Depuis le 21 Novembre 1985, en plein bois, au coeur de la montagne bourguignonne, repose un vieux Gaulois : Henri Vincenot.
Il est le vieux sanglier, c'est la plus longue mémoire, c'est l'âme de la Bourgogne, de la civilisation paysanne dont il était imprègne jusqu’au plus profond de son être. Toute sa vie, il fut un conteur, un chantre de sa patrie charnelle, l’éternelle Celtie, celle des friches et des forêts où sont ses racines, c'est à dire son sol et son sang. Bien que né dans la capitale des Ducs de Bourgogne (Dijon), sa famille a son berceau familial enraciné depuis la nuit des temps dans le petit village de Châteauneuf en Auxois, sur la montagne de Sombernon qui marque le partage des eaux entre la Manche, l'Atlantique et la Méditerranée. Du village voisin de Maconge, partent les trois pentes où naissent les ruisseaux qui rejoignent la Seine, la Loire et le Rhône : "Salut Maconge, toit du monde occidental !! Maître des trois versants !! Centre sacré du triangle des eaux !! Tête de la Vouivre, source d’éternelle jeunesse... !!".
Terroir de Bourgogne :
les environs de Sombernon (Côte-d'Or)
L'héritage celte
Et c’est là, sur les pentes boisées qu’il a grandi, au milieu de sa "tribu", les fameux Mandubiens de l’Auxois qui n’en finissent pas de régler leurs comptes avec la tribu des Eduens (Celtes du Morvan) depuis 18 ou 20 siècles (les Eduens ayant été de zélés auxiliaires des légions romaines). Face à son village, s’élève la montagne sacrée de Bibracte où un vieux chemineau, mi-druide mi-prêtre, surnommé "la Gazette", y aurait perdu un bras en voulant délivrer Vercingétorix... il y a près de 2000 ans.
"La gazette",
prophète, vagabond, érudit...
Vincenot sera véritablement envoûté par sa terre et son peuple. Il ne pouvait en être autrement lorsque pour premier horizon, il eut ce "pays de mon coeur et de mon sang", ces montagnes et ces forêts bénies des dieux de la vieille Celtie, "ce pays secret, fermé, avec d’incroyables richesses bien cachées dans des forêts monstrueuses, des friches solitaires et des villages morts, des gens au jugement acide, lucide, clair, au parler studieux et équilibré." Un monde clos, communautaire, oublié du monde, où les Romains se sont peu aventurés, ainsi que les Burgondes qui ont pourtant donné leur nom à ce pays.
Une éducation paysanne
Elevé par ses deux grand-mères qui connaissaient le secret des plantes, les vertus du soleil et de la lune, qui savaient lire dans les étoiles et lui raconter les vieilles légendes autour du feu, c’est surtout auprès de ses deux grands-pères qu’il a pu acquérir son solide bon sens paysan qui lui servira de ligne directrice toute sa vie durant. Tous les deux (initiés, compagnons du devoir) lui transmettront le virus de ce qui deviendra la grande affaire de sa jeunesse : la chasse au sanglier, roi des forêts d’Occident, incarnant cette identité gauloise à laquelle Vincenot était si attaché. Le jeune Bourguignon fréquente l’école et l’église avec une étrange prémonition : "À notre insu, lentement, courageusement, opiniâtrement, on nous arrachait au singularisme païen, pour nous préparer aux fructueux échanges universels, c’est-à-dire, pour pouvoir un jour, tous unis et confondus, nous servir des mêmes barèmes, des mêmes machines et devenir de bons consommateurs inconditionnels, se contentant des mêmes HLM... Pour une fois, ils étaient d’accord, les instituteurs républicains, toujours à la pointe de la pensée marchande et les curetons qui, depuis longtemps, luttaient contre les pratiques superstitieuses venant des ères druidiques".
À 20 ans, happé par les "délices" du monde moderne, il quitte le pays pour n’y revenir qu’en 1969. Il s’installe à Commarin (175 habitants) et fait revivre le hameau abandonné de la Pourrie, cinq feux dans la vallée de l’Ouche, parcelle après parcelle, ruine après ruine. Un écrivain de combat Le succès littéraire viendra en 1978 avec "la Billebaude". Vincenot incarne désormais l’antique sagesse paysanne, et les Français ne s’y sont pas trompés. Ce livre leur a rappelé ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être : un vieux peuple des sources et des forêts, un vieux peuple de paysans que le modernisme est en train de génocider.
Henri est vite devenu un prophète pour ses lecteurs : "de toutes les tribus de France, ils m’écrivent pour me dire que je leur ai fait retrouver leur propre pays, leur race". Ce succès va raviver celui du "Pape des escargots" publié cinq ans auparavant. Un roman fabuleux dans lequel sont mis en avant deux personnages, différents mais complices, Gilbert, un jeune sculpteur doué d’un talent rare, réincarnation de Gislebert d’Autun (qui a sculpté le tympan de la cathédrale d’Autun) et La Gazette, un vieux colporteur de légendes pittoresques, vagabondant de village en village, tels les conteurs d’autrefois, grands initiés, poursuivant la tradition orale des sages anciens.
Pèlerins, détail du tympan
de la Cathédrale d'Autun
XIIeme siècle
Le vieux "prêtre druidisant", mémoire du pays, surveille le passage des sangliers et observe leurs traces parallèles à la voie lactée, véritable chemin des étoiles, celles qui mènent de Vézelay à Compostelle. Viendront par la suite, les fameuses "étoiles de Compostelle", qui menèrent un jeune essarteur bourguignon du XIIIème siècle, a pénétrer dans le secret des mystérieuses et singulières aventures des bâtisseurs de cathédrales.
Vincenot nous rappelle la permanence, malgré la christianisation, des croyances et pratiques ancestrales : "les populations celtiques que nous étions ne pouvaient pas en effet rester plus de trente minutes dans un sanctuaire sans chercher l’extase de la flamme et de la lumière". Vincenot n’eut de cesse de nous enseigner les salubres leçons de la saga des origines, leçons qui se moquent bien des idéologies du politiquement correct et du bavardage droit de l’hommesque : "au coude à coude, il faut rassembler le plus grand nombre possible de gens du même sang. Voilà le premier conseil qui nous vient du fond de nos mémoires".
Toujours prêt à défendre l’héritage face à un monde désenchanté et mercantile, voici au seuil de sa vie trop brève quelle fût sa prière : "merci grand Dieu du ciel et de la terre de m’avoir fait naître dans cette race ! Et au beau milieu de ce pays-là qui fourmille de merveilles comme un ciel de Saint-Jean grouille d’étoiles. Et merci de m’avoir donné l’occasion de le dire, de l’écrire, à toutes sortes de gens, à qui ça peut rendre grands services, encombrés qu’ils sont dans le désespoir de l’envoi industriel."
Fidèle à sa terre et à son peuple de son vivant, Vincenot l’est encore dans la mort, reposant désormais dans la terre nourricière de Bourgogne, au milieu des siens, au coeur de la forêt, dernier refuge des dieux de la vieille Gaule, à l’ombre d’une croix celtique de pierre.
Eugène KRAMPON
Réfléchir & Agir N°7 – Automne 1999
A lire absolument :
- Le Pape des escargots
- Les étoiles de Compostelle
- La Billebaude