Charles VII représenté comme l’un des rois mages à genoux sur un tapis fleurdelysé, derrière lui se trouve sa garde écossaise, L’adoration des Rois Mages, enluminure de Jean Fouquet, dans le Livre d’heures d’Etienne Chevalier, date inconnue, Musée Condé, Wikimedia Commons
Parmi les gardes des rois de France, figure la première compagnie des archers de la garde écossaise[1]. Cette unité est la première des quatre compagnies des gardes du corps à être instituée, de ses rangs sont issues les sentinelles les plus proches du souverain, les archers du corps du roi. Derrière ce nom se cachent 24 hommes menés par le premier homme d’armes de France, portant l’effectif total à 25 personnes. L’origine de ce groupe fait couler beaucoup d’encre dès l’époque moderne. Certains auteurs lui donnent une genèse presque mythique, ce mythe confère à ses membres un prestige immense, si ce n’est une sorte d’aura. La réalité semble être bien différente, sans pour autant retirer de sa superbe à cette troupe illustre.
Plusieurs théories existent pour expliquer l’apparition de ceux qui peuvent être perçus comme la fine fleur de la première compagnie de la garde. Dans ses mémoires, le duc de Noailles fait remonter l’institution des 24 à Charles III, dit Charles le Gros. Selon le capitaine des gardes de Louis XIV, leur création remonte très exactement à l’an 886, où le souverain carolingien aurait choisi :
« Vingt-quatre gentilhommes Ecossois pour estre auprès de sa personne jour et nuit et ce pour la fidélité qu’il avoit reconnue en ceux de cette nation depuis le commencement de l’alliance faite entre la France et l’Ecosse il y avoit environ Cent ans.» [2]
Cette hypothèse n’a malheureusement pas de fondements historiques réels. L’alliance entre les royaumes de France et d’Écosse, connue sous le nom de l’Auld Alliance[3], remonte à l’an 1295, année où est signé le premier traité écrit entre les deux puissances. Le duc de Noailles est, par ailleurs, le seul auteur à défendre cette affirmation. De surcroît, il est le capitaine de la garde écossaise sous Louis XIV. Celui-ci a tout intérêt à attribuer une ascendance aussi ancienne que faire se peut à la troupe qu’il commande, l’ancienneté jouant un rôle important dans la place qu’une compagnie occupe dans la Maison « militaire » du roi. Le duc poursuit son propos en traversant les siècles jusqu’au règne de Saint Louis, de cette manière il rejoint d’autres sources qui attribuent elles aussi l’apparition de cette troupe au règne de ce roi.
Dans l’Écosse françoise, un livret datant de l’année 1608 écrit à l’intention du prince de Galles, Houston, un ancien membre de la garde écossaise et archer du corps, affirme que Saint Louis institue les archers du corps. C’est aussi la position que défendent des gardes de la compagnie, dans un placet adressé au roi Louis XIV[4].
L’événement fondateur serait ici la participation du roi capétien à la septième croisade. Lors de son séjour en Terre sainte, plus précisément à la suite de la prise de Damiette en 1249, les Écossais participant à la croisade s’y seraient illustrés en déjouant une tentative d’assassinat à l’encontre du monarque[5]. Houston ajoute à cela le fait qu’au retour de Louis IX en France, une seconde tentative d’homicide, fomentée cette fois-ci par la comtesse de La Marche, fut déjouée grâce à ces hommes[6]. En conséquence, de concert avec le roi d’Écosse le roi de France prit la décision de conserver autour de sa personne « un certain nombre d’Ecossois approuvez par leur Roy pour estre de la qualité requise et capables d’une telle charge »[7].
Cette théorie est invalidée dès la fin du XVIIIe siècle par le Père Daniel[8], qui établit avec justesse le fait qu’il n’existe pas de preuves encore à l’heure actuelle permettant de penser que cette piste soit tangible[9]. D’autant plus que des sources viennent infirmer les théories précédentes. Le Père Daniel mentionne, encore une fois à juste titre, plusieurs documents qui font état de la naissance de cette troupe. Tout d’abord, L’histoire d’Écosse de l’évêque de Ross, puis les lettres de naturalité pour la nation d’Écosse datées de septembre 1513.
Dans les deux cas, l’institution des gardes et, par extension, des archers du corps, date cette fois du règne de Charles VII. L’avènement des 24 est attesté de façon certaine à partir de l’an 1449 les registres de la garde font état de « 24 archiers du corps »[10], sous la charge de Mathieu d’Harcourt, seigneur de Rugny. Néanmoins, il est possible qu’ils soient présents à la suite du roi depuis les années 1420.
Estampe reproduisant une tapisserie qui dépeint l’entrée de Charles VII dans la ville de Reims en 1429, les archers du corps aux côtés du roi et de Jeanne d’Arc, Jean Poinsart, date inconnue, INHA
Les seuls individus qui peuvent être qualifiés d’archers du corps à cette époque sont les hommes de la garde écossaise, car elle est alors la seule compagnie d’archers de la garde à exister. De plus, les comptes du trésorier des guerres de Charles VII, Marc Héron, attestent qu’une bande de 24 archers ordonnés à la garde du corps du roi existe dès l’année 1424. Les accompagnent six hommes d’armes d’Écosse sous la charge de Jehan du Cigne[11]. Hasard numérique ou non, le point est si particulier qu’il mérite d’être souligné, d’autant plus que ce chevalier commande des archers qui servent dans la garde du roi depuis le 3 janvier 1422. Outre les questions quant à l’année exacte de leur apparition, il est certain que les archers du corps sont la création du roi Charles VII, pour récompenser les services rendus au royaume et à sa cause.
À partir de son institution, ce groupe existe de façon parallèle au restant de la compagnie, car celle-ci s’articule alors de façon similaire aux compagnies d’ordonnance. Les 24 sont aux ordres d’un capitaine qui leur est propre. Le premier est le seigneur de Rugny, lui succèdent Claude de Châteauneuf et Michel de Beauvilliers. Contrairement aux chefs de la garde, ce ne sont pas des personnes natives du royaume d’Écosse, ceci explique la confusion de certains auteurs passés, qui les assimilent aux capitaines de la compagnie entière.
Ce détachement est finalement intégré au sein de la garde écossaise quand celle-ci est réformée par Louis XI. À partir de l’année 1461, les archers du corps sont subordonnés à la même hiérarchie que leurs compatriotes. Les registres rendent compte d’un effectif de 25 hommes, puisque la distinction de premier homme d’armes n’est pas encore créée : elle n’apparaît qu’à partir de 1467[12]. D’où la mention, à partir de cette année, de deux hommes d’armes, le premier est le lieutenant de la compagnie, le second désigne celui que l’on nomme le premier homme d’armes de France. Cette distinction n’est clairement faite qu’à partir de 1531[13].
La fonction du premier homme d’armes de France intrigue dès le XVIIIe siècle. Son origine, de même que son rôle, sont pour le moins nébuleux. Le Père Daniel tente d’élucider ce mystère et en tire les conclusions suivantes. Le premier homme d’armes de France aurait été institué par Charles VII, quand celui-ci entreprit la réforme de son armée pour instaurer les quinze compagnies d’ordonnance. Chacune d’entre elles compte alors un gendarme qui porte le titre de premier homme d’armes. Le roi, désireux que sa garde personnelle se calque sur le modèle établi pour sa gendarmerie, décide ainsi de la doter d’un premier homme d’armes tiré des rangs de la compagnie des gendarmes écossais. Cette dernière étant la première compagnie d’ordonnance, l’homme fut honoré du titre de « Premier gendarme de France » ou premier homme d’armes de France. De façon plus logique, ce titre, qui désigne le commandant direct des archers du corps, a pu servir de compensation pour leur ancien chef. La compagnie ne pouvant avoir deux capitaines, elle eut à la place deux lieutenants. Un premier pour la garde entière et un second dirigeant les gardes les plus proches du roi. Ce cadre fixé, il n’évolue pas jusqu’à la fin de la période considérée, soit une permanence de près d’un siècle et demi.
Cet homme est d’abord rémunéré à un montant identique à celui du lieutenant, tous deux étant considérés comme des hommes d’armes. Il touche ainsi 288 livres 15 sous par an, une somme moins importante qu’au moment où ce dernier était le capitaine des 24, car il recevait alors 300 livres. Les réformes de la garde du corps entreprises à partir de la régence de Catherine de Médicis viennent encore une fois changer la situation. La distinction entre les deux officiers devient nominale et financière. Le meneur des archers du corps reçoit des gages qui s’élèvent à 308 livres dix sous à l’année, cette solde est moindre que celle du lieutenant qui perçoit des gages nettement supérieurs.
Qui plus est, les hommes dont il a le commandement perçoivent eux aussi une solde plus généreuse. En effet, les archers du corps bénéficient d’une rétribution conséquente et ce, aussi bien au XVe siècle qu’au siècle suivant. Durant les dernières heures de la guerre de Cent Ans, ces gentilshommes reçoivent 13 livres par mois, soit 216 livres annuelles. Une fois intégrés à la compagnie, leurs gages mensuels sont augmentés de cinq livres, portant ainsi leur solde à 276 livres tournois par an. La paie des archers du corps représente une dépense totale de 6 624 livres tournois pour l’hôtel du roi, à laquelle s’ajoutent 1 718 livres dévolues à l’achat et l’entretien des montures et des uniformes.
Ces dépenses ne fluctuent qu’à de rares occasions. Enfin, durant la seconde moitié du XVIe siècle, les vingt-quatre bénéficient de 426 livres dix sous en guise de gages et de soutien financier pour leur équipement. Les archers du corps sont les gardes du corps les mieux payés du royaume de France, exception faite des 200 gentilshommes ordinaires de l’hôtel du roi. Les gages dont bénéficient ces derniers sont de 32 livres dix sous par mois en 1520, soit une différence de neuf livres avec les archers du corps[14].
Outre l’aspect financier, une série d’éléments vient souligner la différence entre ce groupe et le reste de la compagnie. Les archers du corps sont différenciables des archers de la garde à la cour ou lors des cérémonies, à la fois par la place qu’ils occupent, mais aussi par leur aspect visuel. Leur positionnement dans le dispositif royal est invariable, ils se trouvent toujours à pied au plus près du roi. Lorsqu’une cérémonie royale se tient, les archers du corps prennent place au plus près du roi. Ils se tiennent à ses côtés lors des processions, tandis qu’ils sont immédiatement derrière le souverain quand celui-ci siège sur son trône. Les 24 portent systématique leur uniforme blanc, orné des devises du roi, tenue qui les différencie du reste de leur unité d’appartenance. Toutefois, sur le plan militaire, la compagnie agit toujours comme un bloc uni, rien ne vient démarquer les archers du corps de leurs compatriotes.
Le recrutement de cette élite est du fait du capitaine, dans la majeure partie des cas les archers du corps sont issus des rangs des archers de la garde, bien que les capitaines puissent appointer des hommes qui ne proviennent pas de la compagnie. C’est notamment le cas sous Jean Cunningham qui, comme illustré précédemment, profite de ses fonctions pour faire entrer des membres de son clan à diverses places au sein de la garde écossaise, y compris à des postes d’archers du corps. Par la suite, les abus sont quasi inexistants à cet échelon. Un critère d’ancienneté est très probablement pris en compte, car les exempts de la compagnie sont tous des archers du corps. Or, les ordonnances édictées depuis le règne de Charles IX indiquent que ceux-ci doivent être choisis selon leur ancienneté au sein de la compagnie.
Pendant près de deux siècles, les archers du corps s’acquittent sans faillir de leur mission. Tout comme les archers de la garde écossaise, les hommes qui intègrent les 24 à partir du XVIIe siècle ne sont plus d’ascendance écossaise, mais des natifs du royaume de France. Lorsque Louis XIV entreprend de réformer sa Maison « militaire », il décide d’appliquer de nouvelles règles quant à la composition de sa garde la plus proche. Les archers du corps sont désormais désignés comme les gardes de la manche en référence à la proximité qu’ils entretiennent avec le souverain. Si leur effectif est inchangé, les 24 sont à présent tirés des rangs des quatre compagnies et non plus uniquement de la première compagnie. Toutefois, par privilège d’ancienneté et au nom des anciennes alliances, la compagnie de la garde écossaise fournit la moitié des hommes constituant l’élite des gardes du corps.
Garde de la manche lors du sacre de Louis XVI, 1775, Charles Patas, Bibliothèque municicpale de Reims, Wikipmedia Commons
Stéphane Durif
Bibliographie :
BnF Clairambault 1227, Minutes du Recueil pour servir à l’histoire de l’Ordre et des commandeurs, chevaliers et officiers de l’Ordre du Saint-Esprit, par Clairambault, classées dans l’ordre chronologique. CXVII Mélanges
BnF Ms. Fr. 8000, Recherches sur la Maison militaire du Roy, par M. De Gassonville
BnF Ms. Fr. 8001, Recherches sur la Maison militaire du Roy, par M. De Gassonville
BnF Ms. Fr. 32510, Volumes reliés du Cabinet des titres : recherches de noblesse, armoriaux, preuves, histoires généalogiques. Extraits de comptes royaux, de rôles d’hommes d’armes, et d’autres documents de la Chambre des Comptes, du XIIIe au XVIe siècle, par Caille Du Fourny. I Années 1217-1440
BnF Ms. Fr. 15889, Recueil de pièces, manuscrites et imprimées, relatives à l’histoire intérieure de l’Angleterre et aux rapports de l’Angleterre et de l’Écosse avec la France, principalement pendant les xvie et xviie siècles. 1263-1666. II Années 1621-1666
SHD GR 3 A 85, Recueil de pièces concernant les Gardes du corps (ordonnances règlements, etc.) 1570-1670
BONNER Elizabeth, « Scotland’s “Auld Alliance with France”, 1295-1560 », dans History, vol. 84, n°273,Oxford, Wiley, 1999, 213 p., pp. 5-30
DANIEL Gabriel, Histoire de la Milice françoise, et des changements qui s’y sont faits depuis l’établissement de la Monarchie Françoise dans les Gaules jusqu’à la fin du règne de Louis le Grand, vol. 2, Paris, Jean Baptiste Coignard, 1721, 770 p.
FORBES-LEITH William, The Scots Men-at-Arms and Life-Guards in France, From their Formation Until Their Final Dissolution, vol. 1, Edinburgh, William Paterson, 1882, 300 p.
Notes :
[1] Le terme d’archer à la fin du Moyen-Âge et au commencement de l’époque moderne ne désigne pas systématiquement un homme usant d’un arc. Il renvoie aussi à des cavaliers légers, leur armement est moins lourd que celui des hommes d’armes. Au combat, les archers possèdent une demi-lance, ainsi qu’une demi-armure, ce qui rend ces derniers plus mobiles que la cavalerie lourde française. À la cour, les archers emploient la hallebarde pour le maintien de l’ordre puis, durant le XVIe siècle, les archers commencent à user d’armes à feu.
[2] SHD, A 85, p. 6
[3] L’Auld Alliance désigne l’alliance militaire conclue entre les rois de France et d’Écosse, les modalités de cet accord sont formulées dans un traité signé le 23 octobre 1295 à Paris, le traité de Paris sera ratifié par le parlement écossais le 23 février 1296, scellant la plus ancienne alliance militaire française pour les siècles à venir.
[4] Ibid., fol. 49. Le placet est une requête écrite à destination d’une autorité pour lui réclamer une faveur ou redresser une injustice.
[5] BnF, Fr. 15889, fol. 445-446
[6] Ibid., fol. 446
[7] Ibid.
[8] Gabriel Daniel, dit le Père Daniel, est un jésuite français, ayant reçu le titre d’historiographe de France, il consacre sa vie à la production de travaux historiques ainsi qu’à la controverse théologique. Il publie notamment L’Histoire de la milice Françoise en 1721.
[9] Gabriel Daniel, Histoire de la Milice françoise, et des changements qui s’y sont faits depuis l’établissement de la Monarchie Françoise dans les Gaules jusqu’à la fin du règne de Louis le Grand, vol. 2, Paris, Jean Baptiste Coignard, 1721, 770p., p. 120
[10] BnF, Fr. 8000, fol. 26r
[11] BnF, Fr. 32510, fol. 366r
[12] BnF, Fr. 8000, fol. 69r
[13] BnF, Fr. 8001, fol. 36r
[14] BnF, Clairambault 1227,fol. 148
Source : La Revue d'Histoire Militaire