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Le 3 Juin 1950, une cordée de Français, comprenant Lionel Terray,     Gaston     Rebuffat, Lachenal et Maurice Herzog, atteint le sommet de l'Annapurna. Un exploit qui s'inscrit dans la tradition de cette « conquête de l'inutile » qu'est l'alpinisme.

La notion même de « conquête de l'inutile » apparaît provocatrice dans une civilisation qui, comme celle que nous subissons, est dominée par l'utilitarisme, la recherche effrénée du pro­fit, le culte de l'argent-roi. C'est pour­quoi la pratique de la montagne est une belle et rude école pour la jeunesse d'un peuple : elle crée en effet un sen­timent de plénitude chez ceux qui veu­lent échapper aux petitesses, aux hypo­crisies et aux lâchetés de la société marchande (c'est-à-dire la société où il est admis que tout se vend et tout s'achète, y compris les consciences). « Tout, écrit Julius Evola dans Médita­tions du haut des cimes, dans la civili­sation moderne tend à étouffer le sen­timent héroïque de la vie. Tout tend à la mécanisation, à l'embourgeoise­ment, au nivellement réglé et prudent, à la fabrication d'êtres prisonniers de leurs besoins et privés de toute autono­mie. Le contact est rompu avec les forces profondes et libres de l'homme, des choses et de la nature ».

C'est pour retrouver le goût du dépassement et du défi à soi-même, la quête de l'absolu que beaucoup cherchent à gagner les cimes. La montagne est ainsi un appel. Appel à unir dans une même tension de l'être un corps soumis à l'épreuve de l'effort et une âme en quête d'absolu. La montagne permet en effet de réaliser une transfi­guration intérieure en liant l'effort physique à un éveil spirituel — celui-ci naissant de celui-là. La tension du corps dans l'effort, le risque, le défi sont voie de libération pour l'esprit, affranchissement de l'âme, loin des bornes et des frontières mentales éta­blies par le conformisme bourgeois. En montagne on se baigne à la source des origines : s'y affirment les valeurs authentiques et les joies élémentaires, offertes par « l'amour du vent, des grands espaces, des étoiles et des tem­pêtes, des fleurs et des forêts, de l'odeur et du goût de toutes ces choses » (Gaston Rebuffat, Etoiles et tempêtes).

La montagne est ce royaume alchimique où certains êtres, grâce à une expérience qui peut déboucher sur une transmutation, ont rendez- vous avec eux-mêmes. Partir vers les hautes altitudes, c'est se donner la chance de retrouver la pulsion élémentaire de la vie, la force et le goût d'aller toujours plus haut. Vers le soleil.

AVT Saint Loup 1951

L'écrivain-prophète Saint-Loup a su transcrire avec maestria cette expérience unique (qu'on ne peut compa­rer qu'à celle du navigateur solitaire de haute mer) dans plusieurs de ses livres-messages. Tout particulièrement dans Face Nord, récit nietzschéen, ini­tiatique, ayant pour cadre l'organisa­tion « Jeunesse et Montagne », dans les années qui ont suivi 1940. Lui-même alpiniste chevronné (au point d'avoir été choisi par Péron comme instruc­teur des troupes de montagne argen­tines), Saint-Loup a su faire vivre à ses lecteurs l'intensité du dialogue entre l'homme et la montagne. J'en connais certains qui, du coup, ont eu la bonne idée d'aller communier avec les esprits qui gîtent sur les hauts sommets des Alpes. Et qui y ont trouvé la sérénité.

Aujourd'hui des hommes et des femmes, sans cesse plus nombreux, entendent l'appel de la montagne et se lancent à la conquête de l'inutile. Signe des temps. Et signe d'espoir. Car, à un moment où nombre de voix préconisent l'avachissement, la démission, le renoncement, la veulerie — bref la décadence d'abord, la mort ensuite — il est vital, au sens propre, pour la jeu­nesse d'un peuple, de conserver ou de retrouver le goût de la conquête. Et d'abord celle de soi.

Pierre VIAL.

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