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Le 6 février 2024, Tucker Carlson, ancien animateur star de Fox News, interviewait Vladimir Poutine au Kremlin. L’occasion de revenir longuement sur l’histoire de l’Ukraine, indissociable de celle de la Russie, ainsi que sur les influences occidentales qui sous-tendent la guerre. Pour ceux qui n’ont pas le temps d’écouter ce long entretien de deux heures, nous en publions un résumé en français.

La Russie et l’Ukraine, une histoire pluri-centenaire

« La Russie commence à se développer avec Kiev et Novgorod »

Contrairement à ce que l’on pourrait instinctivement penser, la Russie ne naît pas à Moscou, mais à Novgorod, puis… à Kiev. La Russie devient un Etat centralisé et unifié, puis, au fil des souverains, un Etat fragmenté, proie facile pour Gengis Khan. « La partie méridionale, dont Kiev et d’autres villes, a tout simplement perdu son indépendance. Les villes du nord, quant à elles, conservèrent une partie de leur souveraineté. C’est alors qu’un État russe unifié a commencé à prendre forme, avec son centre à Moscou », détaille Vladimir Poutine, qui se fait professeur d’histoire au début de son interview. Quant à la partie autour de Kiev, elle « a commencé à graviter progressivement vers un autre aimant, le centre qui émergeait en Europe. Il s’agit du Grand-Duché de Lituanie. » Ce duché, où l’on parlait russe et pratiquait l’orthodoxie, s’unit au Royaume de Pologne.

« Pendant des décennies, les Polonais se sont engagés dans la colonisation de cette partie de la population. Ils y ont introduit une langue et ont tenté d’ancrer l’idée que cette population n’était pas exactement russe, que parce qu’elle vivait en marge, elle était ukrainienne. À l’origine, le mot “Ukrainien” signifiait que la personne vivait à la périphérie de l’État. » Jusqu’au XVIIe siècle, les Polonais traitent cette partie du monde « plutôt durement », si bien que les gouvernants de ce qui n’est pas encore l’Ukraine demandent leur rattachement à Moscou. Une demande qui est d’abord refusée, car l’Etat russe craint une guerre avec le Royaume de Pologne. « Néanmoins, l’assemblée russe a décidé d’inclure une partie des anciennes terres russes dans le Royaume de Moscou. Comme prévu, la guerre avec la Pologne commence. Elle a duré 13 ans, puis une trêve a été conclue. Et 32 ans plus tard, un traité de paix avec la Pologne, qu’ils appelaient la paix éternelle, a été signé. Toute la rive gauche du Dniepr, y compris Kiev, est passée à la Russie. »

« L’Ukraine est un État artificiel qui a été façonné par la volonté de Staline »

Peu avant la Première guerre mondiale, les sentiments nationaux émergent partout en Europe centrale, notamment dans l’empire de Prusse qui deviendra l’Allemagne et dans les Etats italiens. L’Empire austro-hongrois, lui, tente de faire émerger un sentiment national ukrainien pour affaiblir l’empire russe. Après la Seconde guerre mondiale, l’Ukraine occidentale se trouve dans ce qui est alors l’URSS. Cependant, à la demande de Staline, c’est sous la forme d’une entité autonome. « Pour des raisons inconnues, il a transféré à la nouvelle République soviétique d’Ukraine certaines des terres, ainsi que les personnes qui y vivaient, bien que ces terres n’aient jamais été appelées Ukraine », ajoute Vladimir Poutine.

L’Ukraine serait donc d’abord le fruit de l’idéologie soviétique. « En 1922, lors de la création de l’URSS, les bolcheviks ont commencé à construire l’URSS et ont créé l’Ukraine soviétique, qui n’avait jamais existé auparavant. Pour des raisons inconnues, les bolcheviks se sont à nouveau engagés dans l’ukrainisation. » « Nous avons toutes les raisons d’affirmer que l’Ukraine est un État artificiel qui a été façonné par la volonté de Staline », affirme même Vladimir Poutine, qui signale notamment qu’après la Seconde guerre mondiale, certaines anciennes terres russes, hongroises, mais aussi roumaines, ont été intégrées à l’Ukraine.

L’identité nationale ukrainienne serait donc loin d’être une évidence. Vladimir Poutine explique notamment que dans l’ouest de l’Ukraine, à la fin des années 80, « tous les noms de villes et de villages étaient en russe et dans une langue que je ne comprenais pas, en hongrois. Pas en ukrainien, mais en russe et en hongrois. » « Ils ont conservé la langue hongroise, les noms hongrois et tous leurs costumes nationaux. Ils sont Hongrois et se sentent Hongrois. »

L’Ukraine et la Russie, « la coexistence d’un seul État pendant des siècles »

L’Ukraine telle qu’on l’entend aujourd’hui est donc un territoire récent, ce qui peut expliquer la prégnance de la culture russe. « Plus de 90 % de la population parlait russe, une personne sur trois avait des liens familiaux ou amicaux. Une culture commune. Une histoire commune, enfin, une foi commune, la coexistence d’un seul État pendant des siècles et des économies profondément interconnectées. Tous ces éléments étaient fondamentaux. Tous ces éléments réunis rendent nos bonnes relations inévitables. » Vladimir Poutine ajoute que « tous les présidents qui sont arrivés au pouvoir en Ukraine se sont appuyés sur l’électorat qui, d’une manière ou d’une autre, avait une bonne attitude vis-à-vis de la Russie. »

Fort de cette relation, Vladimir Poutine affirme que « nous ne pouvions pas abandonner nos frères dans la foi. » Ainsi explique-t-il l’intervention russe dans des zones considérées comme menacées par l’Occident, notamment le Donbass. « Nous n’aurions jamais envisagé de lever le petit doigt s’il n’y avait pas eu les événements sanglants de Maïdan », explique-t-il également, faisant référence à la révolte de 2014. « Je pense sincèrement que si nous parvenons à convaincre les habitants du Donbass de revenir à l’État ukrainien, les blessures commenceront à se cicatriser peu à peu. »

 

Guerre entre l’Ukraine et la Russie : un début sujet à débats

« La Russie s’attendait à être accueillie dans la famille fraternelle des nations civilisées, rien de tel ne s’est produit »

Au XXIe siècle, les relations entre l’Ukraine et la Russie ne peuvent se penser sans un troisième acteur : l’Occident, et notamment l’OTAN. Une entité qui cristallise la déception ou la rancœur de Vladimir Poutine. Il martèle, comme il l’a fait à plusieurs reprises, que « la Russie a accepté volontairement et de manière proactive l’effondrement de l’Union soviétique et pensait que cela serait compris par l’Occident dit civilisé comme une invitation à la coopération et à l’association. » Pour la Russie, l’une des conditions de cette association était la non-extension de l’OTAN. « Nous n’avons jamais accepté que l’Ukraine fasse partie de l’OTAN. Nous n’avons pas accepté que l’OTAN y installe des bases sans en discuter avec nous. » Cette extension est d’autant plus insupportable que la Russie a tenté d’entrer dans l’OTAN. « Lors d’une réunion ici au Kremlin avec le président sortant Bill Clinton, ici même dans la pièce voisine, je lui ai dit, je lui ai demandé : “Bill, pensez-vous que si la Russie demandait à rejoindre l’OTAN, cela se ferait ?” Il a répondu : “Je pense que oui.” » Une porte vite refermée. Pour Vladimir Poutine, c’est avant tout parce que la Russie est « un pays trop grand, avec ses propres opinions. »

Au-delà de la non-adhésion à l’OTAN, cette désillusion fait partie d’une série de déclarations faites, puis retirées. L’ouverture de l’adhésion à l’OTAN pour l’Ukraine en est un exemple. « Ils ont déclaré que les portes de l’Ukraine et de la Géorgie étaient ouvertes à l’adhésion à l’OTAN. L’Allemagne et la France semblaient s’y opposer, ainsi que d’autres pays européens. » Des oppositions tombées à cause de pressions des Etats-Unis. « On se croirait au jardin d’enfants. C’est absurde. Nous sommes prêts à discuter. Mais avec qui ? Où sont les garanties ? Aucune. »

 « Nous n’avons pas commencé cette guerre en 2022.»

Si Vladimir Poutine refuse avec une telle vigueur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, c’est aussi parce qu’il estime que ce pays est déjà sous ingérence américaine. Il cite ainsi l’élection présidentielle de Viktor Ianoukovitch en 2010. « Ses opposants n’ont pas reconnu cette victoire. Les États-Unis ont soutenu l’opposition et le troisième tour a été programmé. Mais qu’est-ce que c’est ? Il s’agit d’un coup d’État. » En 2014, les événements de Maïdan trouvent leur source dans le refus de l’Ukraine de signer le traité d’association avec l’Union européenne. A cette époque, les frontières douanières russes avec l’Ukraine étaient ouvertes, dans une logique de libre-échange. Selon Vladimir Poutine, ce traité d’association « aurait conduit à l’inondation de notre marché. » La Russie prévient donc que s’il est signé, les frontières russes avec l’Ukraine seront fermées, et Ianoukovitch demande à l’Union européenne un délai de réflexion supplémentaire. « Dès qu’il a dit cela, l’opposition a commencé à prendre des mesures destructrices soutenues par l’Occident. Tout cela a abouti à Maïdan et à un coup d’État en Ukraine. »

« Ils ont commencé à persécuter ceux qui n’acceptaient pas le coup d’État. Ils ont créé la menace de la Crimée, que nous avons dû prendre sous notre protection. Ils ont lancé la guerre dans le Donbass en 2014 en utilisant des avions et des pièces d’artillerie contre des civils. » Vladimir Poutine relie ainsi les événements de 2014 à 2022, réaffirmant que la Russie n’a pas commencé la guerre. « Ce sont eux qui ont commencé la guerre en 2014. Notre objectif est d’arrêter cette guerre. Nous n’avons pas commencé cette guerre en 2022. »

« Nous n’avons jamais refusé de négocier »

Aujourd’hui, la guerre semble s’éterniser. Pourtant, Vladimir Poutine affirme être ouvert à la négociation, et même être le seul à l’être. « Le président ukrainien a légiféré pour interdire toute négociation avec la Russie. Il a signé un décret interdisant à quiconque de négocier avec la Russie. Mais comment allons-nous négocier s’il s’est interdit à lui-même et à tout le monde de le faire ? » « Nous n’avons jamais refusé de négocier. C’est eux qui ont refusé publiquement. Qu’il annule son décret et qu’il entame des négociations. C’est malheureux car nous aurions pu mettre fin à ces hostilités par la guerre il y a un an et demi déjà. » Quant à une possible extension du conflit, Vladimir Poutine balaie cette possibilité. « Ils essaient d’alimenter la menace russe. nous n’avons aucun intérêt en Pologne, en Lettonie ou ailleurs. » « Dans la guerre de propagande, signale-t-il, il est très difficile de vaincre les États-Unis, car ils contrôlent tous les médias du monde et de nombreux médias européens. »

17 février 2024 - Observatoire du journalisme (Ojim)

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