SOMBART, auteur allemand du début du XXe siècle, n’est guère connu que de ceux qui ont étudié l’économie à l’université. Il a théorisé les nouveaux concepts nés de la révolution industrielle : le capitalisme, la bourgeoisie. Son œuvre se situe au carrefour de l’économie et de la sociologie.
Guillaume Travers, professeur d’économie, multiplie actuellement les publications sur ses domaines de compétence – d’« expertise », comme on dit aujourd’hui : analyses historiques, essai sur les inégalités, sur le capitalisme moderne et le marché, le libéralisme et la société de surveillance et de contraintes, etc. Il signe aujourd’hui cette biographie de Werner Sombart dont nombre de travaux sont importants pour la science économique, mais qui n’a donc pas atteint le grand public, du moins en France. C’est en effet, à notre connaissance, le premier ouvrage significatif, en langue française, sur cet auteur, même si on trouve sa trace dans tous les travaux sur l’histoire des théories économiques. Il existe d’ailleurs très peu d’ouvrages sur Sombart. Alain de Benoist l’a évoqué dans son livre sur les figures de la révolution conservatrice allemande. La célèbre controverse de Sombart avec Max Weber avait fait l’objet d’une publication aux PUF, en 1982. Le travail de Travers est évidemment une biographie intellectuelle, car Sombart n’a pas participé aux grandes luttes et engagements politiques que son pays a connus de son vivant, alors même que la vie de Sombart (1863-1941) couvre la pire période de l’histoire du peuple allemand : la guerre de 14-18, la dépression économique des années 1920, la radicalisation de la rue, l’arrivée au pouvoir d’Hitler, les deux premières années de la nouvelle guerre mondiale (qui ne furent certes pas les pires, du point de vue allemand). Sombart meurt le 18 mai 1941, échappant de ce fait au spectacle des revers militaires de son pays, du saccage des grandes villes allemandes par les bombardements aériens, de la défaite et de l’occupation soviétique d’une partie de son pays.
Révolution conservatrice
L’intérêt des travaux de Sombart repose en grande partie sur son parcours intellectuel : il publie en 1896 Le Socialisme et le mouvement social au XIXe siècle, qui lui fait une réputation de socialiste révolutionnaire. En 1911, son livre Les Juifs et la vie économique pose la question de l’antisémitisme, comme Le Bourgeois (1913) et Luxe et capitalisme (1913) peuvent laisser penser à une vision marxiste de l’économie. En 1934, son ouvrage Le Socialisme allemand est « mal reçu dans les milieux proches du parti nazi », nous dit Guillaume Travers qui voit en Werner Sombart, comme Alain de Benoist, « un des auteurs majeurs de la Révolution conservatrice en Allemagne », sorte de troisième voie entre le marxisme et le capitalisme, cette troisième voie que cherchaient en France un Léon Bourgeois et son « solidarisme », ou ces intellectuels non conformistes des années 1930, réunis par des revues comme Plans autour de (futures) personnalités comme Philippe Lamour, Hubert Lagardelle, Arthur Honegger, Le Corbusier, Robert Aron, Arnaud Dandieu, etc. Que cette troisième voie soit restée à l’état de réflexion et d’utopie n’ôte rien à la valeur de cette intuition, et à la valeur des hommes qui ont participé à cette aventure intellectuelle, dont Sombart qui est l’un des plus intéressants.
Francis Bergeron -
Guillaume Travers, Werner Sombart, éd. Pardès, mars 2022, 128 pages.
Mercredi 27 avril 2022 – Présent