Carleen BINET, ABC de la morphopsychologie, Grancher, 1988.
Peut-être un jour, en quête d’un emploi, il vous arrivera d’être testé par un chasseur de tête travaillant pour la direction du personnel de l’entreprise où vous souhaitez être embauché : celui-ci évaluera votre profil en utilisant l’analyse morphopsychologique.
Carleen Binet est psychologue de formation et fut l’élève du Dr Corman, président de la société française de morphopsychologie et directeur de l’hôpital psychiatrique de Nantes. Elle nous explique que « la morphopsychologie est issue de la rencontre entre biologie et psychologie » ; qu’elle « s’appuie sur une démarche scientifique » visant à montrer « le principe du parallélisme du psychique et du physique, comme manifestation d’une unité fondamentale de l’être ». Les Anciens avaient déjà tendance à associer la beauté du visage et du corps à la perfection de l’âme : ainsi, les Grecs estimaient naturels que gouvernassent les « Kaloï Kagathoï », les beaux et les bons, et les Romains nous ont légué leur fameux proverbe, « mens sana in corpore sano », un esprit sain dans un corps sain. D’ailleurs, une annexe rappelle les origines de la démarche morphopsychologique, et l’on y cite le traité de physiognomonie d’Aristote.
Ce livre est un ouvrage de vulgarisation, mais il comporte un abondant vocabulaire spécialisé, et des exemples de combinaison nombreux des facteurs observables : « la morphopsychologie est globale. Elle se réfère toujours à la totalité de l’être, (…) un trait du visage ne veut rien dire par lui-même (…). » Il ne sera donc pas fait ici un résumé de ce qui n’est de l’avis de l’auteur lui-même qu’un ABC, et qui pèse déjà ses 500 pages ! Non, c’est plutôt la problématique soulevée par cette discipline qui nous intéressera.
D’abord, C. Binet laisse entendre que notre visage est le reflet d’un parcours, de ses accidents et de ses joies : « la morphopsychologie est dynamique car elle rend compte de l’évolution des traits et de la psyché, qu’elle soit instantanée comme dans la mimique ou à longue échéance dans le cours de la vie ». Elle prend d’ailleurs des exemples de célébrité, dont les traits ont pu évoluer au cours de leur carrière : « au cours de la vie, si notre vie est épanouissante, le visage va se dilater, les muscles plus sollicités vont élargir les os de la face et c’est ainsi que sans prendre forcément du poids, les visages peuvent se dilater comme celui de Franz Liszt par exemple [gravure à l’appui]. Par contre, si la vie est dure et pénible, les forces de rétraction vont alors devenir prépondérantes et le visage de la personne va se rétracter, s’amenuiser pour ne pas être mangée toute crue (…). Le concept de maturité entre aussi en jeu dans cette loi d’évolution. En effet, les traits enfantins qui rendent les enfants et les jeunes gens si mignons, mais aussi si naïfs et vulnérables devant la vie, doivent céder le pas au cours de l’éducation vers une prise en charge progressive de la personne par elle-même. En effet, à l’enfance on peut associer les traits de la Dilatation, du Modelé Rond et de l’ouverture des Récepteurs (en particulier du petit nez retroussé) qui donnent une grande perméabilité aux informations et aux sensations, beaucoup de souplesse d’adaptation, d’optimisme et d’extraversion. A l’adolescence la Rétraction Latérale va apporter le dynamisme et l’impulsivité avec la Projection Dynamisante du profil, le nez devenant plus grand, et les Récepteurs toniques. C’est avec les difficultés que va naître la Rétraction Frontale : l’affermissement des traits et donc la capacité de contrôler, et son environnement et soi-même… » C’est en somme ce que Céline disait lorsqu’il affirmait qu’on mettait toute sa vie à façonner sa « grimace ». Par ailleurs, C. Binet nous affirme que les lois de la morphopsychologie sont « universelles » et la discipline « est applicable à toutes les ethnies ». Suit un petit dessin de trois représentants des trois grandes races, d’ailleurs fort différents les uns des autres.
Mais inversement, C. Binet dit que « notre visage est le point de rencontre entre notre patrimoine génétique, notre hérédité (inné) et le milieu dans lequel nous sommes nés et qui nous a élevé (l’acquis), nous a formé au sens propre du terme. C’est de l’alliage ou de l’opposition entre ces forces que se sont formés notre caractère et notre visage, qui se trouve à l’interface entre l’inné et l’acquis, le psychologique et le somatique » ou encore « le visage est l’interface entre notre patrimoine génétique et ce que notre éducation, notre culture en font ». Ainsi, le propos a nettement glissé par rapport à la proposition de départ.
D’une pâte indifférenciée, nous nous construirions une « gueule », reflet d’un caractère forgé par les vicissitudes de la vie ; ou bien héritiers des gènes de nos ancêtres, nous leur ressemblerions beaucoup, et cela quelque soit en fait notre parcours. Acquis ou inné ? Vieux débat…
Pour terminer, et en guise de réponse, nous allons nous amuser à comparer les analyses de C. Binet aux observations des anthropologues, qui eux en tiennent pour la race et donc pour l’inné.
C. Binet nous enseigne que le visage peut-être divisé en trois zones, le cérébral (du haut du crâne aux yeux) « qui communique directement avec le cerveau et le système nerveux central » est celui du « penser » ; l’affectif (des yeux à la bouche) « qui communique avec l’appareil respiratoire où sont aussi placé le cœur, le plexus solaire, le diaphragme » est celui de l’ « aimer », et l’instinctif (de la bouche à la pointe du menton) « qui communique avec la partie basse du corps (nutrition, excrétion, sexualité) » est celui du « faire ». Aussitôt, nous nous référons à H.V. VALLOIS, Les races humaines, et nous lisons que « chez certaines races, en particulier les noires, les mâchoires font saillie en avant, c’est le prognathisme », et que ce caractère est « extrêmement fort » chez « la sous-race congolaise ». C. Binet nous dresse une typologie des caractères connaissant un développement important de l’étage instinctif : avec « un Cadre dilaté», « personnalité tout d’un bloc, sans nuances et sans richesses », « possessif » ; « instinct fort », sans « Rétraction Frontale », « ne contrôle pas ses instincts » ; « avec capiton épais », en « dilatation », « chaleureux, sensuel » ; « avec des récepteurs larges » (bouche), « pulsions immédiates », « consomme avec avidité », « a besoin qu’on s’occupe de lui tout le temps » .
Par contre, le « comportement affectif » de celui dont l’étage médian est surdéveloppé sera plus « sentimental ». D’autre part, « ce qui lui importe, c’est d’avoir à conquérir ». Son « adaptation est facile », a « une mentalité de grand adolescent », « entre le louveteau et le légionnaire ». Vallois nous dit le nez est « mince et proéminent chez les Européens ». C. Binet complète la description de l’affectif par un petit encadré qui mérite d’être cité en entier : « est-ce pour cela que les peuples des « Longs Nez » comme les appelaient les Japonais ou les Indiens qui accueillirent les premiers explorateurs blancs, n’ont eu de cesse de conquérir la terre entière pour diffuser leurs idées, leur religion et leur idéologie, persuadés qu’elles ne pouvaient que faire le bonheur de ceux qui le recevraient, sans jamais écouter ce que les « heureux bénéficiaires » de tant de sollicitude en pensaient ? Sans se demander si le mode de vie qu’ils avaient développé jusque-là n’était pas plus conforme à leur mentalité, leurs conditions de vie ou leur géographie. Et ainsi, de la Chrétienté à l’Islam, de croisades en guerres saintes, du Communisme en « American way of life », les Longs Nez », pleins du prosélytisme ardent des Rétractés Latéraux, ont « converti » les peuples, en ne faisant pas vraiment dans la dentelle et la subtilité psychologique. »
Quant à la « rétraction » qui est une des lois de la morphopsychologie, elle produit les caractères suivants : « une concentration active de [la] vitalité (…). La sensibilité prévient tout danger. Il sélectionne donc avec soin les aliments, les milieux, les amis, pour ne jamais être surpris (…). La rétraction (…) est une expansion en milieu électif ». A l’appui de sa démonstration, C. Binet joint un dessin représentant le chanteur David Bowie, nordique typique. Or, Hans GÜNTHER, dans Les peuples de l’Europe, décrit ainsi le caractère psychique du nordique : « la faculté de jugement, la sincérité et l’énergie sont des caractères propres à l’homme nordique. Une certaine maîtrise sur sa propre nature lui permet d’avoir et de conserver cette faculté de jugement, de telle sorte qu’il peut plus librement faire face à ses propres problèmes et surtout aux influences étrangères. (…) Il adopte (…) une attitude pesant le pour et le contre des choses, ce qui lui donne souvent l’apparence d’un être réservé et rigide. (…) Il est toujours enclin à une prudence réfléchie et à une taciturnité, une réserve, qui, souvent, paraît aristocratique ».
Mais, doté d’un « cadre dilaté, avec mâchoire large », le sujet aura une « personnalité tout d’un bloc, sans nuances (…) [avec une] tendance à rester statique. (…) Il a une personnalité stable et rustique ». (…) Lorsque « la sthénicité de la mendibule est forte », il aura « une bonne résistance physique dans l’effort ». Ludwig Ferdinand CLAUSS, dans L’âme des races, déclare en préambule de la description de la race dalique, proche géographiquement de la nordique : « La victoire sur la force d’inertie appelle son contraire : l’affirmation de l’inertie. Existe-t-il une figure mentale dont l’essence serait l’affirmation de la force d’inertie, de la pesanteur, et dont l’expression, la traduction physique exprimerait une telle affirmation ? » Günther dit qu’ « elle donne l’impression de lourdeur et de puissance également dans son comportement psychique. Elle est caractérisée par une persévérance qui en impose, une détermination tranquille et inébranlable, le désir d’être intègre et de faire preuve de fermeté de caractère, et ignore l’agressivité, la soif du pouvoir et la folle audace. »
Traitant des disharmonies Avant/Arrière du crâne, C. Binet déclare que « chez certaines personnes, le volume occipital reste important ». Cette caractéristique est nommée dolicocéphalie par les anthropologues. Elle en conclut : « Quand c’est la partie arrière qui est plus développée, proportionnellement, la réceptivité est plus importante que l’engagement et la confrontation. (…) Il est à remarquer que les créateurs ont pour la plupart une bosse occipitale importante. » C’est une des caractéristiques de la race nordique. Vallois la décrit ainsi : « La tête est allongée (…) avec un occiput bien marqué. » C. Binet note : « chez le rétracté latéral, la zone occipitale est très réduite ». Le dessin montre un brachycéphale au visage allongé (leptoprosopie), situation que les anthropologues qualifient également de disharmonique. C. Binet déclare à ce propos : « Chez les personnes insérées dans l’action et dont toutes les forces sont engagées dans la confrontation au milieu avec emprise et combativité, c’est la partie avant qui est très développée et projetée dynamiquement. » Le type ainsi décrit est le dinarique des anthropologues. Lisons Günther, encore une fois : « Il vit plus dans le présent que le Nordique qui est prévoyant et planifie l’avenir. La hardiesse dont le Dinarique fait preuve est davantage d’ordre physique. Le vrai besoin de conquête spirituelle qui caractérise souvent les Nordiques paraît plus rare chez lui. Sa tendance à sortir de ses gonds, à s’emporter violemment et à en venir aux mains est typique (…).
On pourrait ainsi multiplier les exemples (le type alpin, ou les races d’Extrême-Orient s’y prêteraient à merveille).
Résumons-nous : ce livre nous apprend que le caractère est très lié au type physique, au point de permettre à un spécialiste exercé de lire rapidement en vous comme en un livre ouvert, d’où l’utilisation de cette spécialité dans le recrutement en entreprise ; deuxièmement, on vient de démontrer que les conclusions des morphopsychologues coïncidaient toujours avec les jugements des anthropologues, qui eux ne font que rapporter des traits culturels, donc, par définition susceptibles de changer ; comme les types physiques sont largement héréditaires, il en résulte donc que les caractères décrits par la morphopsychologie sont eux-mêmes largement héréditaires ; la notion de race ne comprend donc pas que la transmission héréditaire des caractères somatiques, mais aussi de caractères psychiques, comme l’affirmaient tranquillement les anthropologues autrefois.