Jusque début septembre, la Monnaie de Paris rend hommage au fondateur de l’abstraction lyrique dans le cadre de son exposition « Georges Mathieu. Geste, vitesse et mouvement ».
Jusqu’au 7 septembre 2025, la Monnaie de Paris accueille certaines œuvres du peintre Georges Mathieu dans le cadre de son exposition « Georges Mathieu. Geste, vitesse et mouvement » en collaboration avec le Centre Pompidou.
« Moult de Parte ! ». Cette maxime énigmatique semble venir du Grand Siècle de Louis XIV. Or, cette devise fut celle d’un artiste du XXᵉ siècle, Georges Mathieu, dont l’œuvre se caractérise par son éclectisme et son goût de l’abstrait.
Une institution vénérable peut-elle célébrer l’avant-garde ? La Monnaie de Paris, institution fondée en 864 par le roi Charles le Chauve, rend hommage au fondateur de l’abstraction lyrique. Il faut dire qu’elle n’en est pas à son premier coup d’essai. Cinquante ans auparavant, l’Hôtel de la Monnaie abritait déjà une rétrospective de l’artiste. Cette collaboration perdura en 1974 avec la fameuse pièce de 10 francs « style Mathieu », dont le revers symbolise la synthèse de la nation française : une figure énigmatique pouvant représenter aussi bien un arc électrique, éclairant les pays voisins de ses lumières, que la colombe du Saint-Esprit. Ce clin d’œil à ses convictions royalistes et catholiques nous rappelle que Georges Mathieu a toujours voulu que son art renoue avec une histoire événementielle.
Ce rendez-vous avec l’histoire saisit le spectateur dès la première salle, où se font face deux tableaux : La Victoire de Denain (peinte le 20 avril 1963) et la Bataille de Bouvines (peinte le 25 avril 1954). Ces deux peintures nous offrent deux exemples de compositions abstraites lyriques. Ce sont deux toiles réalisées en une journée, preuve de l’importance donnée à la vitesse. Mathieu cherche à montrer que la vivacité du coup de pinceau s’identifie à la fougue du combat guerrier et à la prise de décision des stratèges pendant la bataille. Par conséquent, nous pouvons définir la peinture abstraite de Mathieu comme un « décisionnisme pictural ». À l’instar du décisionnisme politique, qui considère que ce n’est pas la norme mais la décision du souverain qui garantit l’ordre juridique, l’acte de peindre ne se fonde pas sur le respect de normes figuratives ou géométriques préétablies mais sur la rapidité et la prise de décision de l’artiste. De fait, Mathieu recourt à des lignes continues ou festonnées en écrasant directement le tube de peinture sur la toile. Ces lignes lui permettent de faire figurer certains indices, qu’il appartient au spectateur de décrypter. Ainsi, dans sa Bataille de Bouvines, on peut interpréter la grande barre noire fusant vers l’extrémité droite du tableau comme la fuite d’Othon IV, l’empereur du Saint-Empire romain germanique défait par Philippe Auguste. Mais ces symboles cachés ne sont nullement imposés, car l’abstraction laisse le spectateur libre dans son interprétation.
Affiche pour Air France, 1967, Collection Musée Air France
Hommage à Delalande, 1970, Huile sur toile, 116 x 89 cm, Comite Georges Mathieu Edouard Lombard
Hommage à Monsieur de Vauban, auteur de la dîme royale, 1969, Huile sur toile, 202 x 402,5 cm, Colmar, Musée Unterlinden
La Bataille de Bouvines, 25 avril 1954, Huile sur toile, 250 x 600 cm, Paris centre Pompidou, Musée national d'art moderne
La Libération d'Orléans par Jeanne d'Arc, 1982, Huile sur toile, 205 x 500 cm, Orléans, Musée des beaux-arts
Rêves desséchés, vers 1990, Huile sur toile, 146 x 114 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
Seventh Avenue, 1957, Huile sur toile, 187 x 126 cm, Colmar, Musée Unterlinden
Méru, 1965, Huile sur toile, 116 x 65 cm, Collection particulière
Vers la fin des années 1950, Mathieu multiplie les expositions à l’étranger : au Japon, au Brésil, aux États-Unis… Là encore, il s’illustre par sa spontanéité créatrice en peignant sur place les œuvres présentées au public. Ces peintures ont pour titre des événements historiques, des noms de personnages ou de lieux. Par exemple, sa toile Seventh Avenue (1957) manifeste le goût de l’artiste pour le monde urbain. Certaines œuvres réalisées durant cette période serviront une dizaine d’années plus tard, lorsque Air France lui adressera une commande d’ampleur : une quinzaine d’affiches publicitaires visant à promouvoir les pays desservis par la compagnie. Les affiches doivent évoquer au premier coup d’œil leurs destinations : France, Allemagne, Japon, Inde, etc. Dans cette optique, la toile Orry (1965) est adaptée pour l’affiche publicitaire consacrée à l’Espagne : ne distingue-t-on pas un taureau d’Andalousie ou un château de Vieille Castille ?
Cette affection du peintre à la fois pour le classicisme et l’urbanisme se retrouve vers la fin des années 1960 et le début des années 1970. Georges Mathieu n’a jamais caché son attrait pour le XVIIᵉ siècle français. Cette passion du Grand Siècle se manifeste par certains tableaux comme son Hommage à Delalande (1970), qui nous rappelle les grilles dorées du château de Versailles ou de l’Hôtel des Invalides. Mais le tableau le plus monumental de sa période classique est sans conteste son Hommage à Monsieur de Vauban, auteur de la « dîme royale » (1969). Il se compose d’un magnifique graphisme fait de lignes multicolores, accompagnées d’éclaboussures blanches mais encadrées par un ensemble de droites et d’obliques. Cette œuvre peut nous rappeler la personnalité de Vauban : un caractère audacieux, voire réformateur, mais tempéré par un esprit mathématique et soucieux de servir.
Cependant, Mathieu reste un homme de son temps. C’est l’époque des Trente Glorieuses et du développement industriel de la France. Dans ce contexte, il évoque le progrès technique par une peinture structurée autour de lignes verticales comme Méru (1965) ou horizontales avec Mégapolis II (1971). C’est durant cette même période « orthogonale » qu’il conçoit la pièce de 10 francs, dont l’avers évoque l’essor industriel de l’Hexagone ou encore le logo de la chaîne Antenne 2 en 1975. Mais bientôt, l’espérance laisse place à la désillusion. Ces dernières œuvres, telles Rêves desséchées (1990), laissent traduire un désenchantement face à un monde de l’art régi par la froideur du calcul marchand. Toutefois, avec son ultime revirement figuratif, La Libération d’Orléans par Jeanne d’Arc peinte en 1982, Mathieu nous laisse une leçon. L’art, s’il ne veut pas se retrouver coincé dans les rets du marché, doit être capable de faire renouer l’homme avec la chaîne des temps par un perpétuel effort de création.
Frantz d’Artois – Promotion Charles Quint
Informations pratiques
Exposition Georges Mathieu. Geste, vitesse et mouvement
Monnaie de Paris - 11 Quai de Conti, 75006, Paris - Jusqu’au 7 septembre 2025