S’il est une commémoration qui en France passe inaperçue, c’est bien celle évoquant la figure du général Metaxás. Pourtant cette commémoration peut l’être à un double titre : la naissance de Metaxás il y a 150 ans (le 12 avril 1871) et son décès il y a 80 ans (le 29 janvier 1941). Il faut dire que cette personnalité de l’histoire grecque contemporaine dérange quelque peu les schémas habituels. Alors qu’il est taxé par la gauche de « fascisme », sans sa détermination, Hitler aurait pu gagner la guerre.
Jeune officier, il se fait remarquer pour sa bravoure et son sens du commandement lors de la guerre de 1897 que mènent les Grecs contre les Turcs de l’Empire ottoman. Par la suite, il perfectionne sa formation militaire en suivant les cours de l’Académie militaire prussienne de Berlin. Il en retiendra l’impérieuse nécessité de moderniser l’armée grecque. Passé général et chef d’état-major, il démissionne de l’armée en 1920 pour se lancer dans le combat politique qu’il estime nécessaire pour résoudre les difficultés qui assaillent le pays. A cette fin, il fonde le Parti de la libre opinion, d’obédience nationaliste mais qui peine à développer son audience. Les années 1930 voient s’accentuer l’instabilité ministérielle sur fond de crise du parlementarisme entretenue par les luttes permanentes entre factions politiques rivales. La restauration de la monarchie en 1935 ne permet pas de sortir de l’impasse politicienne, d’autant plus que les communistes du KKE accroissent leur audience, notamment au Parlement où ils sont en position d’arbitre.
Le 13 avril 1936, le roi Georges II nomme Metaxás Premier ministre. L’agitation sociale entretenue par les communistes ne cesse de croître. La grève générale est prévue pour le 5 août 1936. Le 4 août, Metaxás déclare l’état d’urgence, décrète la loi martiale et suspend les principales dispositions de la Constitution, ce qui entraîne la fin des activités du Parlement et des partis. Ainsi se met en place « le régime du 4 août » qui annonce sa volonté d’instaurer « la troisième civilisation hellénique », prenant la suite de celles de la Grèce antique – Sparte demeure une référence – et de l’Empire byzantin chrétien. Ses valeurs ? La patrie, l’honneur, la famille et la religion (orthodoxe).
« Populisme confus »
Si Metaxás n’épargne pas les communistes (50 000 membres ou sympathisants du KKE auraient été arrêtés et déportés), sa priorité demeure l’amélioration de la condition ouvrière et paysanne. Un historien de gauche particulièrement hostile, Constantin Tsoucalas (in La Grèce de l’indépendance aux colonels, Maspero, 1970) parle à son égard de « populisme confus ». Certes, les grèves sont interdites et le mouvement syndical ne dispose plus d’une libre expression. Mais les mesures sociales d’inspiration « socialisantes » sont particulièrement importantes. A ce titre, elles méritent d’être rapportées : instauration d’un salaire minimum, mise en place d’une assurance chômage, semaine de 40 heures pour cinq jours de travail, création d’un congé de maternité, obtention de deux semaines de congés payés pour les salariés, renforcement drastique des mesures d’hygiène et de sécurité dans les entreprises. Le monde agricole n’est pas oublié : remises de dettes pour les fermiers et prix minimum garantis pour la vente de nombre de produits agricoles. Il faudrait aussi parler du vaste programme de modernisation des infrastructures du pays.
Pour cette « révolution nationale », Metaxás s’appuie en priorité sur les nouvelles générations rassemblées en une Organisation nationale de la jeunesse (EON). Nous sommes là en présence d’un régime autoritaire s’inspirant de l’Estado novo du docteur Salazar et non du fascisme ou du national-socialisme. Il n’y a dans le nouvel Etat grec ni parti unique ayant vocation à rassembler les masses, ni antisémitisme, ni peine de mort pour les opposants, le plus souvent exilés dans les petites îles de la mer Egée. Il n’y a également aucune volonté d’expansionnisme dans le « métaxisme ». A la différence de l’impérialisme de Mussolini, celui-ci rêvant de devenir la puissance dominante en Méditerranée.
Face au Duce
Le Duce a préparé un ultimatum inacceptable pour les Grecs : l’occupation par l’armée italienne des sites stratégiques du pays. La réponse de Metaxás à l’ambassadeur fasciste Grazzi est demeurée célèbre : « Mais alors, nous avons la guerre » (prononcée en français, langue diplomatique par excellence). Elle fut suivie d’un laconique « non » aux prétentions italiennes. C’est pourquoi « le jour du Non » (Oxi) est actuellement l’une des deux fêtes nationales grecques avec le jour de l’indépendance.
Lorsque le 28 octobre 1940 à l’aube, les troupes italiennes, massées en Albanie, envahissent la Grèce, c’est un peuple unanime (à l’exception des communistes qui refusent de défendre « Metaxás et l’impérialisme anglais » ; avec cette déclaration du 6 janvier 1941 : « Si le peuple est avec Metaxás, le Parti communiste grec doit alors aller contre le courant. ») ainsi qu’une armée galvanisée par ses chefs qui permettent à la Grèce d’obtenir la première victoire remportée sur les forces de l’Axe. En effet, non seulement l’offensive italienne est contenue avec succès, mais de vives contre-attaques obligent les troupes de Mussolini à battre en retraite. A la fin de l’année 1940, le front a été repoussé à 60 kilomètres à l’intérieur du territoire albanais. 16 divisions grecques ont immobilisé 27 divisions italiennes, en dépit de l’écrasante supériorité de ces dernières en matière d’équipement, d’artillerie et d’aviation. A la frontière entre la France et l’Italie, des résistants français ironisent en plaçant cette inscription : « Soldats grecs, n’avancez plus. Ici commencent les frontières de la France. »
Metaxás meurt à Athènes le 29 janvier 1941. Il ne verra pas son pays envahi en avril 1941 par les Allemands venus porter secours aux Italiens. Mais la marche victorieuse d’Hitler à travers les Balkans eut cependant pour lui une conséquence fatale : elle remit d’un mois précieux l’attaque contre l’Union soviétique.
Philippe Vilgier