© Académie bulgare des sciences
Une sépulture thrace récemment exhumée en Bulgarie révèle un rituel funéraire complexe, associant ornement royal, cheval sacrifié et symboles héroïques. Ce tombeau, richement équipé, témoigne d’une élite guerrière ancrée dans des pratiques hybrides, entre traditions locales et influences gréco-romaines, à un moment clé des recompositions politiques balkaniques.
Au sud de la Bulgarie, près de Topolovgrad, une équipe de l’Académie bulgare des sciences et de l’Université de Sofia « St. Kliment Ohridski » a mis au jour la tombe intacte d’un guerrier thrace du IIe siècle avant notre ère. Cette découverte, faite lors de fouilles de sauvetage, s’inscrit dans une série de recherches récentes qui éclairent les pratiques funéraires et le statut social des élites thraces à l’époque hellénistique, dans un contexte de transition vers l’influence romaine.
Le défunt, inhumé avec son cheval, des armes, et une parure cérémonielle, révèle des éléments tangibles d’une culture guerrière et aristocratique. En croisant les objets retrouvés, leur symbolique et la configuration des lieux, les archéologues reconstruisent un paysage social marqué par des rituels élaborés et des échanges culturels. Cette tombe, fouillée en 2025, apporte des données rares sur l’organisation hiérarchique thrace à cette période.
Une tombe inviolée, une découverte précieuse
Enfouie à faible profondeur dans la terre meuble du sud de la Bulgarie, sans signalisation visible ni tumulus, la tombe du guerrier thrace est demeurée dissimulée pendant plus de deux millénaires. C’est dans le cadre de fouilles de sauvetage menées à proximité du village de Kapitan Petko Voïvoda, dans la région de Topolovgrad, que les archéologues de l’Académie bulgare des sciences ont mis au jour cette sépulture exceptionnelle. La mission était dirigée par Vladimir Staykov et Deyan Dichev, avec l’appui scientifique de la docteure Daniela Agre, figure majeure de l’archéologie thrace. La fosse, parfaitement rectangulaire, mesurait trois mètres de côté pour un mètre de profondeur, selon le communiqué de l’Académie.
La structure même de la tombe témoigne d’une organisation rigoureuse et d’une intention manifeste de préserver l’intégrité du défunt et de ses biens. L’absence de toute perturbation postérieure à l’ensevelissement a permis une documentation précise des objets déposés autour du corps. En effet, les archéologues n’ont relevé aucune trace de pillage ni d’effondrement. Parmi les éléments, ils ont observé un casque militaire, des fragments d’armement, probablement symboliques, ainsi que des offrandes rituelles. L’objet le plus remarquable reste toutefois le diadème placé sur le crâne du défunt. Réalisé dans un matériau encore à analyser, il évoque clairement une fonction honorifique, réservée à une caste guerrière privilégiée.
Ce type de parure est rare dans la documentation thrace, et son intégration dans un contexte funéraire renforce l’hypothèse d’un rituel réservé à une élite. Il constitue donc également un indicateur précieux de l’identité sociale du défunt.
Le cheval, fidèle compagnon jusque dans la mort
La présence du cheval à l’intérieur même de la sépulture, directement à gauche du défunt, confère à cette tombe un caractère rituel fort. Dans la culture thrace, ce type d’inhumation reflète un lien symbolique entre l’homme et l’animal, dépassant le simple utilitaire. Le cheval n'était pas uniquement un moyen de transport ou un outil militaire. Il incarnait une extension du statut, de l’honneur et du rôle social de son propriétaire. Son sacrifice et son enterrement conjoint avec le guerrier traduisent une continuité du rang du défunt jusque dans l’au-delà.
Ce geste funéraire implique également une logistique lourde, réservée à une classe sociale qui disposait de ressources et de pouvoir. Enterrer un cheval, animal de grande valeur dans l’Antiquité, n’était pas un acte anodin. Il supposait la volonté manifeste de marquer la tombe d’un individu d’élite. Le positionnement précis de l’animal, couché près du maître, indique une mise en scène soigneusement orchestrée.
© Община Тополовград – Municipalité de Topolovgrad
Au-dessus de la tête du cheval, ornements de harnais en bronze et en or.
Les archéologues ont découvert, au niveau de la tête de l’animal, des pièces de harnachement richement décorées, en bronze doré. L’une d’entre elles présente une scène en relief représentant un épisode mythologique d’Héraclès. Cette iconographie, issue du répertoire grec classique, montre la capacité des artisans locaux à assimiler des influences extérieures tout en les intégrant dans un contexte funéraire local.
Pour Daniela Agre, cité par Arkeonews, cette fusion d’éléments stylistiques démontre « un savoir-faire d’élite ». Elle met en lumière la circulation de modèles culturels dans les Balkans du IIe siècle av. J.-C. Le cheval devient ainsi un vecteur à la fois rituel, symbolique et esthétique dans l’affirmation du statut du défunt.
Une découverte qui s’inscrit dans une séquence archéologique
À quelques dizaines de mètres de cette tombe, une autre sépulture avait été exhumée en 2024. Elle abritait les restes d’un aristocrate thrace, probablement engagé dans les rangs de l’armée romaine. Ce tombeau, daté du début du Ier siècle de notre ère, a livré une série d’objets d’une richesse remarquable : collier, diadème, bague et un couteau de chasse orné de pierres semi-précieuses. La poignée du couteau, finement décorée de chiens de chasse en relief, constitue une pièce unique dans le contexte thrace, selon l’archéologue Daniela Agre, responsable des deux fouilles. À proximité, les ossements d’un cheval renforcent encore l’hypothèse d’un rituel réservé à une élite militaire équestre.
Ces deux découvertes, espacées de quelques mètres et datées à quelques décennies d’écart, permettent de mieux cerner l’évolution des élites thraces dans un contexte de transition. Entre la fin du IIe siècle avant notre ère et le Ier siècle de notre ère, les pratiques funéraires évoluent. Le guerrier de 2025 est enterré avec un diadème symbolique, tandis que son probable successeur est accompagné d’un arsenal complet d’armes, de bijoux en or et d’un équipement militaire complet, dont un plastron tressé rare à l’époque romaine.
Ensemble, ces tombes définissent une zone funéraire de prestige, réservée à une aristocratie thrace en pleine recomposition identitaire. Elle se trouve entre traditions locales et intégration dans le système militaire romain. Elles témoignent d’une continuité dans la valorisation du statut par l’armement et l’ornement. Mais tout en signalant l’essor d’un syncrétisme culturel visible dans les objets, les rites et les influences stylistiques.
Vers un renouveau du patrimoine thrace
Les fouilles menées près de Kapitan Petko Voivoda ne se limitent pas à des découvertes spectaculaires. Elles amorcent un mouvement plus large de revalorisation du patrimoine thrace. La restitution des objets et leur mise en sécurité au musée de Topolovgrad inscrivent ces trouvailles dans une démarche pérenne de valorisation culturelle et scientifique. Le musée, déjà doté d’une salle dédiée, s’affirme comme un pôle régional de référence pour l’histoire antique de la Thrace.
En parallèle, l’implication directe d’étudiants en archéologie de l’Université de Sofia « St. Kliment Ohridski » marque un tournant pédagogique. Ces chantiers de terrain deviennent des espaces de formation vivants, ancrés dans l’actualité de la recherche. Mais aussi dans la transmission active des savoirs et des méthodes.
Plus qu’une simple tombe, ce type de sépulture résonne comme un témoignage d’un monde où la mort exprimait hiérarchies, valeurs et croyances. Le dialogue entre objets grecs, pratiques locales et influences romaines montre la complexité d’une société à la croisée des mondes. Les élites savaient y manier autant les armes que les codes symboliques. Avec ces découvertes alignées, le sud-est de la Bulgarie émerge comme un véritable laboratoire pour réévaluer la place des Thraces dans l’Antiquité.
Laurie Henry
Diplômée du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris dans le domaine de la biodiversité, Laurie Henry est rédactrice scientifique indépendante. Elle s’intéresse à tout ce qui touche au monde de la science, de la biologie aux dernières technologies, à l’espace, en passant par les avancées médicales et l’archéologie.
Source : © Science-et-vie.com