Les récentes fouilles au fort romain d'Apsaros, situé dans l’actuelle Gonio en Géorgie, ont révélé une découverte exceptionnelle : une plaque votive en or dédiée au dieu Jupiter Dolichénien. Cette découverte confirme non seulement l'existence d'un culte militaire voué à cette divinité orientale, mais elle soulève également des questions fascinantes sur la vie et les pratiques culturelles dans cette ancienne garnison romaine, située aux confins orientaux de l'empire.
EN BREF
- Depuis 2014, une équipe polono-géorgienne explore le fort romain d'Apsaros en Géorgie, dirigée par le Pr. Karasiewicz-Szczypiorski et le Dr Aslanishvili.
- En 2024, une plaque votive en or dédiée à Jupiter Dolichénien a été découverte, révélant l'importance religieuse et économique du fort.
- Découvrez comment le fort d'Apsaros allie défense militaire et activités économiques uniques, enrichissant notre compréhension de l'Empire romain.
Les fouilles archéologiques menées au fort romain d’Apsaros, en Géorgie, révèlent des éléments rares et fascinants de la présence militaire romaine aux confins de l’Empire. Depuis 2014, une équipe polono-géorgienne, incluant le Pr. Radosław Karasiewicz-Szczypiorski de l’Université de Varsovie et le Dr Lasha Aslanishvili de l’Agence pour la Protection du Patrimoine Culturel d'Adjarie, explore ce site stratégique situé près de la mer Noire.
En 2024, les chercheurs ont découvert une plaque votive en or, preuve matérielle de la pratique d’un culte dédié à Jupiter Dolichénien, dieu prisé par les légionnaires. Cette trouvaille met en lumière non seulement l’importance religieuse du fort pour les soldats romains, mais aussi ses activités économiques uniques pour une garnison, comme la production d’amphores et de vin, enrichissant ainsi la compréhension des pratiques et réseaux qui animaient cette région à l’époque romaine.
Une forteresse stratégique aux confins de l'empire romain
La forteresse d'Apsaros, aujourd'hui connue sous le nom de Gonio, se situe à la pointe occidentale de la Géorgie. Non loin de la frontière actuelle avec la Turquie et des rives de la mer Noire. Construite il y a près de 2 000 ans par l’Empire romain, elle occupait une position stratégique aux frontières de la province romaine de Cappadoce. Il servait de poste avancé pour surveiller cette région clé reliant les territoires romains d’Asie Mineure aux royaumes voisins. Proche de la Colchide, terre mythique liée à la légende de la toison d’or, le fort d'Apsaros se trouvait sur une route maritime et terrestre cruciale pour le commerce et le transport militaire vers l’Orient. Cette position faisait d'Apsaros un site incontournable pour la défense des frontières orientales de l'Empire.
La forteresse d'Apsaros se voit mentionnée par l'historien byzantin Procope de Césarée. Il l’associe à la légende d’Absyrtos, ajoutant une dimension mythologique au site. Dans la légende, Absyrtos est le fils du roi Aietes de Colchide et le frère de Médée. Lors de la fuite de Médée avec Jason, qui avait volé la toison d’or, elle tue Absyrtos pour ralentir Aietes, leur père, et permettre leur évasion. Le fort d’Apsaros porterait son nom.
Depuis 2014, une équipe archéologique polono-géorgienne mène des fouilles exhaustives pour explorer ce site aux vestiges bien préservés. Le fort d’Apsaros, intégré dans le dispositif défensif de Rome contre les incursions venues de l’Est, constitue un témoin essentiel de l’occupation romaine et de ses enjeux géopolitiques dans la région.
La plaque votive : un hommage rare et précieux à Jupiter Dolichénien
La plaque votive en or découverte à Apsaros constitue un objet exceptionnel par sa qualité et sa signification. Cette fine plaque, d'un travail raffiné, se trouve gravée d'une inscription grecque dédiée à Jupiter Dolichénien. Il s’agit d’une divinité adoptée par l'armée romaine en Orient. Les reliefs qui ornent la plaque représentent les attributs du dieu, renforçant son caractère sacré pour les soldats romains.
Contrairement aux objets votifs courants, souvent en bronze ou en pierre, l'utilisation de l’or ici suggère l’importance particulière de cette offrande. On la déposa peut-être lors d’une cérémonie solennelle pour invoquer la protection divine dans des circonstances incertaines. Trouver un tel objet intact reste rare, surtout dans un contexte militaire où l'or n'était pas utilisé couramment.
Plaque en or. © Natalia Lockley via the Polish Centre of Mediterranean Archaeology at the University of Warsaw
Cette plaque ne constitue pas qu'un simple artefact religieux. Elle témoigne de la popularité de Jupiter Dolichénien parmi les soldats stationnés dans des régions éloignées de Rome. Ce dieu, originaire de Dolichè – un petit centre religieux situé dans l'actuelle Turquie – s’intégrait aux croyances locales et romaines. Associé à la guerre et à la protection, Jupiter Dolichénien se distinguait du Jupiter Capitolin par ses symboles exotiques, comme le taureau et l’aigle.
Ces derniers représentaient respectivement la puissance terrestre et l'élévation spirituelle. La découverte de cette plaque souligne donc la complexité des croyances dans les garnisons romaines. Mais aussi l’appropriation de cultes étrangers au sein de l’Empire. Elles répondaient aux besoins spirituels des légionnaires éloignés de leur patrie.
Une économie surprenante au cœur d'un fort
En outre, les fouilles ont mis en lumière des indices d’une activité économique étonnamment diversifiée au sein de cette garnison d’Apsaros. Et cela bien au-delà des fonctions militaires habituelles. Les vestiges de plusieurs fours à poterie, dont certains contenaient encore des amphores inachevées, révèlent une production de grande envergure. Il s’agit d’une activité rarement associée aux forts militaires romains.
Ces amphores, destinées au transport de vin, se voyaient probablement fabriquées pour des échanges régionaux. Elles pouvaient même approvisionner d'autres postes militaires. La présence d'un pressoir à vin à proximité des fours suggère que cette production pouvait être assurée directement sur place. Ce qui transforme le fort en un centre de vinification et de poterie temporaire. Cette découverte indique non seulement une autosuffisance économique partielle de la garnison, mais aussi une intégration de ce site dans les réseaux commerciaux de la région du Pont-Euxin.
Un ancien four à poterie romain avec des jarres encore à l'intérieur. © Marcin Matera via the Polish Centre of Mediterranean Archaeology at the University of Warsaw
L’organisation de cette activité semble suivre une logique d’alternance avec la présence militaire. Les chercheurs pensent que les artisans locaux, mobilisés pour travailler au fort en l’absence de la garnison, devaient interrompre leur production dès le retour des troupes romaines. Ils laissaient alors parfois des amphores inachevées dans les fours. Ce phénomène pourrait s’expliquer par des impératifs de sécurité ou d’espace. La production civile se trouvait mise en veille à chaque mouvement militaire. Cette alternance entre occupation militaire et production artisanale révèle une flexibilité économique au sein d’une garnison. Elle devait, selon les chercheurs, répondre aux besoins en approvisionnement de l’armée tout en soutenant une économie locale.
La maison d’Arrian et les mosaïques du fort : traces d’un passé culturel
La « maison d'Arrian » est identifiée comme la résidence du commandant de la garnison romaine à Apsaros. Elle témoigne enfin de la richesse culturelle et du statut des officiers de l’époque. Ce bâtiment se trouve bien préservé pour un site archéologique militaire. Il a livré des mosaïques somptueuses, preuve que l'élite militaire romaine bénéficiait de conforts souvent associés aux demeures aristocratiques de l'Empire.
Les mosaïques, réalisées avec une grande finesse, représentent des motifs géométriques et figuratifs typiques de l'esthétisme du monde romain. La présence de telles œuvres d’art dans une forteresse éloignée souligne l’importance accordée à l’environnement des hauts responsables militaires. Ils importaient probablement artisans et matériaux, malgré la distance par rapport aux centres de production artistiques de l’Empire.
Tentative de reconstruction d'une pièce de la maison du commandant de garnison à Asparos. © Radosław Karasiewicz-Szczypiorski et Mateusz Osiadacz
Une équipe de l'Académie des Beaux-Arts de Varsovie sous la direction de la Dr Julia Burdajewicz a entrepris la restauration de ces mosaïques. Cela a permis de préserver les sections les plus endommagées et d’assurer leur exposition dans un musée local. De leur côté, les mosaïques encore en place, partiellement dégagées, nécessitent des recherches supplémentaires pour être étudiées et consolidées intégralement.
Laurie Henry - science-et-vie - 27 octobre 2024