le prétexte dont Israël avait besoin pour relancer son plan de nettoyage ethnique.
Avec Washington et l'Europe à bord, et les médias occidentaux toujours focalisés sur le traumatisme d'Israël plutôt que sur celui de Gaza, Netanyahu ne peut pas attendre trop longtemps avant que sa fenêtre d'action ne se referme.
Pression sur l'Égypte
Le plan pour le Grand Gaza a été révélé pour la première fois en 2014, à la suite de fuites dans les médias israéliens et égyptiens - apparemment dans le cadre d'une campagne de pression sur al-Sisi, qui venait alors d'être installé avec le soutien des États-Unis.
L'armée égyptienne avait renversé le gouvernement élu des Frères musulmans l'année précédente.
Le président palestinien Mahmoud Abbas a confirmé l'existence du plan à l'époque en insistant sur le fait qu'il l'avait annulé. Il a déclaré à un intervieweur qu'il avait été « malheureusement accepté par certains ici [en Égypte]. Ne m'en demandez pas plus à ce sujet. Nous l'avons aboli, parce que ce n'est pas possible ».
Middle East Eye a été l'un des rares médias occidentaux à rendre compte de cette évolution à l'époque.
Alors que l'inquiétude grandissait parmi les Égyptiens et les Palestiniens, un ancien collaborateur d'Hosni Moubarak, qui a gouverné l'Égypte jusqu'en 2011, a déclaré que l'administration de George W. Bush avait fait pression sur Moubarak pour qu'il accepte le plan dès 2007.
Le président suivant, Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, aurait également fait l'objet de pressions similaires en 2012.
La source cite Moubarak qui aurait déclaré en réponse au plan :
« Nous luttons à la fois contre les États-Unis et Israël. Des pressions sont exercées sur nous pour que nous ouvrions le point de passage de Rafah aux Palestiniens et que nous leur accordions la liberté de résidence, en particulier dans le Sinaï. Dans un an ou deux, la question des camps de réfugiés palestiniens dans le Sinaï sera internationalisée ».
À l'époque, pousser les Palestiniens dans le Sinaï était présenté comme un « plan de paix ». Aujourd'hui, si Israël réussit, ce sera la fconclusion d'une violente opération de nettoyage ethnique.
Comme MEE l'a noté en 2014, le plan du Grand Gaza prévoyait de transférer 1600 km² du Sinaï - cinq fois la taille de Gaza - aux dirigeants palestiniens de Cisjordanie, dirigés par Abbas.
« Le territoire du Sinaï deviendrait un État palestinien démilitarisé - surnommé 'Grand Gaza' - auquel les réfugiés palestiniens de retour seraient affectés... En contrepartie, Abbas devrait renoncer au droit à un État en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. »
L'espoir était qu'Abbas accepte de diriger un mini-État palestinien dans le Sinaï, où la plupart des réfugiés palestiniens de la région pourraient s'installer, les privant ainsi de leur droit au retour en vertu du droit international.
La plupart des Palestiniens de Gaza sont des réfugiés, ou des descendants de réfugiés, des opérations de nettoyage ethnique menées par Israël en 1948.
Le rêve du pouvoir colonial israélien
L'idée de créer un État palestinien en dehors de la Palestine historique - en Jordanie ou dans le Sinaï - a une longue histoire dans la pensée sioniste. « La Jordanie est la Palestine » est un cri de ralliement de la droite israélienne depuis des décennies. Des propositions parallèles ont été faites pour le Sinaï.
Le projet est devenu la pièce maîtresse de la conférence d'Herzliya de 2004, une réunion annuelle des élites politiques, universitaires et sécuritaires d'Israël pour échanger et développer des idées politiques.
Il a été adopté avec enthousiasme par Uzi Arad, fondateur de la conférence et conseiller de longue date de Netanyahu.
Une variante de l'option « Le Sinaï est la Palestine » a été relancée par la droite lors de l'opération « Bordure protectrice », l'attaque israélienne de 50 jours contre Gaza à l'été 2014.
Moshe Feiglin, président de la Knesset israélienne et membre du Likoud de Netanyahu, a demandé que les habitants de Gaza soient expulsés de leurs maisons sous le couvert de l'opération et déplacés dans le Sinaï, dans le cadre de ce qu'il a appelé une « solution pour Gaza ».
En 2018, l'administration Trump a donné un nouveau coup de fouet au plan pour le Grand Gaza, lorsque des rapports ont suggéré qu'il était envisagé de l'inclure dans le plan de « l'accord du siècle » du président américain visant à normaliser les relations entre Israël et le monde arabe.
Entre 2007 et 2018, Israël a justifié l'option du Sinaï par le fait qu'elle compromettait la campagne menée par Abbas aux Nations unies pour obtenir la reconnaissance du statut d'État palestinien.
Notamment, les attaques militaires à grande échelle d'Israël contre Gaza - au cours des hivers 2008, 2012 et 2014 - ont coïncidé avec les efforts déployés par Israël et les États-Unis pour faire pression sur les dirigeants égyptiens successifs, afin qu'ils concèdent des parties du Sinaï.
La destruction de Gaza, qui a intensifié la catastrophe humanitaire dans cette région, semble faire partie de cette campagne de pression.
« Aucun être humain ne peut survivre »
C'est dans ce contexte qu'il convient d'interpréter le déchaînement actuel sans précédent d'Israël dans la bande de Gaza, ainsi que les retombées tout aussi inédites des crises politiques et militaires en Israël provoquées par l'offensive du 7 octobre du mouvement Hamas.
À l'origine, le plan pour la « Grande bande de Gaza » avait pour but d'amadouer les dirigeants palestiniens en leur offrant une sorte d'État, mais pas dans la Palestine historique. Le Sinaï accueillerait de nouvelles villes palestiniennes, une zone de libre-échange, une centrale électrique, un port maritime et un aéroport.
Le principal point d'achoppement pour l'Égypte - outre le fait d'être perçue comme étant en totale complicité avec Israël pour effacer la cause nationale palestinienne - était la crainte que le Hamas ne gagne une base à l'intérieur de l'Égypte et ne renforce les mouvements islamistes locaux.
De nombreux éléments indiquent que la détermination d'Israël à pousser les Palestiniens en Égypte s'est intensifiée depuis l'attaque du 7 octobre et que la percée du Hamas a été l'occasion d'obtenir par la force ce qui n'a pu être obtenu par la diplomatie.
Les dirigeants israéliens ne semblent pas disposés à tenir compte des préoccupations égyptiennes.
Une semaine après le début des opérations militaires, le porte-parole de l'armée israélienne, Amir Avivi, a déclaré à la BBC qu'Israël ne pouvait pas garantir la sécurité des civils à Gaza. Il a ajouté : « Ils doivent se déplacer vers le sud, vers la péninsule du Sinaï ».
Le lendemain, l'ancien ambassadeur d'Israël aux États-Unis, Danny Ayalon, un confident de Netanyahu, en a rajouté une couche : « Il y a un espace presque infini dans le désert du Sinaï... Ce n'est pas la première fois que cela se fait... La communauté internationale et nous-mêmes préparerons l'infrastructure pour les villes de tentes ».
Et de conclure : « L'Égypte devra jouer le jeu ».
Ces responsables ont présenté cette initiative comme une mesure temporaire pendant la campagne de bombardement et l'invasion terrestre d'Israël. Mais tout porte à croire qu'Israël a des ambitions bien plus grandes.
Benny Gantz, un ancien général qui siège aujourd'hui dans un gouvernement d'union avec Netanyahou, a déclaré qu'Israël avait un plan pour « changer la sécurité et la réalité stratégique dans la région ».
Giora Eiland, ancien conseiller à la sécurité nationale, a déclaré que l'objectif était de « créer des conditions dans lesquelles la vie à Gaza deviendrait insoutenable ». En conséquence, « Gaza deviendra un endroit où aucun être humain ne peut survivre ».
Une spirale hors de contrôle
M. Sisi est tout à fait conscient de la pression exercée par Israël sur l'Égypte. Lors d'une conférence de presse tenue le 18 octobre, il a averti que les bombardements israéliens sur Gaza créaient une crise humanitaire qui « pourrait devenir incontrôlable ».
Il a ajouté :
« Ce qui se passe actuellement à Gaza est une tentative de forcer les habitants civils à se réfugier et à migrer vers l'Égypte, ce qui ne devrait pas être accepté ».
Le scénario que craint M. Sisi est une répétition des événements de 2008, lorsque des milliers de Palestiniens ont franchi la barrière entre Gaza et le Sinaï pour se procurer de la nourriture et du carburant en raison du siège de l'enclave par Israël.
Pour éviter que cela ne se reproduise, l'Égypte a renforcé à plusieurs reprises les mesures de sécurité le long de sa courte frontière avec Gaza.
Le Caire aurait néanmoins entrepris des préparatifs en vue d'une telle éventualité. Il prévoit notamment l'installation rapide de villes de tentes à proximité des villes de Sheikh Zuwayed et de Rafah, dans le Sinaï.
Al-Sisi a déclaré que si les Palestiniens étaient poussés dans le Sinaï, les Égyptiens « sortiraient dans les rues et protesteraient par millions».
Les inquiétudes du Caire concernant les intentions israéliennes sont partagées par Francesca Albanese, fonctionnaire des Nations unies et rapporteur spécial sur les territoires occupés.
Se référant aux deux principales opérations historiques de nettoyage ethnique menées par Israël, elle a observé : « Il existe un grave danger que ce à quoi nous assistons soit une répétition de la Nakba de 1948 et de la Naksa de 1967, mais à plus grande échelle. La communauté internationale doit tout faire pour empêcher que cela ne se reproduise ».
Les États-Unis, qui soutiennent depuis longtemps le plan « Grand Gaza », disposent de leurs propres moyens de pression, notamment financiers, pour inciter al-Sisi à s'y conformer.
L'Égypte est embourbée dans une crise de la dette sans précédent de plus de 160 milliards de dollars, à laquelle s'ajoute une inflation galopante, alors que al-Sisi se dirige vers une élection présidentielle.
Les responsables égyptiens pensent que Washington tentera d'utiliser l'annulation de la dette pour forcer l'Égypte à accueillir les réfugiés d'une nouvelle opération israélienne de nettoyage ethnique.
Trois jours seulement après l'offensive du mouvement Hamas, des responsables de l'administration Biden ont déclaré publiquement qu'ils avaient conclu des accords avec des pays tiers pour donner aux civils palestiniens un passage sûr hors de Gaza.
Tout porte à croire qu'Israël envisage à nouveau sérieusement une opération massive de nettoyage ethnique, menée à la vitesse de l'éclair et avec l'aide des États-Unis, afin de passer outre aux objections internationales.
La question est de savoir si quelqu'un est prêt ou capable de l'arrêter.
Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel ad the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel's Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.
Source : Jonathan-Cook.net - 1er novembre 2023
Traduction : Chronique de Palestine