« Toujours vivant, toujours indépendant, toujours sur le fil du rasoir »: C'est ainsi que Jean Picollec, éditeur hors normes, bien connu dans « nos milieux », se définit. Roland Hélie et Philippe Randa ont eu la riche idée de consacrer un livre, paru aux éditions Synthèse nationale, à ce personnage pittoresque, éditeur ayant publié de nombreux livres non conformistes, breton fier de son identité, engagé dans le combat national breton, français et européen, ami de personnalités tout à fait inattendues de tous bords, ayant fait partie du bureau politique d'Ordre Nouveau tout en soutenant la Nouvelle Droite d'Alain de Benoist et fréquentant amicalement aussi bien Jean-Edern Hallier que Vincent Bolloré, le barde Jean Markale ou l'écrivain Yann Queffelec.
Breton d'abord
Jean Picollec est né le 15 juin 1938 à Port-Lyautey (aujourd'hui Kenitra) au Maroc. Il passera son adolescence à Tanger qui était alors zone internationale, où son père était douanier, comme beaucoup de Bretons. Mais les vraies racines de Jean sont à Concarneau où trois de ses grands-parents sont enterrés, le quatrième aynat été « mangé par les crabes », une expression qui évoque les marins-pêcheurs qui ont péri en mer et dont on n'a pas récupéré le cadavre. Tous les ascendants du futur éditeur sont bretons et, raconte-t-il, « dans la famille, les femmes portaient la coiffe de Pont-Aven » et « sa grand-mère paternelle est morte sans avoir appris le français », sa mère n'ayant quant à elle appris le français qu'en allant à l'école. Jean se souvient des humiliations subies par les petits Bretons (les mêmes que celles subies par les Alsaciens), considérés comme des « ploucs ». Il se souvient des panneaux à l'école, où était écrit: « Il est interdit de parler breton et de cracher par terre ». Il relève qu'on imposait aux Bretons une civilisation gallo-romaine, alors qu'ils sont des Celtes avec leurs légendes fabuleuses, telles Tristan et Iseult ou Merlin l'enchanteur. Notons qu'un des aspects les plus intéressants du livre se trouve dans les annexes et les notules, nombreux et passionnants, éclairant des biographies, des événements historiques ou tout simplement, racontant des anecdotes. C'est ainsi que Jean Picollec relate l'origine bretonne du mot « baragouiner ». Lors de la guerre de 1870, les soldats de l'armée de Bretagne, suspects aux yeux du gouvernement républicain de Gambetta, furent parqués, dans des conditions épouvantables à Conlie, dans la Sarthe, dans des baraquements submergés, pataugeant dans la boue, très mal équipés: un vrai mouroir. Ils crevaient littéralement de faim et de soif, et réclamaient sans cesse aux soldats français du pain (Bara) et du vin (Gwin), leur répétant ces deux mots, dont les Français ne comprenaient pas la signification, d'où l'apparition du mot « baragouiner ».
Etudes et croix celtique !
Jean Picollec voulait évidemment être marin et porter le bel uniforme d'officier de la marine. Mais, présenté avec succès au concours général d'histoire, bénéficiant ainsi d'une bourse et d'une chambre en Cité U, à condition de poursuivre des études d'histoire, il abandonna ses ambitions de devenir marin. Son voisin à la Cité était... Lionel Jospin, guère chaleureux avec les autres, et notamment avec lui, raconte Jean. C'est l'époque où il va rencontrer Jean-Marie Le Pen mais aussi Alain Jamet au fameux Bar du Panthéon, alors fief de la corpo de droit. A cette époque, Jean est très conscient du danger soviétique. Il découvre l'extraordinaire livre du transfuge soviétique Victor Kravchenko; J'ai choisi la liberté, qui le renforce dans son anti-communisme. Vient la guerre d'Algérie. Il est bien sûr très hostile aux porteurs de valises, des « traîtres » et a de la sympathie pour les Pieds Noirs, suivant de près la « semaine des Barricades ». En ce début des années 1960, Jean prépare une thèse d'histoire en Sorbonne, consacrée aux mouvements autonomistes bretons de 1939 à 1945. Il rencontre Maurice Bardèche et découvre sa revue Défense de l'Occident dans laquelle paraitront 7/8 articles de sa plume. La liste des collaborateurs, réguliers ou occasionnels de Défense de l'Occident, laisse rêveur. Parmi eux, Jean Anouilh, Marcel Aymé, Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent, Lucien Rebatet, Michel Déon, Robert Poulet, et tant d'autres. Philippe Randa écrit: « De tels noms prestigieux laissent rêveur à une époque où un simple entretien donnés à des journaux dénoncés comme "proches du Front National" suffit à vous attirer l'opprobre médiatique ». Picollec va côtoyer François d'Orcival autour d'Europe Action, mais aussi Jean Mabire, Alain de Benoist, Dominique Venner. Il rencontre, au retour de son exil, Olier Mordrel, cofondateur du parti autonomiste breton, dirigeant de la revue Stur durant la guerre, collaborateur à Radio Paris, condamné à mort par contumace en juin 1946, qui put se réfugier en Argentine pour ne revenir en France qu'en 1972. Mais son engagement politique sera motivé essentiellement par François Duprat qui l'incite à adhérer à Ordre Nouveau. Plus tard, en 1979, il tâtera de la démocratie aux côtés de Jean-Edern Hallier. Ils tenteront de présenter, ensemble, une liste appelée « Région Europe » aux élections européennes. Sans grand succès. Jean Picollec témoigne: « Nous ne pûmes même pas nous payer de bulletins de vote ». Mais il fallait bien travailler pour nourrir sa famille (il aura deux filles).
L'aventure de l'édition
Il va rentrer dès février 1966 à la direction générale de Larousse. Il y restera presque six ans. Puis vint l'aventure de la première Maison d'édition, créée par Alain Moreau, qui avait fait carrière dans l'immobilier et avait racheté les éditions à compte d'auteur de la Pensée universelle. Il proposa à Picollec de créer une « vraie » maison d'édition et de se charger de son développement. Ce sera un succès. Il crée la fameuse collection avec « B... comme Barbouzes », « D... comme drogue », « S... comme Sanguinetti », s'attaquant dans ce dernier livre à Alexandre Sanguinetti, un des hommes les plus puissants de France, un des responsables de la police parallèle du régime, le Service d'Action Civique (SAC), qui sera ministre et secrétaire général de l'UDR en 1973-1974. Picollec va publier Bokassa 1er, un des premiers livres de Pierre Péan, brillant journaliste d'investigation. Le livre n'est certes pas un panégyrique du couronnement de l'empereur Bokassa 1er, tandis que toute la presse parisienne est à plat-ventre et s'émerveille, à commencer par Jean-Pierre Elkabach.
La collaboration de Picollec avec les éditions Moreau prendra fin en 1978, avec la création de sa propre maison d'édition. Il publiera une douzaine de livres par an, avec deux axes majeurs: l'histoire contemporaine et la Bibliothèque Celtique. La publication du livre Le dossier secret du Canard enchaîné, suscite la fureur du volatile qui alla jusqu'à menacer la maison d'édition (pas Jean Picollec, tout de même!) de mort. Autre livre qui fit du bruit: La guerre des truands de Claude Picant. Son sous-titre: Le who's who des truands français, dans lequel on ne distingue plus très bien le truand et l'homme politique. Roland Gaucher évoquera quant à lui Le Réseau Curiel qu'il décrit comme le « chef du réseau anti-occidental le plus efficace » qui eut des ramifications partout dans le monde. Il sera assassiné le 4 mai 1978 par deux hommes dans les couloirs de son immeuble, une exécution revendiquée par un curieux « commando Delta » et par le Groupe Charles Martel.
Des livres politiquement peu corrects
Tous ceux qui pénètrent pour la première fois dans le capharnaüm de son bureau sont stupéfaits. Cet homme d'ordre travaille dans le foutoir le plus total. Un de ses auteurs, Bernard Marck raconte: « Chez lui, on marche sur du papier, des épaisseurs de journaux, de lettres, tandis que l'on frôle des murs de manuscrits en équilibre instable. » Mais attention, raconte Marck: « Jean sait l'emplacement de chaque lettre, de chaque journal, de chaque manuscrit, de chaque livre reçu ».
Jean Picollec a multiplié l'édition de livres qu'aucun autre éditeur n'aurait osé publier, certains leur paraissant « gênants » pour leur image, à cause des conséquences, notamment politiques. C'est le cas de Bouteflika, une imposture algérienne de Mohamed Benchicou qui lui vaut des poursuites pendant plusieurs années, Bouteflika lui réclamant 100 000 euros pour diffamation. Il sera finalement condamné à... 1 euro. Picollec ose aussi publier un livre objectif de Philippe Chesnay, sur le général Pinochet. L'auteur y pose la question: « Pourquoi, après dix-sept ans d'une dictature présentée comme une des plus impitoyable de notre époque, Pinochet recueillit-il encore 45% des suffrages populaires favorables à son maintien à la tête de l'Etat ? » Pourquoi, à la chute de la dictature, en 1990, le Chili était-il, en matière économique,le « bon élève du continent » ?
Ses livres sur la Seconde Guerre mondiale rencontrent eux aussi le succès, notamment celui de Jacques Vergès, « Je défends Barbie », où l'on peut lire la plaidoirie de l'avocat au procès de Klaus Barbie. C'est Jean-Edern Hallier (encore un Breton !) qui avait présenté Picollec au sulfureux avocat (« un esprit vif, qui n'était ni conventionnel, ni sectaire »). On apprend qu'il fut enterré religieusement ! Quel fascinant personnage ! Il avait totalement disparu durant une dizaine d'années sans qu'on ne sût jamais où il s'était caché. Certains pensent qu'il avait rejoint les Khmers rouges... Autres livres passionnants édités par Jean Picollec: Bucard et le francisme d'Alain Deniel (encore un Breton), Degrelle persiste et signe qui est une longue interview télévisée de Jean-Michel Charlier, la biographie de René Bousquet par son fils Guy (René Bousquet, cet inconnu), ou encore la biographie de l'amiral Bléhaut, ministre du Maréchal, par son fils (Pas de clairon pour l'amiral Bléhaut). Car à sa mort, De Gaulle avait interdit l'usage traditionnel du clairon lors de ses funérailles pour avoir suivi le Maréchal à Siegmaringen. Citons aussi ce livre absolument passionnant de Philippe Randa, le « Dictionnaire commenté de la Collaboration française », sans oublier le Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie de Jean-André Faucher et le Dictionnaire des prénoms d'Alain de Benoist. Mais des plus de 350 ouvrages du catalogue de Jean Picollec, son plus grand succès est celui du célèbre Au nom d'Oussama Ben Laden de Roland Jacquard, paru par un hasard incroyable le 12 septembre 2001, quelques heures seulement après les attentats de New-York. Traduit en 26 langues, il connut une très grosse diffusion. Le livre eut même droit à une précommande en langue féringienne, la langue des îles Féroé!
Quel homme !
Quel homme, ce Jean Picollec! Nicolas Gauthier le décrit, « jovial et bonhomme, recevant comme un prince, offrant de généreuses rasades de son whisky breton, un sourire monté sur pattes, une générosité jamais feinte: la marque des Grands ». Cet « éditeur hors-pair, découvreur de talents et indépassable en son métier dès lors qu'il s'agit d'exiger de ses auteurs de livrer le meilleur d'eux-mêmes n'hésite pas à mettre, sa noblesse d'âme et de cœur aidant, son imposant carnet d'adresses au service de chacun. Car, poursuit Nicolas Gauthier, « Jean Picollec connaît tout le monde. Hommes et femmes. De droite et de gauche ». Le journaliste Jean Bothorel décrit son vieil ami comme « un homme de caractère » et cite Jean Renard: « Un homme de caractère n'a pas bon caractère », ajoutant: « Tous ceux qui ont pratiqué "Pico" conviendront avec moi qu'il a un caractère de cochon ». Car ce diable d'homme est aussi, dit Bernard Marck, « un tortionnaire » mais, Dieu merci, un « tortionnaire sympathique », exigeant avec ses auteurs, son terrible crayon à la main, annotant, corrigeant, soulignant, faisant preuve du « redoutable entêtement breton », menant sa maison « comme un capitaine de chalutier prend la mer par tous les temps ». Concluons avec cette définition que Bernard Marck donne de Jean Picollec: « un grand homme qui s'ignore »...
Robert Spieler
Jean Picollec, l'atypique, présenté par Roland Hélie, 250 pages, 29 euros (plus 5 de port), commande à Synthèse nationale, BP 80135-22301 Lannion PDC ou www.synthese-editions.com