Il pourrait s'agir de la troisième sépulture de ce type découverte sur l'île norvégienne de Karmøy : des archéologues ont identifié les contours de ce qui semble être un navire enterré sous le sol, un bateau-tombe du début de l'ère viking, à la fin du VIIIe siècle apr. J.-C., sont-ils persuadés.
La culture populaire, à travers de nombreuses séries sur les Vikings devenues populaires ces dernières années, veut parfois nous faire croire qu’il était courant pour les guerriers scandinaves d’être placés, à leur mort, dans de magnifiques drakkars, incendiés par une flèche une fois mis à l'eau. Peu de preuves archéologiques semblent néanmoins étayer l'idée de ces bûchers funéraires « maritimes ».
À la place, il semblerait que les Vikings avaient, entre autres coutumes, tendance à se faire enterrer avec leur bateau intact (plus ou moins modeste selon leur statut), sous des tumuli hauts de plusieurs mètres. C'est ce que les archéologues ont appelé les « bateaux-tombes ». En 2018, des chercheurs de l’Institut norvégien de recherche sur le patrimoine culturel (NIKU) avaient ainsi découvert tout un cimetière de navires sur des terres agricoles du comté d’Østfold. Dans le sud de la Scandinavie, il n’est d'ailleurs pas rare d’apercevoir ces collines basses, vestiges de ces anciennes installations funéraires. Nombreuses furent toutefois pillées, endommagées ou labourées à travers les âges.
Quelle ne fut donc pas la surprise, pour une équipe de chercheurs de l'Université norvégienne de Stavanger, d'identifier sous le tumulus de Salhushaugen qu'ils pensaient vide, les restes d'un bateau-tombe cachés depuis la fin du VIIIe siècle de notre ère. Des signaux radar leur ont en effet permis de distinguer la forme d'un navire sous le monticule, rapporte Science Norway le 21 avril 2023, et d'estimer la date de l'enterrement au tout début de l'ère viking (793-1066 apr. J.-C.). Si la présence de cette sépulture exceptionnelle est bel et bien confirmée près du village d'Avaldsnes, il s'agirait de la troisième du genre identifiée dans la région, sur la côte de l'île de Karmøy (sud-ouest de la Norvège).
Un supposé bateau-tombe; dont ils ne connaissent que la forme
Le monticule de Salhushaugen avait pourtant déjà été fouillé en 1906, par l'archéologue norvégien Haakon Shetelig. Pour cause, à proximité sur l'île de Karmøy, deux autres incroyables navires avaient déjà été retrouvés en 1886 et en 1902 : le navire de Storhaug (daté d'environ 779 apr. J.-C.) et celui de Grønhaug (795 apr. J.-C.). Contrairement à ces précédentes (et riches) découvertes toutefois, il ne trouve à l'époque sur le site que des pointes de flèches et des pelles en bois. Les spécialistes aujourd'hui sur le projet soupçonnent qu'il ait arrêté de creuser trop tôt, se heurtant à une couche rocheuse à la base du monticule — ils savent désormais que le recouvrement du bateau-tombe par des pierres est une pratique viking ayant été observée dans d'autres lieux cultuels.
En juin 2022, les chercheurs décident donc de fouiller à nouveau la zone, à l'aide d'un radar pénétrant dans le sol (géoradar), appareil utilisant des ondes radio pour cartographier ce qui se trouve sous la surface… et révéler les trésors enfouis jusqu'à 30 mètres. Une technologie qui leur a permis d'obtenir « l'image en forme de lentille » d'un objet d'environ 20 mètres de long. Les scientifiques en sont persuadés : « Les signaux du géoradar montrent clairement la forme d'un navire [...], affirme au site norvégien Håkon Reiersen, archéologue au Musée d'archéologie de l'Université de Stavanger. Il est assez large et rappelle le navire d'Oseberg (d'environ 22 mètres de long sur un peu plus de 5 mètres de large, ndlr). » De plus, indique-t-il, les prometteurs signaux sont situés en plein milieu du monticule, exactement là où le navire aurait reposé s'il s'agissait de la mise en scène d'un bateau-tombe.
L'équipe espère désormais effectuer d'autres fouilles du monticule de Salhushaugen, afin de confirmer leurs théories et d'obtenir une datation plus précise. Des résultats qui devraient les aider à déterminer s'ils creuseront des tranchées jusqu'au navire, dont ils ne savent rien de l'état de conservation. « Ce que nous avons vu jusqu'à présent n'est que la forme du navire, développe Håkon Reiersen. Lorsque nous l'ouvrirons, nous pourrions constater que peu de choses ont été préservées et qu'il n'en reste qu'une empreinte ». Mais au contraire également, comme l''endroit ne semble pas dans le passé avoir été pris pour cible par des voleurs opportunistes, il est également possible que la sépulture puisse encore contenir des artefacts, comme ceux trouvés dans celle de Storhaug (deux épées, une lance et des jeux de plateau en verre, en autres). Des publications scientifiques sur Salhushaugen sont à venir.
La tradition des bateaux-tombes, née à Karmøy ?
Selon Håkon Reiersen, la présence de deux (voire peut-être trois) bateaux-tombes vikings à Karmøy illustre l'importance qu'a pu avoir cette région pendant 3 500 ans, de l'âge du bronze (environ 1700 av. J.-C.) jusqu'à la période médiévale. C'est là que les premiers rois vikings auraient vécu, estime-t-il — les plus célèbres sépultures des bateaux d'Oseberg et Gokstad, ont été datées de plusieurs années plus tard, respectivement vers 834 et 900. Le nombre aussi, a son importance. « Il n'y a pas d'autre 'constellation' (ou 'grappe') de tumulus de navires aussi grande que celle-ci, » avance-t-il, avant de conclure : « C'est la partie du pays où les choses se passaient au début de l'ère viking. La tradition des sépultures de navires scandinaves s'est établie ici, puis s'est propagée à d'autres parties. »
Et en effet durant cette période, le village Avaldsnes à Karmøy était un centre de pouvoir stratégique, puisqu'il permettait de contrôler le trafic maritime le long de la côte ouest norvégienne. Les vaisseaux avançant à travers les îles occidentales étaient contraints de naviguer dans l'étroit détroit de Karmsund entre Karmøy et le continent, autrefois connu sous le nom de Nordhrvegr (le « chemin du Nord », « la voie vers le nord », en vieux-norrois) — à l'origine du nom du pays, la Norvège. Les lieux auraient même abrité le légendaire roi viking Harald Ier (~850-933) ou Haraldr hárfagri, surnommé « Harald à la Belle Chevelure », crédité de l'unification du royaume norvégien vers l'an 900. Les tombes de ces puissants vikings, qui faisaient cinq à six mètres de haut au moment de leur construction, auraient été visibles depuis les bateaux sur la mer du Nord, symboles de leur puissance.
MATHILDE RAGOT - GEO