Des remèdes à base d'huiles, des recettes de soins naturels, et même des conseils d'hygiène capillaire… Récemment redécouverts, des manuscrits du Haut Moyen Âge témoignent d'un souci permanent pour le bien-être physique, loin de l'obscurantisme souvent associé à cette époque.
Depuis la Renaissance et les Lumières, il est qualifié « d'âge sombre » : le Moyen Âge, associé à la superstition, l'ignorance scientifique et une médecine rudimentaire… voire absurde. Le Corpus of Early Medieval Latin Medicine (CEMLM), projet international financé par la British Academy, entend néanmoins briser ce cliché. Déjà, la production d'un nouveau catalogue de manuscrits – qui vient d'être publié en ligne ce mois de juillet 2025 – révèle que les soins de santé pratiqués avant le XIe siècle étaient plus complexes et innovants qu'estimé, allant même jusqu'à se rapprocher de certaines pratiques modernes.
Réécrire l'histoire de la médecine médiévale
Porté par un consortium de scientifiques du monde entier, le CEMLM s'est donné pour mission de recenser, éditer et interpréter des centaines de manuscrits médicaux latins antérieurs à l'école de Salerne (Schola Medica Salernitana). Si cette dernière est souvent considérée comme le début de la médecine scientifique occidentale, atteignant son apogée aux XIe et XIIe siècles, les chercheurs remettent ici en question cette chronologie.
Qu'est-ce que l'école de Salerne ?
Active dès le IXe siècle dans le sud de l'Italie, la Schola Medica Salernitana est souvent considérée comme la première école de médecine en Europe. Elle a joué un rôle majeur en réunissant savoirs gréco-romains, arabes et juifs, et en diffusant des traités médicaux largement utilisés au Moyen Âge – comme le célèbre Regimen Sanitatis Salernitanum (« Régime de santé de Salerne »), un guide d'hygiène médicale en vers latins.
À la tête de l'équipe américaine, Meg Leja, professeure associée d'histoire à l'université de Binghamton (États-Unis), étudie depuis plusieurs années la médecine et la spiritualité dans l'Europe antique tardive et médiévale. Elle insiste sur le fait que les gens du Haut Moyen-Âge « s'intéressaient à la médecine à une échelle bien plus large qu'on ne le pensait auparavant ». « Ils se souciaient des remèdes, voulaient observer le monde naturel et noter des informations partout où ils le pouvaient durant cette période [...]. »
Elle donne pour preuve les écrits en faisant état, découverts dans les marges de livres pourtant sans lien apparent avec la médecine – des ouvrages de grammaire, de théologie, de poésie.
Il est vrai que nous manquons de nombreuses sources pour cette période. En ce sens, elle est « sombre ». Mais pas en termes d'attitudes « antiscientifiques » – les [individus] étaient très intéressés par la science, par l'observation, par l'utilité des substances naturelles [...]
Détox, huiles et soins capillaires… dès l'an 900
La médecine faisait ainsi partie intégrante de la vie quotidienne. Elle n'était pas isolée dans une sphère élitiste ou religieuse. Mais le plus surprenant est sans doute que certains des traitements décrits rappellent curieusement les tendances « bien-être » qui, selon les mots de l'équipe de recherche, font aujourd'hui fureur sur les réseaux sociaux comme TikTok : traitements à base d'huiles essentielles, détox naturelles, et même soins capillaires exotiques – comme un shampoing au lézard pour rendre les cheveux plus soyeux et abondants… ou même, pour les enlever, rappelant ainsi l'épilation moderne.
Vous avez mal à la tête ? Écrasez le noyau d'une pêche, mélangez-le à de l'huile de rose et appliquez-le sur votre front, est-il donné comme exemple.
« Beaucoup de choses que l'on trouve dans ces manuscrits sont en réalité actuellement promues en ligne comme médecines alternatives, mais elles existent depuis des milliers d'années », explique Meg Leja. En outre, si ces remèdes peuvent sembler excentriques, ils révèlent une logique d'expérimentation et d'observation. L'idée d'un Moyen Âge rejetant la science semble ainsi bien lointaine.
Parmi les centaines de textes nouvellement analysés, beaucoup avaient été oubliés ou ignorés par les précédents catalogues de référence, qui se focalisaient davantage sur les figures d'autorité comme Hippocrate ou Galien. Et ce, au détriment des documents réellement utilisés au quotidien. Ainsi, ces redécouvertes pourraient quasiment doubler le corpus de textes médicaux connus pour la période antérieure au XIe siècle. Dans les années à venir, les scientifiques devraient continuer d'enrichir le projet, qui pourrait bien faire de la médecine médiévale non plus une curiosité marginale, mais un chapitre essentiel de l'histoire des soins.
Mathilde Ragot - Journaliste rédactrice web Histoire GEO.fr - 21 juillet 2025