Avocat à la Cour et docteur en droit, spécialiste en droit fiscal, Thierry Bouclier, qui est l'auteur de plusieurs biographies parues dans la collection Qui suis-je? aux éditions Pardès (Alphonse de Châteaubriant, A.D.G., Drieu La Rochelle) et Tixier Vignancour (éditions Perrin) nous offre une remarquable biographie de Jacques Benoist-Méchin, un des plus étonnants personnages de la Collaboration, et sans doute le plus intelligent. Sur sa pierre tombale est gravée cette épitaphe qui résume toute sa vie et son immense talent multiforme: « Ci gît un cœur qui aima par-dessus tout les armées, les jardins, et la musique ».
Les larmes de l'enfance
Le baron d'Empire Jacques Benoist-Méchin nait le 1er juillet 1901. Son père Gabriel appartenait à la grande bourgeoisie française. Abandonnant le confort bourgeois, il devint aventurier et parcourut des contrées lointaines encore très hostiles. Il entreprit, sur ses propres deniers, un voyage extraordinaire à la tête d'une caravane de cent cinquante personnes où il visita Ceylan, la Chine, où il croisa l'impératrice Ts'eu-hi, le Japon, la Sibérie, la Mandchourie et bien d'autres contrées exotiques. Il revint de son voyage, raconte Benoist-Méchin dans ses Souvenirs, à la fois socialiste et raciste ! Cet homme paradoxal fréquenta le prince de Galles mais aussi Jean Jaurès. La prodigalité de Gabriel ne va pas tarder à mettre sa famille dans une situation financière difficile. Jacques grandit dans l'ombre d'un père âgé (il a cinquante-cinq ans) et malade. Thierry Bouclier note que la souffrance engendre rarement la tendresse. Jacques s'apercevra vite que son père ne l'aime guère. Celui-ci décide d'envoyer son fils en pension en Angleterre afin de l'endurcir et de le séparer de sa mère, dont il l'estime trop proche. Retour en France l'année suivante: il devra loger en semaine au domicile d'un de ses professeurs, une femme que son veuvage a rendu aigrie et acariâtre. A l'âge de onze ans, il annonce à son père qu'il veut devenir musicien. Réponse de celui-ci: « Mon fils, tu veux donc être domestique? ». Dans un accès de colère envers son épouse, il lui dit: « Toi et ton fils, vous avez pourri ma race! » Le rempart d'incompréhension entre les deux hommes s'écroulera cependant, raconte Jacques Benoist-Méchin, avec l'émotion suscitée par la déclaration de guerre, « jour sombre pour la France et l'Europe ». Le futur ministre du Maréchal, trop jeune pour faire la guerre, va poursuivre ses études. Il s'inscrit à la Sorbonne pour préparer une licence d'allemand.
Les jardins, la musique, la littérature
Maitrisant parfaitement l'allemand et l'anglais, il pourrait prétendre à une carrière de diplomate. Mais il ne songe qu'aux fleurs, à la musique et à la littérature. Il constate qu'en matière de jardins, comme dans de multiples domaines, les civilisations ne se valent pas toutes, et que certaines sont incontestablement supérieures aux autres. Sur le plan littéraire, Benoist-Méchin a eu le rare privilège, dès sa dix-huitième année, de fréquenter le gratin: Romain Rolland, Paul Claudel, André Gide, Jules Romains, Jacques Chardonne et Saint-John Perse, entre autres. Mais surtout, il rencontre (il a vingt et un ans) en juin 1922 Marcel Proust, qu'il considère être le plus grand. Leur dialogue durera deux heures et contribuera à l'éclosion de sa vocation d'écrivain. Quant à la musique, sa passion dès le plus jeune âge, son père considérait qu'elle était « le plus coûteux de tous les bruits » et qu'elle n'était pas une activité suffisamment virile. Jacques va cependant intégrer la Schola Cantorum, la prestigieuse école de musique fondée en 1894 par le compositeur Vincent d'Indy. Celui-ci, qui reconnait son talent, ira jusqu'à lui dédier, en 1919, son opéra La Légende de saint Christophe. Le compositeur juif Darius Milhaud, avec lequel il se lie d'amitié, dira qu'il est possesseur d'un « lyrisme indéniable ». Paul Claudel, avec lequel il correspond pour un projet d'opéra tiré de sa pièce La Ville, lui écrit: « Serez-vous le grand musicien catholique, dans tous les sens du terme, que nous attendons? ». Mais il lui reste à effectuer son service militaire. Le voici en Allemagne où, parlant parfaitement l'anglais et l'allemand, il est détaché à l’état-major de l'armée du Rhin. Il découvre, effrayé, les conséquences du honteux traité de Versailles, ce diktat imbécile qui mena à la ruine de l'Europe: la misère, la faim, les humiliations, mais aussi, raconte-t-il, la vitalité de ce peuple vaincu qui, accablé par la souffrance et les vexations, refuse d'être brisé. Benoist-Méchin est, de par ses fonctions, un des premiers à être informé de la constitution d'un nouveau parti, à Munich. Son nom semble anodin: Parti national-socialiste ouvrier allemand. Pour les services anglais, ce parti n'a aucun avenir. Il ne s'agit que d'une bande d'agitateurs, sans expérience politique, dirigés par un inconnu: un certain Adolf Hitler. Mais son père meurt, laissant son épouse et son fils dans une situation financière extrêmement délicate. Il lui faut trouver un travail rémunérateur. ll va se tourner vers le journalisme et intégrera l'agence parisienne de l'International News Service dont le patron est l'extravagant William Randolph Hearst, mégalomane, paranoïaque et fantasque, qui servira de modèle dans le célèbre film d'Orson Welles, Citizen Kane. Hearst va charger Benoist-Méchin de lui acheter une cathédrale en Espagne, qu'il rapatriera aux Etats-Unis pour y installer sa salle à manger ! Il souhaite la présence de 32 cloches que Benoist-Méchin trouve dans les Flandres. Cette expérience de quelques mois suffit à le vacciner contre les Etats-Unis, dont il revient « dégoûté ». Il confiera plus tard: « Rien ne me plaisait en Amérique », dénonçant cet « optimisme béat », notant que « le bien c'est d'être riche, le mal d'être pauvre, que quelqu'un de pauvre est forcément mauvais ». La dernière mission que lui confia Hearst a consisté à rendre visite le 14 juillet 1926, à Gabriele D'Annunzio. Il dira plus tard: « Je me demande un instant si D'Annunzio n'est pas un fou qui se prendrait pour D'Annunzio », notant que c'est un mégalomane extraordinairement talentueux, qui s'est forgé un rêve insensé. De retour en France, il va poursuivre sa carrière de journaliste dans divers journaux, dont Le Petit Journal qui sera, après son départ, celui du Parti social français du colonel de La Rocque.
Fascination pour l'Allemagne nationale-socialiste
Thierry Bouclier relève que les années 1930 marquent le début de la deuxième vie de Jacques Benoist-Méchin. L'esthète dit-il, féru de musique, de jardins, de littérature, parait s'éloigner et l'historien surgit avec sa magistrale Histoire de l'armée allemande qui, lors de sa sortie, est unanimement salué par la critique. Le biographe nous livre une information stupéfiante. Alors que Jacques Benoist-Méchin va être condamné à mort, à la Libération, le général De Gaulle fera commander en novembre 1945 cent vingt exemplaires du livre, destinés à former ses officiers d'état-major. Benoist-Méchin se laisse éblouir par la révolution qui embrase l'Allemagne et ce partisan de la réconciliation franco-allemande va embrasser la vie politique en rejoignant le Comité France-Allemagne et le Parti populaire français de Jacques Doriot. Il va assister en 1933 à la grandiose cérémonie des obsèques du vieux maréchal Hindenburg à Tannenberg et notera: « J'assiste à la relève du IIème Reich par le IIIème ». L'Allemagne nationale-socialiste lui « apparaît extraordinaire de force et de jeunesse ». Il va aussi assister en 1936, ébloui, aux jeux olympiques de Berlin, en tant que membre fondateur du Comité France-Allemagne. Ce Comité a été créé à l'initiative d'Otto Abetz, francophile et pacifiste, qui croit profondément à la réconciliation franco-allemande et qui, ambassadeur du Reich en France, jouera un rôle essentiel sous l'Occupation. Benoist-Méchin va adhérer au Parti Populaire français (PPF) à sa fondation en 1936, comme le firent d'autres intellectuels tels Pierre Drieu La Rochelle, Alfred Fabre-Luce, Bertrand de Jouvenel, Abel Bonnard, Alexis Carrel, Paul Chack. Il déchante rapidement. Il dira: « Très vite je n'y ai plus cru ». Sa déception survient lors de la crise de Munich en septembre 1938: « Ils ne savaient pas s'ils étaient munichois ou anti-munichois. Pour un parti qui prétend prendre en main les destinées du pays, c'est un peu léger ». Il porte à l'égard de Doriot ce jugement lapidaire et quelque peu sibyllin: « Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois ». On aimerait en savoir plus. Toujours est-il qu'il écrira: « Il ne manquait à ces hommes, pour transformer en puissance leurs qualités intrinsèques, que d'être cimentés par une doctrine et commandés par un chef »: un jugement d'une curieuse sévérité à l'égard de Jacques Doriot...
La guerre. Les trois erreurs de Hitler
Le 31 août 1939, Jacques Benoist-Méchin reçoit son ordre de mobilisation. Au cours des mois d'attente avant l'offensive allemande, il constate l'état de déliquescence de la France, l'apathie générale, l'absence de combativité, la médiocrité des officiers, l'inaction, le désordre et l'ennui, la pagaille, les soldats qui boivent plus que de raison. A défaut de se battre, il garde un hangar... Lucien Rebatet décrira magnifiquement cette déchéance dans Les Décombres. La France va s'effondrer. Le 14 juin, les troupes allemandes entrent dans Paris. Le voici prisonnier: l'ennui, la saleté, la faim, les rumeurs et les fausses nouvelles. Dans Soixante jours qui ébranlèrent l'Occident, une somme prodigieuse de 1500 pages, parue en 1956, il démontrera que la plus grande défaite militaire de l'histoire de France était écrite à l'avance. Le livre évoque aussi les trois « erreurs capitales » commises par Hitler, expliquant sa défaite finale. La première est l'arrêt des blindés devant Dunkerque. Deux cent quinze mille Britanniques seront évacués, les Français étant sacrifiés. La flotte britannique de Dunkerque sera en 1940 ce que les taxis de la Marne auront été à la France en 1914. La seconde erreur est l'armistice qui laisse la moitié de la France libre et maintient la souveraineté française sur l'ensemble de l'Empire. Churchill lui-même dira: « Hitler aurait dû aller en Afrique du Nord, s'en emparer pour aller sur l'Egypte. Nous aurions eu alors une tâche bien difficile ». Sans armistice, probablement pas de débarquement allié en Afrique du Nord en novembre 1942 et pas de débarquement en Provence en août 1944. La troisième erreur réside dans les tergiversations de Hitler qui aurait dû opter, soit pour une guerre totale contre l'Angleterre, avec notamment un débarquement, quel qu'en soit le prix, ou une paix générale et généreuse avec les pays conquis. Il n'a fait ni l'un, ni l'autre. Le livre prodigieux de Benoist-Méchin se termine par une série de portraits, tous plus pertinents les uns que les autres, sur plus de trois cent pages, des principaux protagonistes de ces soixante journées. A lire absolument !
La rencontre avec Hitler
De retour à Paris le 15 août 1940, Benoist-Méchin vit sa première déception. Otto Abetz lui apprend que tous les prisonniers, un million cinq cent mille hommes, seront transférés en Allemagne. Après l'entretien de Montoire, entre Hitler et le Maréchal, il est chargé par ce dernier de s'occuper des prisonniers de guerre, une délégation diplomatique devant s'installer à Berlin. Une tournée des stalags et des oflags est programmée. Mais voici qu'une révolution de palais s'est déroulée à Vichy. Le 14 décembre, Laval est renvoyé par le Maréchal. Benoist-Méchin tentera, à la demande de Fernand de Brinon, de jouer un rôle de « monsieur bons offices » entre les deux hommes. Il est au demeurant reconnu pour ses talents de négociateur et sera envoyé à Berlin pour renouer le dialogue inauguré à Montoire. Le 11 mai 1941, accompagnant l'amiral Darlan, il va rencontrer Hitler dans sa résidence privée de Berchtesgaden, en Bavière. Il vivra une profonde déception. Il est frappé par le visage du Führer qui exprime une grande tristesse. Celui-ci lui apparaît obnubilé, de manière totalement irrationnelle par l'Angleterre et complètement désintéressé par la France. Il écrira: « Parviendrait-il à dépasser son rôle de César germanique pour s'élever à celui de fédérateur de l'Europe ? A voir la façon dont il s'y prenait, il était permis d'en douter ». Il songe à donner sa démission à l'amiral Darlan. Il est désormais convaincu que la politique de collaboration à laquelle il a tant cru est une impasse. Le soir même de l'entretien, il prend connaissance du lourd secret qui a pesé sur Hitler tout au long de la journée: Rudolf Hess, l'ami, le fidèle, le dauphin de Hitler s'était, dans une tentative insensée de faire la paix avec l'Angleterre, envolé vers l'Ecosse sans que personne n'en sût rien.
Benoist-Méchin, ministre du Maréchal
Le 22 juin 1941, l'Allemagne déclenche la guerre contre l'URSS. les partis collaborationnistes vont créer la Légion des volontaires contre le bolchevisme (LVF). L'hiver 1941 sera tragique pour les légionnaires mal préparés et sous-équipés. Leur bilan est plus que mitigé. Souvent méprisés par les Allemands, ils font figure d'aventuriers dévoyés et de traîtres patentés aux yeux de nombreux Français. Nommé secrétaire d'Etat auprès de Pierre Laval, redevenu chef du gouvernement, partisan d'une collaboration militaire avec l'Allemagne, il sollicite le regroupement des bataillons de la LVF, très liés aux partis politiques, dans une Légion tricolore, en uniforme français, placée sous le contrôle du gouvernement. Benoist-Méchin fera partie du comité d'honneur, aux côtés de Fernand de Brinon, Abel Bonnard et Paul Marion, mais Hitler l'interdira, estimant qu'elle constitue une violation de la convention d'armistice. Une déception de plus pour Benoist-Méchin qui réalise que « l'idée d'une croisade européenne pour la défense du Continent n'était qu'un thème de propagande » de l'Allemagne, et qui finit par quitter le gouvernement. Le bilan de Benoist-Méchin n'est nullement négligeable. Fin négociateur, il a obtenu le retour de quatre-vingt mille prisonniers anciens combattants de 1914/1918, l'assouplissement de la ligne de démarcation et la réduction des frais d'occupation. Il sauvera aussi la vie d'une centaine d'otages. Il va retourner à ses activités les plus chères, voit peu de monde, s'occupe de sa mère. Une vie paisible marquée cependant par cet extravagant dîner à l'ambassade d'Allemagne avec Otto Abetz, Drieu, le peintre Gen Paul et Louis-Ferdinand Céline qui vitupère contre les juifs, les Allemands et Hitler...
La fin. La condamnation à mort
C'est bientôt la fin. L'arrestation, le 22 septembre 1944, et la prison. Benoist-Méchin dira: « Ce qui frappe d'abord à la guerre, c'est le bruit. Ce qui frappe d'abord dans la prison, c'est l'odeur, un mélange visqueux, crasse, urine, merde, suint, qui imprègne les vêtements et finit par vous pénétrer ». Il y côtoie le bottin mondain et les bas-fonds. François Brigneau, admiratif, le décrit ainsi: « L'homme le plus entouré est Jacques Benoist-Méchin. Il a toujours la même allure princière. L'œil brillant d'intelligence et de curiosité derrière ses lunettes sans monture, le cheveu gris, le nez fin dans un visage émacié, souriant et distant ». Son procès s'ouvre devant la Haute-Cour de justice le 29 mai 1947. il est accusé « d'avoir entretenu, en temps de guerre, des intelligences avec une puissance étrangère et d'avoir sciemment apporté une aide à l'Allemagne et ses alliés et porté atteinte à l'unité de la nation, à la liberté et à l'égalité des Français ». Son sort est scellé: reconnu coupable des crimes de trahison et d'indignité nationale, ce sera la peine de mort. Le mardi 4 août est son dernier matin. Mais la mort le boude. Le président Vincent Auriol l'a gracié, et sa peine a été commuée en travaux forcés à perpétuité. Une nouvelle vie commence.
La découverte de la civilisation arabe
Benoist-Méchin va découvrir avec éblouissement, grâce à son avocat, Jean-Louis Aujol, la civilisation arabe que ce dernier connait bien. Il va s'atteler à la rédaction de la biographie du fondateur de la Turquie moderne, Mustapha Kemal, et de celle de l'unificateur de l'Arabie, Ibn-Séoud. Benoist-Méchin, bénéficiant d'une remise de peine, retrouve la liberté le 24 décembre 1953. Il va écrire de nombreux ouvrages décrivant la civilisation arabe sous un angle historique, géographique, religieux et politique. Thierry Bouclier note que « ses ouvrages sont imprégnés des senteurs de l'Orient. Les dunes et le désert. Les couleurs du soir et les reflets du matin. Le soleil et le vent. La route de Jéricho et les collines d'Amman, Jérusalem et les Saint-Sépulcre. Les mosquées et les mausolées. Les vergers de Syrie et la mer du Koweït. La beauté des palais et l'odeur des marchés. La puissance des princes et le charme du petit peuple ». Benoist-Méchin est subjugué par l'Orient. Il constate le réveil des peuples du Proche et du Moyen-Orient. Dans sa biographie de Mustafa Kemal, il rapporte les propos de celui-ci au sujet de l'islam: « Depuis plus de cinq cent ans, les règles et les théories d'un vieux cheikh arabe et les interprétations abusives de générations de prêtres crasseux et ignares ont fixé, en Turquie, tous les détails de la loi civile et criminelle. L'Islam, cette théologie absurde d'un Bédouin immoral, est un cadavre putréfié qui empoisonne nos vies ». Le succès de ses livres est foudroyant. A sa sortie de prison, l'auteur est unanimement considéré comme l'un des meilleurs spécialistes du monde arabe. En 1958, accompagné d'Ifrène Hacène, son jeune interprète d'origine algérienne (qu'il adoptera et dont il fera son héritier...), il va réaliser un reportage au Moyen-Orient qui paraîtra sous forme de livre, Un printemps arabe: une véritable tournée diplomatique qui lui permet de rencontrer trois rois, deux présidents de la République, trois princes héritiers, six chefs de gouvernement, vingt-deux ministres, trente-cinq émirs et une cinquantaine d'ambassadeurs. Il sera reçu notamment par le colonel Nasser pour lequel il ne dissimule pas son admiration. Celui-ci soutient l'indépendance de l'Algérie avec cet argument: « vous ne pouvez pas empêcher neuf millions de musulmans de vivre en Algérie. Et songez qu'ils seront trente-sept millions à la fin du siècle ». Et d'ajouter: « vouloir écraser une révolte armée par une armée classique est une opération aussi malpropre et aussi longue que de vouloir manger sa soupe avec un couteau ». On ne parlait pas encore de guerre asymétrique, mais l'avenir allait malheureusement donner raison au Raïs égyptien, qu'il s'agisse notamment du Viêt-Nam ou de l'Afghanistan. Benoist-Méchin va acquérir une stature internationale. En octobre 1958, Nasser ira jusqu'à lui demander de remettre un message au général De Gaulle. L'historien accepte de transmettre le pli mais refuse, en souvenir de ses amis persécutés et fusillés à la Libération, de rencontrer personnellement De Gaulle. Un chef d'Etat arabe le décevra tout particulièrement: le colonel Kadhafi dont le discours prononcé à la conférence des pays non-alignés l'enchante, mais qui lui explique lors de leur entretien qu'il conviendrait peut-être que la France devînt musulmane. Il dira de lui: « J'ai compris que cet homme avait deux lobes de cerveau bien meublés. Le premier lobe avec le Coran, le second avec l'instruction militaire, mais pour le reste, rien ! »
« Le Rêve le plus long de l'Histoire »
Benoist-Méchin va dépeindre, dans sept biographies, « Le Rêve le plus long de l'Histoire », celui de l'union de l'Occident et de l'Orient, porté par des hommes d'exception, capables de changer le cours de l'Histoire: Lawrence d'Arabie ou le Rêve fracassé, Alexandre le Grand ou le Rêve dépassé, Cléopâtre ou le Rêve évanoui, Lyautey l'Africain ou le Rêve immolé, L'Empereur Julien ou le Rêve calciné et, enfin, sans doute le plus beau livre de tous, Frédéric de Hohenstaufen ou le Rêve excommunié. Des livres magnifiques écrits par un grand historien et un remarquable conteur. A la fin de sa vie, il se montrait quelque peu désabusé. Il dira: « Il y a une Europe des porcs, des moutons, des harengs, des langoustines, mais on cherche en vain une Europe des Européens. Quant au monde arabe, il s'en va à la dérive, plus que jamais déchiré par les querelles intestines ».
Jacques Benoist-Méchin s'est éteint chez lui, à Paris, le 24 février 1983.
Robert Spieler – Rivarol 2021
« Benoist-Méchin », éditions Pardès, 128 pages, 12 euros,