Né en 1970, Pierre Gillieth collabore à l'excellent magazine Réfléchir et agir, et a écrit deux romans dont un salué par Michel Déon et A.D.G., et plusieurs essais. Il nous propose une plongée dans ses années de jeunesse des plus tumultueuses. Ce roman autobiographique au titre bizarre (Western électrique), paru chez Auda Isarn, décrit le milieu ultra bourgeois dont il est issu (la famille Baudis, son grand-père Pierre et son oncle Dominique furent maires de Toulouse), aux antipodes de ses convictions et de son militantisme nauséabonds. Il milita, en effet, au Front national, certes pas dans la tendance « cages aux folles », et nous livre quelques pages roboratives et amusantes, mais aussi profondes. Notons que quelques paragraphes un peu lestes pourraient cependant choquer certains lecteurs.
Le début du livre évoque « cinq types (qui) jaillirent d'une vieille Talbot au rouge fatigué, des affiches à la main, avec un seau et des pinceaux dégoulinant d'une colle blanchâtre ». Les affiches, siglées du triangle du Front national de la jeunesse, représentent un avion au décollage, « Quand nous arriverons, ils partiront ! » Parmi les « colleurs », il y a bien sûr Bertrand qui n'est autre que le double de Pierre Gillieth. Bertrand, qui est huissier, s'ennuie prodigieusement dans son travail. Il y jouit cependant de quelques distractions, observant, tel un entomologiste, le fils de son patron qui est un peu attardé et sert de coursier: l'occasion pour l'auteur de dépeindre avec talent et cruauté le personnage en quelques lignes: « Un gnome d'à peine un mètre soixante, avec une tête disproportionnée par rapport à son corps malingre, des cheveux noirs courts et une paire de lunettes masquant mal les tics nerveux du personnage. Il marchait en levant alternativement bien haut les genoux, comme un soldat de plomb à la parade, d'un pas d'hoplite. Mais on ne le plaignait pas, généralement comme il sied à ce genre de malheureux, parce qu'il était teigneux, égoïste et sournois ». On constate dès l'introduction la haute empathie qu'éprouve l'auteur pour l'humanité souffrante...
Famille bourgeoise et bête immonde
« Rien ne m'avait prédestiné à rallier la bête immonde, raconte Bertrand, J'étais né dans une famille bourgeoise de centre-droit. Mes parents et leurs amis étaient hédonistes, bien dans l'air du temps post-68, tout un mode de vie fait d'aisance et de luxe décontracté ». Quand Bertrand apprit aux siens qu'il militait au Front national, ce fut la consternation. Il explique les raisons de son engagement: l'immigration, la mort du monde paysan, la mondialisation. Son père, qui vit dans une magnifique maison XVIIIème et dans un hôtel particulier, lui réplique: « On ne pouvait rien y faire ». Commentaire de Bertrand: « Là, forcément, le bruit et l'odeur chers à Chirac sont moins olfactifs et urticants. Oui, l'égoïsme est le maître mot de la bourgeoisie française qui ne vote qu'en fonction de sa feuille d'impôts ». Bertrand évoque aussi son arrière-grand-père Albert Baudis, dit Papé, un autre personnage. Il se prénommait en réalité Adolphe mais « changea son prénom quad le Grand Moustachu se fit un prénom dans les années trente ». Il racontait au petit Bertrand, pour son plus grand délice, d'horribles histoires de la Grande Guerre, les obus, les schnarpels, mais aussi les coups de grisou des mines qu'il dirigeait. L'enfant adorait et disait à sa mère effondrée: « Dis Maman, quand est-ce qu'il y aura une guerre ? » Commentaire douloureux de Pierre Gillieth: « Cet enfant était déjà perdu pour la démocratie et l'humanitaire. Les crimes contre l'humanité et le fascisme lui tendaient déjà les bras ». Et c'est ainsi que Bertrand devint assez tôt « le punk de la famille, un pied dans le rock, l'autre dans le fascisme ». Bertrand n'était cependant pas le seul de la famille Baudis, si bourgeoise, à flirter dangereusement avec l'excentricité. Il y avait son oncle Jean-Pierre qui avait quelques fixettes. Il détestait les anesthésistes qui, pour lui, étaient une bande de fainéants inutiles qui, une fois leur piqûre faite, se roulaient les pouces. Il s'emportait aussi contre les pilotes d'Air France qui faisaient grève et lui faisaient louper quelques jours à New-York, dans un palace. Sa solution, quelque peu radicale? « Il faut les fusiller. Tu comprends ? Tous ! » Commentaire de Bertrand: « Jean-Pierre m'amusait car il fusillait souvent ». Il ajoute: «Moi, j'ai toujours aimé les dingues. Leur poésie, leur fantaisie »...
Au Front national
Le « Fasciste" se devait évidemment de se rendre, avec ses camarades, à une manif' nationale du Front à Carpentras, pour protester contre l'ignoble manipulation dans l'affaire du cimetière. Toute la classe politique, de gauche et de droite s'indignait et désignait l' « extrême droite ». L'auteur rappelle cette image de Pierre Joxe, le ministre de l'Intérieur, « la mine grave, son chapeau quasi-loubavitch », déclarant: « Il n'y a pas besoin d'enquête policière pour savoir quels sont les criminels ». « L'exagération, chez ces gens-là, est une habitude », commente Gillieth. Il rappelle que, curieusement, Simone Veil sut garder la tête froide, appelant à « ne pas imputer à quiconque, sans preuves, la responsabilité de Carpentras ». « Cet imbécile » de Louis Aliot, « avec sa gueule de plouc endimanché », a droit à un dézinguage en règle: « Louis Aliot était un grand type de notre âge, vingt-trois ans, une carrure de rugbyman, le genre agricole, mal déguisé en bourgeois. Il portait une chemise bleue et un blazer bleu-marine. Jusque-là, tout était parfait. Mais une chaîne terminée d'une médaille en or scintillait dans l'ouverture de sa chemise ». L'élégance cachère, sans doute... Un des comparses de Bertrand ironise au sujet de ces étudiants modérés (donc modérément courageux) que nous avons tous connus, qui se baladent en première année de droit avec un attaché-case de ministre et se la jouent futur énarque. « Ce que j'aime chez ces gens, c'est une certaine intelligence au sujet d'un idéal désintéressé. On sent que ces mecs-là auraient pu défendre le bunker du Führer à Berlin en 1945 », persifle le camarade de Bertrand qui en rajoute dans l'ironie: « Il y a chez eux un côté Malraux, Saint-Loup, Hemingway ou Brasillach ». Qu'il est méchant !
Nostalgie...
1er mai 1995, la « Jeanne d'Arc, notre Facho Pride à nous », se rappelle Bertrand. Jean-Marie Le Pen venait de faire 15% à la Présidentielle deux semaines auparavant. Les slogans d'une époque révolue: « Europe Jeunesse, Révolution », « Le Pen Président », « Deauville-Sentier, territoires occupés », « Immigrés dehors les Français d'abord ». « Nous avions alors foi et espoir dans le Front national. Qui nous décevra ensuite par sa dérive monégasque et la médiocrité de ses cadres, sa non-envie de montrer un visage radical mais également sérieux. Au lieu de cela, nous aurons tout un ramassis de médiocres ambitieux ». « Les gens étaient heureux, cela se voyait sur leur visage. Ils avaient repris espoir », constate Bertrand. Et puis, poursuit-il, « il y eut la dédiabolisation qui vida le RN de son contenu, en en faisant tout juste un clone du RPR des années 80. Une déception totale ». Bertrand se souvient aussi avec nostalgie de ces formidables BBR (Bleu, Blanc, Rouge) sur la Pelouse de Reuilly, cette fête inspirée de celle de l'Huma. De nombreux militants ou simples curieux étaient attablés dans les restaurants des diverses fédérations. Chacun proposait des spécialités de sa région. On pouvait aussi bien manger un cassoulet sur le stand de la Haute-Garonne qu’une fondue sur celui de la Savoie ou une choucroute sur celui de l'Alsace. L'ambiance était bon enfant, se souvient l'auteur. Et puis, « cela faisait du bien de pouvoir enfin dire le fond de notre pensée, sans être regardé d'un sale œil ou de risquer sa place au boulot ». Bertrand et ses camarades vont choisir une baraque à frites du stand du Nord pour se sustenter. Derrière le comptoir, « cinq ou six militants nordistes s'activaient aux fourneaux. Ca fumait, Ca crépitait, et les mains tournaient et retournaient les viandes et saucisses pleines de graisse ». On a l'impression d'y être... Et puis, on achetait quelques bouquins. De la bonne littérature: Brasillach, Rebatet, Saint-Loup, Drieu, Abel Bonnard, Benoist-Méchin et tant d'autres. « Nous étions heureux, le temps était enfin devenu léger, amical, fraternel même », se souvient avec nostalgie Bertrand.
Vive la liberté !
Bertrand en a marre de ce métier d’huissier de justice. Il décrit un constat d'adultère auquel il a participé. Et puis, ces descentes dans la banlieue, là où s'applique l'adage « Parabole au balcon, Arabe au salon ». Ces petites gens à qui on vient saisir le mobilier pour quelques dizaines d'euros dus au fisc. Bien sûr, il y a aussi ces gens gagnant le SMIC et achetant une télé valant deux fois leur salaire, avec home-cinéma et des enceintes de stade. Bertrand rencontre aussi de pauvres gens qui n'ont même pas de quoi s'acheter de quoi manger, chez qui il vient procéder à une saisie de leur mobilier. Mais après tout, de quoi se plaignent-ils? On leur laisse les chaises, la table et le lit... On était là, commente l'auteur, « dans ce que ce métier pouvait avoir de pire et d'injuste ». Et puis, il y a ce nouveau stagiaire qu'il ne supporte pas, avec qui il n'a rien de commun, « petit, sérieux, avec une tête de premier de classe». Il avait, raconte-t-il, « tous les tics du bourgeois sans imagination, ascendant plouc-nouveau riche: la rolex, le blazer avec un écusson bidon de collège anglais, des Churchs, une cravate club. » Non, décidément, ce destin de bourgeois minable, Bertrand n'en veut pas. Il est temps de changer d'horizon. C'était, dit l'auteur, « la fin des années heureuses, avant la gueule de bois des années 9O, la mondialisation, le politiquement correct qui se durcissait, l'arrivisme et le fric, la fin de la jeunesse et de l'insouciance, les premiers copains qui mouraient du sida et de la drogue. »
Voici Bertrand libre, en route pour de nouvelles aventures. Accompagnons-le avec cette magnifique chanson d'Hervé Christiani qui exalte la liberté: « Il est libre, Max, y'en a qui l'ont même vu voler ». Voici la première strophe: « Il met de la magie, mine de rien, dans tout ce qu’il fait / Il a le sourire facile, même pour les imbéciles / Il s’amuse bien, il n’tombe jamais dans les pièges / Il n’se laisse pas étourdir par les néons des manèges / Il vit sa vie sans s’occuper des grimaces / Que font autour de lui les poissons dans la nasse ».
Robert Spieler – Rivarol 2021
Western électrique, de Pierre Gillieth, 153 pages, 16 euros, éditions Auda Isarn BP 90825 31008 Toulouse cedex 6