Anaconda, ou la génèse du système nord Américain à tuer les populations civiles
« Notre méthode de faire la guerre diffère de celle de l'Europe. Nous ne combattons pas des armées ennemies, mais un peuple ennemi, jeunes et vieux, pauvres et riches, tous doivent sentir la poigne de fer de la guerre, aussi bien que les militaires. Dans ce sens, ma campagne en Géorgie fut un éclatant succès ».
(Lettre du général Sherman au général Grant, Fin janvier 1865)
La date de cette lettre ainsi que le nom de son auteur doivent frapper particulièrement chaque Européen.
Comment un général américain a-t-il pu écrire une telle monstruosité et précisément à cette époque où les esprits et les cœurs les plus nobles de l'Europe s'efforçaient de soumettre la guerre à des principes plus humains et plus moraux.
Mais en Amérique, le général William Tecumseh Sherman, âgé de quarante-cinq ans, né dans l'Ohio, fils d'un avocat d'origine anglaise, et puritain, inventa une méthode de guerre, contre le peuple ennemi, contre la population civile. Sherman est l'inventeur de la stratégie dite de la « terre brûlée ». Voilà sa doctrine :
« La où je suis passé, la guerre n'est plus, puisqu'il n'y a plus de vie ! » Elle ne signifie rien moins que l'anéantissement de la morale dans la guerre.
Les cruautés du marquis de Sade, les meurtres de Jack l'éventreur n'ont jamais rien suggéré aux masses.
Mais la stratégie de Sherman est devenue une conception classique. Après ses actions terroristes qu'il fit exécuter lui-même comme général, Sherman fut nommé commandant en chef de l'armée des États-Unis.
Sa méthode est devenue l'idéal de l'Amérique. Et elle a d'abord contaminé le monde anglo-saxon.
Vers la fin du siècle dernier, le maréchal de Moltke prédisait que dans les guerres futures ce ne seraient plus les armées, mais les peuples qui se combattraient. Dans la première guerre mondiale, les Américains n'eurent pas le temps de présenter aux Européens l'application de la doctrine de Sherman. Mais leur intervention en Europe au cours de la seconde guerre mondiale, avec le bombardement aérien contre les villes ouvertes et les monuments culturels a montré le vrai visage de l'Amérique, sans parler, depuis, des agressions contre des pays tiers et bien sûr encore, aujourd'hui, contre l'Irak et hier la Serbie.
La stratégie de Sherman est celle des chefs d'armées sans succès et sans gloire. Qu'on se rappelle ses mots en examinant ses méthodes. Sherman ne remportait pas de succès, ce qui ne veut pas dire qu'il n'avait pas de talent.
C'était son destin de devoir toujours se battre contre des adversaires meilleurs que lui. Jamais il ne remportait une victoire quand il se trouvait en face de troupes ayant la même force que les siennes. La plupart du temps, il combattait contre des troupes plus faibles et fut quand même vaincu par une meilleure stratégie inspirée des exemples européens.
Ce ne fut que sur une faute de son adversaire et non par ses propres qualités qu'il obtint sa plus grande victoire militaire : l’occupation de la ville d'Atlanta (Ceux qui jugent trop vite objecteront que pour avoir du succès, il faut toujours que l'adversaire commette une faute. Mais ce n'est pas exact. Les grands chefs militaires ont remporté leurs triomphes contre des adversaires sans défauts).
Dans l'ordre du jour adressé à ses troupes après l'occupation d'Atlanta, le 8 septembre 1864, Sherman avoue : « Nous devons admettre que l'ennemi nous a résisté d'une manière habile et tenace; à la fin, il a commis la faute que nous attendions depuis longtemps: il a détaché sa cavalerie beaucoup trop loin sur nos arrières pour pouvoir la ramener ».
Comme nous l'avons déjà dit, le général ennemi devait payer sa faute par la perte d'Atlanta, capitale de la Géorgie qu'il abandonna après avoir reconnu son erreur. Sherman n'y trouva que des blessés incapables de se défendre. Cet homme ambitieux était las de ses piètres succès. Alors il continua la guerre en suivant une idée qui depuis longtemps lui trottait dans la tête.
Nous parlons ici de la guerre de Sécession. Les Romains appelaient « sécessio » les efforts d'émancipation, de scission.
Mais tout ce que l'Europe a pu voir dans ce genre de guerres fut surpassé de beaucoup par celle de Sécession des États du Nord des U.S.A. contre ceux du Sud. La raison officielle était la suppression de l'esclavage. Les États du Nord voulaient rendre la liberté aux esclaves noirs et le résultat fut, cependant, qu'à la fin de la guerre, 100.000 noirs combattaient contre les armées de leurs libérateurs.
Mais laissons de côté les préliminaires ; le tempérament et le fanatisme religieux firent de cette guerre l'un des massacres les plus sanglants de l'histoire du monde. Sur mer et sur terre, la guerre prit des formes absolument nouvelles.
On employa les champs de mines et les premiers cuirassés apparurent. L'historien suisse Bircher constate :
« Les armes ne pouvaient pas emporter la décision. Et la guerre ne fut gagnée par les États du Nord que par la stratégie de la terre brûlée du général Sherman. »
La fin d'Atlanta, cette belle ville sur les collines de Géorgie, marqua le commencement d'une ère nouvelle.
Le 5 septembre 1864, Cogswel, commandant d'Atlanta nommé par Sherman, ordonna aux habitants de quitter la ville.
L'ordre était ainsi rédigé : « Toutes les familles habitant Atlanta dont les hommes sont au service des confédérés ou se sont rendus dans le midi, doivent quitter la ville dans un délai de cinq jours. On les laissera passer vers le sud, à travers les lignes. Tous les citoyens venus du nord qui n'appartiennent pas à l'armée ou qui ne sont pas autorisés par les généraux Sherman ou Thomas doivent quitter la ville dans le même temps. Quiconque sera rencontré dans la ville après l'expiration de ce délai sera emprisonné. »
D'abord personne ne voulut croire à l'authenticité de cet ordre car personne, excepté Sherman, n'en connaissait la raison.
Et qui aurait pu soupçonner que cet ordre était le premier pas vers un chemin qu'aucun homme n'avait encore emprunté.
Le général Hood, l'adversaire de Sherman, fut avisé par lettre de la mesure prise, en même temps qu'on lui offrait un armistice. Hood répondit : « Monsieur, j'ai reçu votre lettre d'hier qui m'a été transmise par les citoyens Boll et Crew.
Vous y stipulez : C'est dans l'intérêt de l'Union que les habitants d'Atlanta quittent la ville. N'ayant pas le choix, j'accepte la proposition d'un armistice de dix jours et je hâterai, autant que possible, le transport des habitants d'Atlanta vers le midi. Mais permettez-moi de vous dire que cette mesure sans précédent surpasse, en cruauté recherchée et calculée, tout ce que l'histoire nous apprend. Au nom de Dieu et de l'humanité je proteste contre l'expulsion des femmes et des enfants d'un brave peuple de leurs maisons et de leurs foyers. »
Les habitants d'Atlanta joignirent leur protestation à celle du général Hood.
Le général Sherman répondit aux citoyens protestataires de la même manière qu'au général Hood. Dans sa longue réplique, il précisait :
« Messieurs, J'ai reçu votre lettre du 11 courant me demandant d'annuler mon ordre. Je l'ai lue avec attention et je crois en toutes les souffrances mentionnées par vous qui seront la conséquence de son exécution. Malgré cela, je ne le révoque pas...
Pour terminer la guerre, nous devons anéantir l'armée des rebelles qui se sont révoltés contre la loi et la constitution.
Et pour les anéantir, nous devons pénétrer aux endroits où ils fabriquent leurs armes, leurs outils et où ils accumulent leurs provisions. Atlanta ne peut servir à des buts militaires et être, en même temps, un lieu sûr pourles familles. Alors on n'y trouvera plus de commerce, plus d'industrie, plus d'agriculture. Sous peu, ce sera la pénurie qui forcera les familles à émigrer. Pourquoi ne pas partir dès maintenant où tout a été préparé et où le transport est facilité, au lieu d'attendre que le feu des deux armées renouvelle les scènes du mois dernier.
Je ne puis vous indiquer mes projets, mais vous pensez bien que l'armée ne restera pas toujours tranquille ici, et je puis vous dire que mes plans rendent nécessaire votre éloignement que, dès aujourd'hui, je veux vous faciliter par tous les moyens. »
Sherman n'avait confié ses plans qu'à un seul homme: au général de division Grant, commandant en chef des États du Nord. Sherman lui avait dépêché un courrier de confiance portant une lettre soigneusement dissimulée.
Il était dangereux d'expédier cette lettre, mais Sherman avait dû s'y résoudre afin d'éviter d'être discrédité.
Il cherchait quelqu'un pour couvrir sa responsabilité. Et Grant le fit, car Sherman lui promettait la victoire. Il savait d'ailleurs que Sherman, après avoir été l'instigateur de l'assassinat du président Lincoln, préparait son élection à la présidence vacante. Grâce aux victoires de Sherman, Grant était devenu l'homme le plus populaire d'Amérique. Dans sa lettre, Sherman ne dit pas tout car, autrement, Grant qui se piquait de foi chrétienne aurait probablement reculé. Sherman ne dévoila tout que quelques semaines plus tard, lorsque la nouvelle stratégie eut remporté ses premiers succès.Grant, enivré de victoires, ne pouvait revenir en arrière s'il ne voulait pas renoncer à de nouvelles conquêtes.
Sherman affirmait qu'il était absurde de vouloir continuer la guerre suivant la méthode usuelle adoptée jusqu'alors. Ainsi, on avait toujours dépendu de l'adversaire ; qu'on avançât ou qu'on reculât, on devait toujours compter avec lui. On ne pouvait gagner la guerre qu'en prenant l'ennemi à l'improviste et de telles opérations n'étaient possibles que si on l'empêchait de talonner les arrières ou de disparaître sans que l'adversaire puisse le suivre. Son but était d'apparaître à un autre endroit.
Mais comment faire pour décrocher de l'ennemi ? La réponse de Sherman fut qu'on devait détruire ses bases de ravitaillement. « Je ruinerai l'économie du pays, de sorte que derrière moi nul soldat ne trouvera à manger. » La Géorgie, avec sa capitale Atlanta, était très affaiblie par la guerre. Aussi Sherman adressa-t-il à Grant les lignes suivantes : « Il est inutile d'occuper la Géorgie jusqu'à ce que nous puissions la repeupler. Mais la destruction totale de ses routes, de ses bâtiments, de sa population et de ses ressources militaires est nécessaire. Le fait de tenir ses routes nous coûte mille hommes par mois, sans nous donner aucun avantage. Je peux exécuter le plan et faire hurler la Géorgie (and make Georgia how) ». Grant demanda à Sherman de s'expliquer plus clairement. Ce dernier lui répondit alors: « Hood peut se rendre au Kentucky et au Tennessee, mais je pense qu'il sera contraint de me suivre. Au lieu d'être défensif, je serai offensif ; au lieu de deviner ses intentions, je le forcerai à retrouver mes plans. A la guerre, la différence s'élève à 25%. C'est là, enseigne la stratégie, l'avantage de l'initiative. Je puis me tourner vers Savannah, vers Charleston ou vers l'embouchure du Chattahoochee. Mais je préfère aller vers la mer, à travers la Géorgie, en anéantissant tout. Ainsi, si vous entendez dire que j'ai quitté ce lieu, engagez des espions à Morris Island, à Ossabaw Sound, à Pensacola et à Mobile Bay. Je réapparaîtrai quelque part et, croyez-moi, je puis prendre Macon, Milledgeville, Augusta, Savannah et me retrouver derrière Charleston, bien placé pour la réduire par la famine. Cette action n'est pas strictement militaire ou stratégique, mais elle démontrera la faiblesse du Sud. »
Il faut étudier soigneusement ces deux lettres pour reconnaître les vraies idées de Sherman. Elles ont été adressées par un soldat a un autre soldat et écrites dans le langage militaire. Un officier intelligent les a écrites à son chef qui l'est moins. Sans complètement mentir, il voile ses intentions en se servant du code du métier dont tous les deux font usage. D'abord, il prétend vouloir la défensive et avoir ainsi besoin de la destruction d'Atlanta. Il fait comme s'il voulait empêcher l'adversaire de le suivre. Depuis l'antiquité, il en a toujours été ainsi, quiconque recule détruit tout ce qui pourrait servir a l'ennemi qui le poursuit. Sherman propose également à son chef d'obéir à cette vieille règle. Mais dans la lettre suivante il dit : « Au lieu de rester sur la défensive, je ferai une offensive, car c'est la, enseigne la stratégie, l'avantage de l'initiative, etc.... » Pourquoi, s'il veut faire une offensive détruit-il tout dans son avance ? Un véritable soldat ne détruirait, au maximum, dans sa retraite que les choses susceptibles d'être utilisées par l'ennemi.
La vérité est que Sherman veut bien faire une offensive, mais non pas contre des soldats. Il veut faire hurler le pays de Géorgie et non pas l'armée géorgienne qu'il craint. Il envisage un crime hardi et y fait allusion par ces mots : «Cette action n'est pas strictement militaire ni stratégique ... ».
La destruction d'Atlanta
Elle fut accomplie sur l'ordre de Sherman. Atlanta fut évacuée et détruite suivant un plan soigneusement prémédité. Sherman commandait 60.000 hommes. L'armée avait des vivres pour 30 jours. Elle n'avait donc pas besoin de réquisitionner. Sherman divisa son armée en quatre corps et deux ailes qu'il fit marcher les uns à coté des autres. Ils traversèrent le pays, flanqués par la cavalerie et les batteries attelées. Leur chef était le général Kil Patrick. L’auteur de l'ordre fameux : « Seules les ruines des anciennes habitations devront prouver aux générations futures qu'ici passèrent les cavaliers de Kil Patrick ! »
Le 14 novembre. Toute l'armée Sherman était sur la route, Seul, un poste de sapeurs se trouvait encore dans la ville déserte, Sherman expédia un dernier télégramme à Washington : « All is well », puis la station télégraphique et avec elle la ville entière explosa. Sherman et ses 60.000 hommes devinrent invisibles, même pour Washington.
Vers la mi-décembre, l'armée fantôme réapparut près de Savannah. Comme une tornade, ces 60.000 hommes avaient franchi les 350 kilomètres qui séparent Atlanta de la mer, ils étaient suivis d'une armée de noirs affamés dont ils ne pouvaient arriver à se débarrasser, puisqu'ils étaient venus en libérateurs des esclaves.
Mais cette marche n'était qu'une preuve du talent de Sherman. Bien qu'il eut brûlé partout le coton et le blé, qu'il eut détruit les moulins et que ses hordes eussent anéanti d'innombrables maisons, il maintenait encore le semblant d'une armée, a cause de Grant. Il était défendu officiellement de piller. Ce n'est qu'en Caroline que tombèrent les derniers éléments de discipline des troupes de Sherman qui perdirent ainsi le nom de soldats. Malgré cela. Sherman envoie à Grant après sa marche à travers la Géorgie, une lettre qui contient ces phrases horribles : « Nous ne combattons pas contre des armées ennemies, mais contre un peuple ennemi : jeunes et vieux, pauvres et riches tous doivent sentir la poigne de fer de la guerre, aussi bien que les militaires. Dans ce sens, ma campagne en Géorgie fut un éclatant succès. »
Dans son livre « Story of the Great March » (1865, Londres) un admirateur de Sherman, G. W. Nicolls, a précisé que l'armée de Sherman avait dérobé sur son passage pour cent millions de dollars de blé et de bétail. Les troupes purent consommer elles-mêmes pour vingt millions de dollars, le reste fut détruit. Ce chiffre ne comprend que les denrées ; les maisons, les routes et le matériel anéantis n'ont jamais été estimés.
Des années après la conclusion de la paix, les gens autrefois si riches des États du Sud allaient encore en guenilles !
Grant triompha en recevant la nouvelle de l'apparition de Sherman. Il lui transmit immédiatement un nouveau plan de guerre. Sherman devait le rejoindre par le moyen le plus rapide, c'est à-dire par la mer, pour seconder Grant dans son dur combat contre le célèbre général des États du Sud, Lee, et contre son excellente et courageuse cavalerie. Mais Sherman ne vint pas. Grant n'avait pas encore compris. Il pensait que Sherman mourait d'envie de se battre. Mais Sherman ne voulait pas de combat ou seulement là où il n'était pas possible de l'éviter. Sherman avait renoncé depuis longtemps aux ambitions militaires et à l'honneur de l'officier. Il était devenu un criminel brutal qui voulait faire triompher la politique de son pays quoi qu'il pût en coûter à l'adversaire
« La guerre, a dit Clausewitz, est la continuation de la politique par d'autres moyens. » Sherman en fit « la continuation de la politique par tous les moyens ». Voici l'affreuse originalité de Sherman. La guerre était un acte de force contre l'armée ennemie, il en fit un acte de violence contre le peuple ennemi, un acte de brutalité totale. D'après un plan prémédité, Sherman avait disparu avec l'armée entière, pour conduire la guerre loin de tout contrôle et de toute récrimination dans la zone des crimes les plus sauvages, en franchissant la limite qui est moralement imposée aussi à la force. Lorsqu'il réapparut, Savannah tomba et le monde y vit une preuve de la bravoure et du génie militaire de Sherman. Seule, un petit nombre de personne apprirent, après la conclusion de la paix, ce qui en réalité s'était passé en Géorgie. Le monde ne s'y intéressa guère, car, en Europe, la guerre entre la France et l'Allemagne se déclenchait. En outre, la propagande américaine s'ingénia à ce que le monde ne fut occupé que par les histoires touchantes et niaises de la « Case de l'oncle Tom ».
Pendant sa période géorgienne, Sherman n'avait apporté qu'une seule nouveauté à l'histoire de la tactique militaire. Elle seule aurait dû suffire pour exclure a jamais cet homme de « la société des gentlemen. »
Il faisait monter des prisonniers de guerre dans des voitures qui avançaient, devant les troupes. Si elles sautaient, il savait qu'il y avait là un champ de mines. Toutes les protestations contre les cruautés commises envers ceux qui ne pouvaient se défendre furent rejetées par lui avec cette froideur tranchante qui ressort de tous les documents émanant de lui.
Grant, qui l'attendait en vain, reçut de Sherman une lettre dans laquelle il lui développait son nouveau plan. Il ne voulait pas rejoindre Grant en prenant la route de la mer, ce que ce dernier lui avait demandé, pour combattre contre Lee, mais il voulait traverser la Caroline pour la dévaster comme il l'avait fait en Géorgie, et encore plus radicalement, c'est-à-dire totalement.
D'un ton ému, car jamais homme n'a bafoué la noblesse de sentiments avec autant de blasphèmes, Sherman donna à son armée l'ordre de départ. L'historien militaire suisse Bircher écrit dans « La guerre sans merci » : « Dans ses instructions, il donne cet ordre typique : les routes, les chevaux et le peuple doivent être anéantis ! »
De nouveau, l'armée se met en marche, sur un large front, s'avançant en quatre colonnes. Derrière elle, se trouvait la Géorgie dévastée, devant elle la Caroline florissante et riche. Nul vengeur ne pouvait poursuivre Sherman, car de quoi se serait-il nourri ?
Il raillait : « Même les corneilles doivent apporter leur nourriture ! »
Des colonnes géantes de feu s'élevaient annonçant l'approche des cavaliers de l'Apocalypse. La population fuyait ces terroristes. Quelques unités des états du Sud essayèrent courageusement de barrer la route aux pillards. Elles furent beaucoup trop faibles. Sherman dit dans ses mémoires : « Avant de quitter la Caroline, les soldats s'étaient tellement habitués à détruire tout ce qu'ils trouvaient sur leur route que souvent, la maison dans laquelle j'avais eu mon quartier général brûlait déjà avant que je n'en fusse sorti ». Les soldats de Sherman disaient en riant : « Nous ne pillons pas, nous fourrageons ! »
Près de Chester, les hommes de Sherman trouvèrent l'un de leurs officiers et sept hommes assommés par des civils. A chaque corps étaient fixés ces mots : « Mort aux fourrageurs ! »
A un autre endroit, on trouva vingt corps portant la même inscription. Alors Sherman fit fusiller en représailles 54 soldats des états du Sud, faits prisonniers sur le champ de bataille. Telles furent ses exploits militaires.
Sherman avait écrit à Grant : « J'ai moi-même si longtemps et si minutieusement médité mon plan, qu'il me paraît clair comme la lumière du jour. »
Les villes et les forteresses au bord de la mer capitulèrent l'une après l'autre. Comme il l'avait prévu, Sherman n'avait, pas besoin de se battre et Grant non plus. Personne n'avait plus besoin de se battre. Le grand et vaillant général Lee fit descendre ses cavaliers de leurs chevaux et capitula.
« Vous avez commencé cette guerre par erreur et l'avez continuée par fierté », avait un jour écrit le général Sherman a un général des états du Sud. Maintenant, la fierté pliait devant la reconnaissance de l'erreur. Et l'erreur des fiers aristocrates du Sud avait été leur confiance dans « les règles du jeu » en usage entre gentlemen. Ils s'abandonnaient à cette erreur, ne pouvant croire que des hommes, mêmes s'ils étaient des ennemis, combattraient des civils, des femmes et des enfants.
Les cavaliers des verdoyants pâturages de la Virginie avaient ri lorsqu'ils avaient appris la nouvelle du plan de guerre des états du Nord. Ceux-ci avaient appelé leur plan « Anaconda » du nom de l'énorme boa, car ils avaient l'intention d'étrangler le territoire entier des états du Sud. Et avec ceux-ci, le monde entier avait ri en apprenant ce plan « Anaconda », cette idée de blocus et l'intention d'affamer les États du Sud. Il semblait tellement puéril, que personne ne l'avait pris au sérieux. La France croyait pouvoir rester neutre. On ne saurait condamner un tel optimisme car personne n'avait compté sur un caractère tel que celui de Sherman. Grant, Lincoln et les autres, tous ne voulaient plus entendre parler du plan « Anaconda », à l'exception de Sherman. Avec l'instinct pervers de l'homme hostile a la société, il avait flairé dès le début, les grandes possibilités de ce projet. Il avait d'ailleurs reconnu qu'on ne pourrait pas réaliser un plan anormal par des moyens normaux. Le blocus, dont on espérait une humanisation de la guerre, avait été accepté par le droit des gens. (C'est pourquoi le monde pensa plus tard que la guerre entre les états du Nord et ceux du Sud avait été une affaire assez innocente). Derrière le rideau du blocus, un crime horrible fut accompli.
Ce que les U.S.A. voulaient réellement
On ne pourra pas contester deux choses à Sherman : la hardiesse de ses idées et sa ruse de renard. Lorsque les dirigeants des états du Nord avaient consenti au plan « Anaconda », ils étaient déjà tombés dans les griffes du diable. Ils voulaient vaincre sans devoir faire de grands efforts. A ce moment déjà, ils n'étaient plus honnêtes, mais ils se seraient récriés indignés, si on le leur avait dit ouvertement à la face du monde. Mais Sherman se servit tranquillement du crime. Ruse tel le démon tentateur sur la montagne, il montrait à Grant la terre promise de la victoire. Mais Grant n'était pas le Christ. Il tomba dans les bras du tentateur et laissa Sherman trahir la morale de la guerre. « Car la guerre, ce puissant moteur de l'humanité, a elle aussi, son honneur » (Schiller).
Mais le jeu avait été mené à merveille. Lorsque Lee capitula, Sherman demanda immédiatement qu'on lui fit les conditions d'armistice les plus larges. Il le fit d'autant plus volontiers qu'il ne voulait pas se battre et qu'il avait l'intention d'enlever ainsi tout courage aux confédérés désespérés par les ravages de leur pays.
Lorsque le monde apprit la capitulation de Lee, personne ne savait ce qui s'était passé. Et en apprenant les conditions avantageuses de l'armistice. On célébrait partout Sherman et Grant comme des officiers géniaux et chevaleresques. (Plus tard, ces généreuses conditions furent d'ailleurs annulées).
Lincoln lui-même, rejoignant ses armées victorieuses, ne voyait que des noirs libérés qui l'acclamaient en entonnant l'alléluia, en agitant de grands placards et se prosternant dans la poussière.
Et lorsqu'une personne, connaissant les dessous de la victoire de Sherman, avertit Lincoln de se méfier d'un attentat, le président lui répondit : « Un tel crime n'est pas dans la nature américaine ! » Un mot admirable, mais Lincoln ne savait pas à quel degré Sherman avait contaminé le caractère américain. Grant, lui, ne l'ignorait pas.
Le vendredi 14 avril 1865, Grant et Lincoln avaient été invités à la représentation de la comédie anglaise « Le cousin d'Amérique », au théâtre Grovers, à Washington. Lincoln s'y rendit, mais Grant se fit excuser à la dernière minute. Au cours de la représentation, l'acteur Booth, un bel homme sans talent, entra par une petite porte dans la loge du président et le tua d'un coup de revolver à l'occiput. Puis, en criant : « Sic semper tyrannis » il bondit sur la scène, au milieu des acteurs paralysés de frayeur. Il déchira avec ses éperons le pavillon étoilé de la loge présidentielle et, la jambe cassée, s'enfuit à cheval. 1600 cavaliers et 500 détectives le poursuivirent. Encerclé dans une grange au bord du Rappahannock, il tira et fut lui-même gravement blessé. Mourant, il demanda de faire dire à sa mère qu'il était tombé pour les états du sud.
La période d'administration du vice-président Johnson ayant échoué (il était presque toujours ivre et voulait faire pendre Jefferson Davies, le président des États du Sud), Grant, le célèbre Grant, fut élu président des États-Unis d'Amérique.
Il nomma Sherman commandant en chef de l'armée américaine. Une nouvelle époque commença alors en Amérique avec le président Grant. C'était l'époque de la corruption et de l'hypocrisie officielles. Le juge Lynch faisait décapiter les noirs libérés et jeter les têtes à la populace pour jouer au football. Le système de l'escroquerie et de la corruption né sous son règne fut appelé « grantisme ». De la main gauche on agitait la Bible et de la droite on volait son voisin. Dans les États du Sud réorganisés, les postes supérieurs de l'Administration ne furent donnés qu'aux membres du parti de Grant, venant des États du Nord. La vénalité des fonctionnaires et leur habileté a voler le peuple même dans des cas où des criminels de métier ne l'auraient pas cru possible, devenait si flagrante qu'en 1876, le propre parti de Grant n'osa plus renouveler sa candidature bien que celui-ci se fut enfin décidé à citer en justice quelques-uns de ses complices, employés supérieurs, dont les escroqueries étaient par trop évidentes.
Vinrent d'autres présidents, mais toujours l'Amérique poursuivit son chemin. Lentement, l'Anaconda étranglait tous ceux qui avaient été honnêtes. Le « grantisme », ce système de l'hypocrisie voilant le crime, qui s'était développé entre-temps et était devenu l'attitude officielle de l'État américain.
Et encore de nos jours, ils ravagent les pays qu'ils envahissent, comme ils l'ont appris de Sherman. Ils affectent les apparences de la morale et du respect des chefs-d’œuvre qu'ils détruisent au moment même où ils se plaignent de la « barbarie de féroces adversaires ».
La victoire dont ils rêvent est le calme du cimetière. L'Anaconda doit étrangler le monde pour le plus grand bien de « l’Empire » et du « one world » américain.
J. BAREL et P. RONCA